la régio de bruxelles

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la régio de bruxelles
ADMINISTRATION PUBLIQUE
LA RÉGIO DE BRUXELLES-CAPITALE
CHROIQUE DE LA AISSACE D’UE RÉGIO À PART*
par
Joëlle SAUTOIS
Chercheuse au Centre de droit public de l’Université libre de Bruxelles
Avocate au barreau de Bruxelles
« Le statut de Bruxelles n’est pas le résultat
d’un choix délibéré. Il ressemble en cela à celui
de la Belgique en général : personne ne l’a voulu
tel qu’il est, personne ne trouve qu’il représente
une solution souhaitable »1.
INTRODUCTION GÉNÉRALE .....................................................................................................................
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PREMIÈRE PARTIE – BRUXELLES AVANT LA PREMIÈRE RÉFORME DE L’ÉTAT ..........................................
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er
Titre 1 – Bruxelles à la naissance du pays .....................................................................................................
Titre 2 – Le Grand-Bruxelles pendant les deux guerres mondiales, ou le traumatisme .................................
Titre 3 – Les lois linguistiques ........................................................................................................................
Titre 4 – Première conclusion – Un territoire..................................................................................................
DEUXIÈME PARTIE – BRUXELLES ET LA PREMIÈRE RÉFORME DE L’ÉTAT (1970).........................................
er
Titre 1 – Les perspectives au 18 février 1970 ...............................................................................................
Titre 2 – La virtuelle Région ...........................................................................................................................
Titre 3 – Le substitut de l’Agglomération .......................................................................................................
Titre 4 – Les Commissions de la culture .........................................................................................................
Titre 5 – Deuxième conclusion – Des institutions et des attributions supracommunales ..................................
TROISIÈME PARTIE – BRUXELLES JUSQU’À LA DEUXIÈME RÉFORME DE L’ÉTAT (1980) ..........................
er
Titre 1 – Les lois de régionalisation « préparatoires » ..................................................................................
Titre 2 – L’échec du Pacte d’Egmont et de l’accord du Stuyvenberg.............................................................
Titre 3 – La « mise au frigo » de 1980 ............................................................................................................
Titre 4 – Troisième conclusion – Des institutions régionales préparatoires ou provisoires… durables ...........
QUATRIÈME PARTIE – LE TROMPE-L’ŒIL DE LA TROISIÈME RÉFORME DE L’ÉTAT (1988-1989) ..............
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Titre 1 – Le contexte de la réforme ...............................................................................................................
Titre 2 – Un territoire.......................................................................................................................................
Titre 3 – Des institutions .................................................................................................................................
Titre 4 – Des attributions .................................................................................................................................
Titre 5 – Quatrième conclusion – Un statut à part (entière) ............................................................................
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CONCLUSION GÉNÉRALE........................................................................................................................
157
er
* Cet article correspond, à quelques corrections et adaptations près, au mémoire déposé par son auteur le 1er août 2013 en vue de l’obtention du certificat de formation
à la recherche (directeur : Prof. Michel LEROY ; lecteur : Prof. Annemie SCHAUS). Il ne devrait être isolé par ses lecteurs de la thèse de doctorat que l’auteur a entamée
début 2014 à la suite de la délivrance du certificat précité. Il n’en constitue en réalité qu’une première partie, introductive, rédigée sous réserve d’amélioration et d’approfondissement dans le cadre des travaux envisagés pour la thèse.
1
P. DELWIT et K. DESCHOUWER, « États généraux de Bruxelles – Les institutions bruxelloises », Brussels Studies, note de synthèse no 14 du 24 février 2009, p. 1.
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ITRODUCTIO GÉÉRALE
1. Bruxelles est devenue, au fil de son histoire,
« un lieu politique complexe à raison de l’amoncellement, sur son territoire, d’un ensemble d’autorités publiques »2.
Encore faut-il s’entendre sur ce que signifient
« Bruxelles » et son « territoire ».
Un exemple récent suffit à apporter une éclairante démonstration de la polysémie de ces termes.
À la fin du mois de mai 2013, les membres du
gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale,
sous l’impulsion du nouveau ministre-président,
Rudi Vervoort, se rendent en séminaire à Ostende
pour débattre d’un certain nombre de questions
essentielles et trancher les priorités à régler d’ici
la fin de la législature.
Parmi les dossiers à traiter, revient la question de la
localisation du futur stade national, en vue de l’Euro
2020. Cela fait des mois, sinon des années, que la
question agite le Landerneau politique bruxellois.
Enfin, une solution est proposée. Le stade sera
installé sur le parking C du Heysel, sur un terrain
appartenant à la ville de Bruxelles.
L’option retenue suscite les interrogations, et le
débat s’anime, spécialement le 14 juin 2013, en
séance plénière du Parlement bruxellois.
C’est que le choix du gouvernement « illustre
parfaitement une situation de grand écart, typiquement belge et bruxelloise, puisque le site se trouve
à quelques mètres de la Région de Bruxelles, en
Région flamande. Par ailleurs, il appartient au plus
grand propriétaire terrien de (la) Région, qui est la
ville de Bruxelles, de concert avec son CPAS »3.
Pour mener à bien ce projet, la Région doit
donc se concerter non seulement avec la ville de
Bruxelles, mais également avec la commune de
Grimbergen, la province du Brabant flamand et la
Région flamande4.
Les interpellations fusent.
L’attention du ministre-président est notamment attirée sur les questions suivantes :
« Le nouveau stade se trouvera en Flandre. Que
sera-t-il prévu pour assurer une gestion respectant
les intérêts bruxellois ? Comment sera-t-il tenu
compte des obligations en matière d’usage des
langues ? (…) La Région flamande est unilingue,
je le rappelle »5.
2
F. DELPÉRÉE, F.-X. DUBOIS et C. FRÉMAULT-DE CRAYENCOUR, « La Région
bruxelloise, son ressort et ses institutions », A.P.T., 1998/4, p. 258.
3
Interpellation du ministre-président par V. De Wolf, Parlement de la
Région de Bruxelles-Capitale, C.R.I., séance plénière du vendredi 14 juin 2013,
séance du matin, p. 71.
4
Interpellation du ministre-président par A. Maes, ibidem, p. 33.
5
Interpellation du ministre-président par M. Nagy, ibidem, pp. 26-27. Voy.
aussi l’interpellation du même jour de D. Lootens-Stael (p. 37) : « Ensuite
s’ajoute le problème de la législation linguistique. Toutes les indications aux
2. Le gouvernement bruxellois ignore-t-il donc
le droit constitutionnel et les règles de répartition
des compétences, tant matérielles que territoriales,
qui gouvernent à ce jour les relations entre partenaires de la Belgique fédérale ?
Sur le plan des compétences territoriales
d’abord, une première question a dû l’inquiéter.
En vertu de l’article 2, § 1er, de la loi spéciale du
12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises, le territoire de la Région centrale du pays
est limité à l’arrondissement administratif de
Bruxelles-Capitale, lequel, depuis 1963, n’excède
pas les frontières des dix-neuf communes. Grimbergen, quoique très proche, n’en fait pas partie.
Le parking C du Heysel se trouve sur le territoire
de la région de langue néerlandaise, et plus particulièrement dans le Brabant flamand. Or la Région
de Bruxelles-Capitale ne peut exercer ses compétences sur le territoire de cette province, qui est
incluse dans le territoire de la Région flamande6.
3. Sur le plan des compétences matérielles
ensuite, l’implantation et la gestion d’un stade
national concernent différentes matières : l’aménagement du territoire, le sport, et éventuellement
la culture, si, par exemple, l’infrastructure est utilisée pour accueillir des grands spectacles, sans
parler de l’emploi des langues.
En vertu des limites territoriales de sa compétence, la Région de Bruxelles-Capitale n’est pas
habilitée à régler les questions urbanistiques et
d’environnement que suscitera immanquablement
la construction du stade. C’est au droit de l’urbanisme et de l’environnement flamand que les
demandes de permis devront satisfaire.
Quant au sport, il s’agit d’une compétence
communautaire, et non régionale. Si le futur stade
national était situé sur le territoire bruxellois,
la détermination de l’autorité compétente pour
régler la question ne serait pas évidente, dès lors
qu’à Bruxelles les compétences communautaires
obéissent à des règles d’une rare complexité.
En vertu de l’article 127 de la Constitution, en
effet, les Communautés n’ont de compétence sur
le territoire bruxellois qu’à l’égard des institutions qui, en raison de leurs activités culturelles,
relèvent exclusivement de la Communauté concernée. Or, le stade national est notamment destiné à
accueillir des manifestations sportives impliquant
l’équipe nationale belge de football. Il s’agit là
d’une activité qui n’est ni exclusivement francophone, ni exclusivement flamande.
abords du stade seront uniquement en néerlandais. Le gouvernement bruxellois
en a-t-il tenu compte ? ».
6
L’existence de la Région flamande est consacrée à l’article 3 de la Constitution, mais elle s’est dissoute dès 1980 dans la Communauté flamande, dont les
institutions ont été chargées, en vertu de l’article 1er, § 1er, alinéa 2, de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980, d’exercer ses compétences.
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Lorsque le ministre-président répond aux interpellations du 14 juin 2013 en indiquant que la
Région n’est pas compétente en matière de sport,
il expose, certes, que les Communautés française
et flamande pourraient cofinancer le projet, mais
émet immédiatement un doute quant au fait qu’un
tel financement puisse être obtenu de leur part
pour la construction d’un stade national situé en
Région bruxelloise7. Il est, exact, en effet, que
dès lors que le stade est national, cette matière ne
relève ni des compétences des communautés, ni
de celle de la Région de Bruxelles-Capitale, mais
bien, à titre résiduaire, de l’autorité fédérale.
Cette dernière ne paraît pourtant pas se préoccuper du sport à Bruxelles, à tel point que cette
matière semble en déshérence sur le territoire
bruxellois. L’autorité fédérale aurait pourtant un
rôle à jouer, dès lors que le projet de construction
d’un stade national permettrait normalement de
favoriser et de promouvoir le rôle international de
Bruxelles. Or, par son article 43, la loi spéciale
du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises permet à la Région de Bruxelles-Capitale et
à l’autorité fédérale de prendre des initiatives en
commun dans cette perspective, à charge du budget fédéral8.
Le même raisonnement conduit à écarter toute
compétence régionale en matière culturelle.
4. Le constat est, à première vue, saisissant. La
Région de Bruxelles-Capitale ne dispose a priori
d’aucun titre – et encore moins des finances –
pour engager et développer intégralement seule le
projet de stade national évoqué à Ostende, alors
pourtant qu’elle abrite la capitale du pays et est
amenée à entretenir son image internationale.
Sont en réalité concernés, la ville de Bruxelles
– voire son CPAS – en qualité de propriétaire
privé – la zone concernée étant sa propriété, mais
ne faisant pas partie de son territoire –, la Région
flamande, compétente pour délivrer les permis d’urbanisme et d’environnement, voire l’autorité fédérale pour les parties du site qui seraient malgré tout
incluses sur le territoire bruxellois et qui sont destinées à accueillir des activités culturelles et sportives.
À défaut d’une telle emprise territoriale, et faute
d’une exception parmi les règles de répartition de
compétences, à l’instar de ce qui fut fait pour l’aéroport de Bruxelles-National, l’interlocuteur premier en ce domaine est la Communauté flamande…
7
Intervention du ministre-président, Parlement de la Région de BruxellesCapitale, C.R.I., séance plénière du vendredi 14 juin 2013, séance de l’aprèsmidi, p. 28.
8
L’accord de coopération du 15 septembre 1993 (M.B., 30 novembre 1993),
conclu entre l’État fédéral et la Région de Bruxelles-Capitale, et relatif à certaines initiatives destinées à promouvoir le rôle international et la fonction de
capitale de Bruxelles, consacrait d’ailleurs une disposition au financement du
stade du Heysel, qualifié de stade national.
110
5. La question du stade national est passionnante en ce qu’elle révèle, en éprouvette, toutes
les ambiguïtés de la réforme de l’État en ce qui
concerne Bruxelles.
Tout d’abord, il faut avoir égard à la ville de
Bruxelles, simple pouvoir local, mais qui, enraciné
dans l’histoire, constitue la capitale du Royaume.
La ville de Bruxelles fait partie de la Région et
peut être le relais de certaines de ses initiatives.
Elle peut aussi la suppléer lorsque le paysage des
compétences atrophie les initiatives régionales.
Elle peut, enfin, en termes de puissance et de visibilité, se trouver en concurrence avec la Région.
Ensuite, il se confirme que la Région de
Bruxelles-Capitale est manifestement à l’étroit dans
ses limites territoriales et que le champ de ses activités et préoccupations l’amène à devoir s’étendre audelà des dix-neuf communes qui lui sont assignées.
Enfin, et là est l’essentiel, la Région de
Bruxelles-Capitale est constamment bridée ou à
tout le moins entravée, dans la mise en œuvre de
politiques cohérentes tant en raison de l’exiguïté
de son territoire que par l’éclatement des compétences à l’intérieur, voire à l’extérieur, de celui-ci.
6. Pour cet exemple, comme pour bien d’autres
encore, « Bruxelles », cette « métaphore de la
complexité belge »9 ce « point d’intersection du
fédéralisme belge »10, attise la curiosité du publiciste, à défaut de susciter l’intérêt du citoyen.
Elle est obligatoirement « au cœur de toute
réflexion institutionnelle sur la Belgique »11, ce
pays dans lequel « beaucoup de solutions provisoires deviennent définitives et (où) des compromis obtenus souvent à l’arraché se transforment
après sédimentation en terres volcaniques… »12.
C’est la raison pour laquelle le présent mémoire
lui est consacré.
Et comme, pour comprendre un fait d’actualité
tel que celui qui vient d’être relaté s’agissant du
futur stade national, il est souvent utile de le replacer dans un contexte historique, c’est dans cette
perspective que son auteur l’a conçu.
Ce travail se donne donc pour unique vocation de
dresser une chronique de la naissance de la Région
de Bruxelles-Capitale, depuis la veille de la première
réforme de l’État jusqu’à la troisième réforme, en ce
compris l’adoption de la loi spéciale du 12 janvier
1989 relative aux institutions bruxelloises.
9
M. UYTTENDAELE, « Bruxelles, capitale de l’altérité », Pouvoirs, no 136,
« La Belgique », janvier 2011, p. 137.
10
M. REUCHAMPS, « La parité linguistique au sein des “gouvernements”
bruxellois », Rev. dr. ULg., 2008, livr. 2, p. 183.
11
F. DELPÉRÉE, F.-X. DUBOIS et C. FRÉMAULT-DE CRAYENCOUR, op. cit.,
p. 257.
12
M.-Fr. RIGAUX, « Annales bruxelloises (décembre 1970-janvier 1989) »,
in R. ANDERSEN, G. BROUHNS, F. DELPÉRÉE, F. JONGEN, M.-F. RIGAUX,
H. SIMONART et M. VERDUSSEN, La Région de Bruxelles-Capitale, Bruxelles,
Bruylant, 1989, p. 20.
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Le tableau est, à ce stade, purement clinique.
Autrement dit, il ne s’agit pas de procéder à une
lecture déjà trop critique de l’histoire des institutions régionales bruxelloises, cette œuvre étant
projetée dans le cadre de travaux ultérieurs, liés à
la thèse de doctorat de l’auteur.
Ceux-ci seront l’occasion de se pencher davantage sur les questions de financement, en sorte
que, pour l’instant, seront laissées de côté les
quelques dispositions de la loi du 12 janvier 1989,
précitée, qui sont consacrées au statut financier de
la Région de Bruxelles-Capitale13, de même que la
loi spéciale de financement du 16 janvier 198914.
Il ne s’agit pas non plus, sous réserve de quelques
traits esquissés, de prétendre décrire toutes les
dimensions du débat qui a pu accompagner l’histoire des institutions bruxelloises, « où la passion
et la science, le rêve et le réalisme, l’idéologie et la
raison se mêlent ou croisent parfois le fer »15.
Tout au plus sera-t-il tenté d’expliquer le
silence observé par le législateur spécial pendant
près de vingt ans, jusqu’à l’adoption de la loi spéciale du 12 janvier 1989 et de répondre, peut-être,
aux questions que posait F. Delpérée à cette même
époque :
« Ce silence a-t-il été absolu ? Des solutions ne
se dessinent-elles pas, de manière imperceptible,
sur quelques dossiers qui sont au cœur du dossier
bruxellois : quel territoire ? quelles attributions ?
quelles institutions ? »16.
En d’autres termes, est-il permis d’affirmer
que la concrétisation de la Région de BruxellesCapitale, en 1989, repose sur des règles « dont la
nouveauté ne s’inscrit jamais totalement en rupture avec le passé »17 ?
PREMIÈRE PARTIE – BRUXELLES AVAT LA
PREMIÈRE RÉFORME DE L’ÉTAT
TITRE 1ER – BRUXELLES À LA NAISSANCE DU PAYS
Chapitre 1er – Une capitale et ses faubourgs
7. Le mot « Bruxelles » n’a pas toujours été
polysémique.
À la naissance du pays, Bruxelles est simplement une ville originellement flamande, une entité
13
Pour quelques premiers constats à propos du financement de Bruxelles,
voy. Ph. DE BRUYCKER et N. LAGASSE, « Bruxelles dans la réforme de l’État
belge », in A. LETON (coord. et dir.), La Belgique : un État fédéral en évolution,
Bruxelles, Bruylant, Paris, L.G.D.J., 2001, pp. 241-242.
14
M.B., 17 janvier 1989.
15
M.-Fr. RIGAUX, op. cit., p. 41.
16
F. DELPÉRÉE, « Introduction », in R. ANDERSEN, G. BROUHNS, F. DELPÉRÉE, F. JONGEN, M.-F. RIGAUX, H. SIMONART et M. VERDUSSEN, La Région de
Bruxelles-Capitale, Bruxelles, Bruylant, 1989, p. 13.
17
M.-Fr. RIGAUX, op. cit., p. 49.
communale formant un pentagone18, au centre de
la province de Brabant.
Elle cherche, depuis déjà plusieurs décennies,
à annexer ses huit anciens faubourgs médiévaux,
dont elle a été séparée en 1795, dans la foulée de
la Révolution française19.
Ce sont donc l’histoire et la géographie qui, de
fait, regroupent quelques communes autour d’une
plus grande ville du cœur de la Belgique, lorsque
celle-ci devient indépendante.
Seule la ville de Bruxelles – et non les communes qui l’avoisinent – est toutefois honorée du
titre de capitale du nouveau royaume indépendant,
en récompense pour l’attitude de ses habitants
pendant la Révolution20 : l’article 126 de la Constitution21, datant de 1831, prévoit qu’elle est la capitale de la Belgique et le siège du gouvernement.
Pour le surplus, Bruxelles n’est gratifiée à
l’époque d’aucun statut particulier qui la distingue
des autres villes du pays22.
8. L’élargissement de la ville de Bruxelles fait
l’objet de nombreux projets politiques dès l’indépendance de la Belgique23, le leitmotiv étant à tout
le moins le retour aux frontières médiévales24, au
point de causer des bras de fer tendus entre les
autorités de la ville et le gouvernement national25.
Ces projets ne se restreindront pas éternellement aux seuls faubourgs historiques de la ville, ni
aux communes qui formeront ensuite avec elle les
« dix-neuf communes », mais se fonderont sur une
vision plus large de l’espace bruxellois26, jusqu’à
18
Cette forme correspond au tracé de la seconde enceinte de la ville,
construite au XIVe siècle. Voy. G. DES MAREZ, Guide illustré de Bruxelles
– Monuments civils et religieux, Bruxelles, Touring Club Royal de Belgique,
1979, p. 328.
19
Les huit villages de Saint-Josse-ten-Noode, Schaerbeek, Ixelles, SaintGilles, Forest, Anderlecht, Laeken et Molenbeek étaient, jusqu’en 1795, assujettis à l’autorité de la ville de Bruxelles, avec laquelle ils formaient une entité
économique, politique et juridique (R. DE GROOF, « De kwestie Groot-Brussel en
de politieke metropolisering van de hoofdstad (1830-1940) – Een analyse van de
besluitvorming en de politiek-institutionele aspecten van de voorstellen tot hereniging, annexatie, fusie, federatie en districtvorming van Brussel en zijn voorsteden », in E. WITTE, A. ALEN, H. DUMONT, P. VANDERNOOT et R. DE GROOF (réd.),
De Brusselse negentien gemeenten en het Brussels model / Les 19 communes
bruxelloises et le modèle bruxellois, Bruxelles, De Boeck et Larcier, 2003, p. 14).
20
Th. BOMBOIS, « Article 194 », in M. VERDUSSEN, La Constitution belge
– Lignes & Entrelignes, Bruxelles, Le Cri Éditions, p. 441. Voy aussi M. VAN
DER HULST, « Brussel als hoofdstad van de federale staat en van de Vlaamse
Gemeenschap », in E. WITTE, A. ALEN, H. DUMONT et R. ERGEC (réd.), Het
statuut van Brussel / Bruxelles et son statut, op. cit., p. 629, et les références à
HUYTENS et THONISSEN citées, ainsi que M.-Fr. RIGAUX, op. cit., p. 17.
21
Devenu l’article 194 lors de la coordination de la Constitution le 17 février 1994.
22
R. DE GROOF, op. cit., p. 17.
23
Ibidem, p. 7. Voy. aussi, pour un relevé d’initiatives prises entre 1853 et
1922, l’exposé des motifs du premier projet de loi sur les agglomérations et les
fédérations de communes déposé après la révision constitutionnelle de 1970,
Doc. parl., Ch., sess. 1970-1971, no 868/1, pp. 4-5. Ou encore Doc. parl., Ch.,
sess. 1970-1971, no 973/1, pp. 7-8.
24
R. DE GROOF, op. cit., p. 17.
25
Ibidem, p. 18.
26
R. DE GROOF, op. cit., p. 11. Voy. aussi A. DELCAMP, Les institutions
de Bruxelles – De la commune à l’agglomération, de la Région-Capitale à
l’État fédéré, Bruxelles, Bruylant, 1993, pp. 9-36, spéc. p. 27, où l’auteur
met en évidence l’étendue de l’agglomération bruxelloise proprement dite, au
sens de « zone urbanisée de manière continue », laquelle englobe des parties
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structurer les réflexions actuelles sur la notion
d’hinterland socioéconomique de Bruxelles27.
Il faut également reconnaître que la référence
faite par l’article 126 de la Constitution28 à la seule
commune de Bruxelles comme siège des institutions nationales, fait rapidement l’objet d’interprétations extensives, « bien au-delà de la lettre du
texte constitutionnel »29 : de nombreuses institutions gouvernementales sont établies en dehors du
territoire de la ville de Bruxelles stricto sensu.
Dans la déclaration publiée au Moniteur belge
du 17 avril 1965, cette disposition constitutionnelle
sera déclarée ouverte à révision, aux fins d’en préciser le sens, « d’une part pour faire apparaître clairement que les services gouvernementaux peuvent
tout aussi bien être établis dans d’autres communes
de l’agglomération bruxelloise que la commune de
Bruxelles elle-même, d’autre part, pour préciser sur
certains points le statut de Bruxelles elle-même »30.
Reprise dans la déclaration du 1er mars 196831,
la révision ne sera finalement pas concrétisée sur
ce point, au motif officiel que l’extension du rôle
de capitale à d’autres communes aurait « provoqué des rivalités et imposé des choix difficiles »32.
Le siège du gouvernement belge demeure donc, sur
le papier, et depuis 1831, la seule ville de Bruxelles,
laquelle cherche à étendre son assise territoriale.
Chapitre 2 – Une structuration informelle – La
Conférence des bourgmestres
9. Ne parvenant qu’à engranger de partielles
annexions33, la ville adopte, à partir de 1854, une
nouvelle stratégie : abandonnant l’idée d’une réunification, elle table désormais sur l’instauration
d’une fédération de communes.
Les premières intercommunales sont ainsi
créées, qui amorcent et annoncent une rationalisation des services de l’agglomération.
Une autre structure politique voit également le jour.
Sous la houlette du bourgmestre Jules-Victor
Anspach, en effet, un organe informel et consulimportantes de vingt-neuf communes de l’arrondissement de Hal-Vilvorde,
Tervuren, et trois communes de l’arrondissement de Nivelles, dont Waterloo
et Braine-l’Alleud.
27
Voy. à ce propos, Bruxelles et son hinterland socio-économique, actes
du colloque organisé le 18 juin 2008 par le Conseil économique et social de la
Région de Bruxelles-Capitale, disponible sur le site http://www.briobrussel.be
(dernière consultation le 5 juillet 2013).
28
Devenu, pour rappel, l’article 194.
29
F. DELPÉRÉE, F.-X. DUBOIS et C. FRÉMAULT-DE CRAYENCOUR, op. cit.,
p. 261.
30
Doc. parl., Ch., sess. 1964-1965, no 993/1, p. 23.
31
Doc. parl., sess. extr. 1968, no 10-1/1, p. 26.
32
P. WIGNY, La troisième révision de la Constitution, Bruxelles, Bruylant,
1972, p. 212. Voy. aussi X. MABILLE, « Les projets de statut pour Bruxelles »,
in X, Le problème de Bruxelles depuis Val-Duchesse (1963), actes du colloque
VUB-CRISP des 20 et 21 octobre 1988, t. 2, Bruxelles, VUB Press, 1989, p. 78.
33
Du bois de la Cambre, annexé en 1864, à l’absorption de Laeken, Nederover-Heembeek et Haren en 1921 (voy. R. DE GROOF, op. cit., p. 35).
112
tatif est créé en 1874. C’est la « Conférence des
bourgmestres de l’agglomération », qui se réunit
encore toujours actuellement.
Sont d’abord invités les bourgmestres de
Schaerbeek, Ixelles, Molenbeek-Saint-Jean,
Saint-Gilles, Anderlecht, Saint-Josse et Etterbeek,
aux fins d’évoquer la fréquentation de l’athénée
royal de Bruxelles par tous les enfants de l’agglomération bruxelloise. Aux huit bourgmestres
s’ajouteront par la suite ceux de Laeken34, Uccle,
Watermael-Boitsfort, Forest, Jette, Koekelberg,
Woluwe-Saint-Lambert, Auderghem, WoluweSaint-Pierre, Evere, Berchem-Sainte-Agathe et
Ganshoren35.
« La Conférence des bourgmestres rassemble
donc les bourgmestres des dix-neuf communes
de l’agglomération bruxelloise dans le but de
mettre en commun leur expérience, d’exposer
les problèmes rencontrés dans leurs communes
et de trouver ensemble une solution, au profit de
la population de l’ensemble de l’agglomération
bruxelloise. Il s’agit d’une institution bruxelloise
ne possédant pas d’existence légale, mais reconnue comme interlocuteur privilégié par les autorités36. Elle n’a aucun pouvoir légal ou décisionnel :
ses membres expriment leur opinion lors des réunions, sans jamais voter. Les conclusions des réunions ne forment pas des résolutions auxquelles
les membres doivent impérativement obéir, au
contraire, ce sont des avis ou des suggestions »37.
Chapitre 3 – Les germes du problème communautaire
10. Dès le XIXe siècle, donc, est opérée la structuration, certes informelle, d’une agglomération
autour de la ville de Bruxelles. Elle semble correspondre à une vision naturelle de ce que représente cette zone. Sur cette base, elle regroupe seize
communes avant la Première Guerre mondiale.
Les trois communes de Berchem-Sainte-Agathe,
Evere et Ganshoren la rejoindront en 1933.
La zone qui entoure ainsi la capitale du pays
attise tout à la fois hostilité et convoitise, sentiments contrastés que partagent tant les Flamands
que les Wallons.
34
Commune intégrée à la ville de Bruxelles en 1921, avec Haren et Nederover-Heembeek. Voy. la note précédente.
35
Les trois dernières communes citées participent à la Conférence des
bourgmestres à partir de 1933.
36
Voy. d’ailleurs les propos du ministre de l’Intérieur au moment de l’élaboration de la loi portant organisation des agglomérations et fédérations de communes, au début des années 1970 (projet de loi organisant les agglomérations et
les fédérations de communes, rapport fait au nom de la commission spéciale par
MM. Deruelles et VerroKEN, Doc. parl., Ch., sess. 1970-1971, no 973/20, p. 23).
37
V. COUMANS, « Archives de la Conférence des bourgmestres », note disponible sur
http://www.bruxelles.be/dwnld/86620712/conf%5Fbourg%2D2011%2DV1%2Epdf
(dernière consultation le 5 juillet 2013), p. 1.
ADMINISTRATION PUBLIQUE
Tous y voient le lieu d’influence, celui que les
effets de la centralisation privilégient, où il est bon
de mener sa carrière lorsqu’on en a les moyens.
S’y côtoient davantage les gouvernants, les fonctionnaires et autres élites, que les agriculteurs du
nord ou les ouvriers du sud. « Tandis qu’elles
fournissent à la capitale un appoint constant de
sang nouveau, les deux régions du pays subissent
l’influence de la région bruxelloise. Elles perdent
constamment à son profit des éléments actifs et
elles sont en quelque sorte vidées de leur substance par l’absorption bruxelloise. Cette situation
doit être considérée comme très grave et pourrait,
à elle seule, permettre de condamner les excès de
la centralisation bruxelloise »38.
C’est en effet la capitale, qui monopolise la
direction de la vie économique39, le carrefour où
se rencontrent Flamands et Wallons, mais où les
premiers doivent, s’ils veulent y évoluer et s’y
faire comprendre, se plier à l’usage du français
dans les hautes sphères, tandis que les seconds
abandonnent volontiers leur patois wallon éventuel
pour une langue qu’ils maîtrisent au demeurant.
Bruxelles est le lieu où le français domine et où
la discrimination linguistique envers les Flamands
va bon train.
Largement francisée, certes, Bruxelles n’est
pourtant pas considérée comme comprise dans la
notion de « Wallonie » qui commence à être utilisée en réaction à l’éveil du mouvement flamand40.
La vision qu’elle suscite au sud du pays est traduite
dans l’un des premiers slogans du mouvement
wallon en 1897 : « La Wallonie aux Wallons, la
Flandre aux Flamands et Bruxelles aux Belges ! »41.
Les Belges en question, ce sont les titulaires
d’emplois publics ou les hommes politiques, ainsi
que les habitants de la capitale, ces « métis », parlant un « jargon innommable »42, ces « endormis
38
Rapport final du Centre Harmel, du nom du « Centre de recherche pour
la solution nationale des problèmes sociaux, politiques et juridiques en régions
wallonnes et flamandes », créé par une loi du 3 mai 1948, Doc. parl., Ch., sess.
1957-1958, no 940, p. 77.
39
Ibidem, p. 208.
40
Voy. ci-dessous, le titre 3, relatif aux lois linguistiques et, notamment
E. WITTE et J. CRAEYBECKX, La Belgique politique de 1830 à nos jours,
Bruxelles, éd. Labor, 1987, pp. 135-141, pour une évocation du flamingantisme culturel.
41
Cité par F. PERIN, Histoire d’une nation introuvable, Bruxelles, éd. Paul
Legrain, 1988, p. 103.
42
« Une seconde espèce de Belges s’est formée dans le pays, et principalement à Bruxelles. Mais elle est vraiment peu intéressante. Elle semble avoir
additionné les défauts de deux races, en perdant leurs qualités. Elle a pour moyen
d’expression, un jargon innommable dont les familles Beulemans et Kakebroek
ont popularisé la drôlerie imprévue. Elle est ignorante et sceptique. Elle a pour
idéal un confortable médiocre. Elle ne croit à rien, est incapable de générosité
ou d’enthousiasme, soupçonne toujours chez autrui le mobile bas et intéressé,
abaisse par la “zwanze” toute idée qui la dépasse. Certains laudateurs de cette
platitude en ont voulu faire une vertu : le “middelmatisme”, mot aussi laid que
l’état d’esprit signifié. Le patriotisme de ces “middelmates” est nul, ils accepteraient bénévolement toute domination qui ne dérangerait point leurs aises coutumières. Cette population de la capitale, dont quelques échantillons épars existent
en province, n’est point un peuple : c’est un agglomérat de métis » (J. DESTRÉE,
qui prêchent la soumission » – aux Flamands –
« au nom de la fraternité »43.
En réalité, « les trois composantes du problème
“communautaire” (sont) présentes en germe dans
les années qui précèdent immédiatement la Première Guerre mondiale : un mouvement flamand
combatif, les débuts d’un courant wallon fédéraliste et la région de Bruxelles, source de nombreux
problèmes ultérieurs »44.
« Des origines à nos jours, les problèmes communautaires se résument, en effet, toujours au
même schéma : l’opposition entre deux peuples
de langue et de culture différentes, aux évolutions
économiques souvent divergentes, et la lutte pour
une grande ville, située dans la partie flamande
du pays, mais dont la population, dans sa grande
majorité, est aujourd’hui francophone »45.
TITRE 2 – LE GRAND-BRUXELLES PENDANT LES DEUX
GUERRES MONDIALES, OU LE TRAUMATISME
Chapitre 1er – La Flamenpolitik
11. Alors que, jusqu’à la Première Guerre mondiale, le concept de « Grand-Bruxelles » caractérise la formation d’une agglomération urbaine,
« l’extension somme toute naturelle de la ville de
Bruxelles vers ses faubourgs », il prend une autre
connotation et devient « antipathique » en raison
des initiatives de l’occupant46.
Pendant la guerre de 1914-1918, en effet, les Allemands divisent pour régner en appliquant une Flamenpolitik : « pour flatter le mouvement flamand,
le gouverneur von Bissing (ouvre) une université
flamande à Gand, en 1916 et, peu de temps après,
(procède) à la séparation administrative du pays en
le divisant en deux régions : la Flandre (dotée d’un
“Raad van Vlaanderen”) et la Wallonie »47, 48.
À Bruxelles, s’il est vrai qu’ils ne touchent
pas aux institutions communales des seize com« Lettre au roi Albert Ier », 1912, disponible en version intégrale sur le site http://
www.histoire-des-belges.be, dernière consultation le 16 juillet 2013).
43
F. PERIN, op. cit., p. 114, citant un discours de Jules Destrée. Les Bruxellois ne seront plus, dans ce discours, les Belges de l’ancien slogan, puisque,
selon les termes bien connus utilisés par Jules Destrée dans sa lettre à Albert Ier
(voy. note précédente), le Roi règne sur deux peuples : « Il y a en Belgique des
Wallons et des Flamands, il n’y a pas de Belges ».
44
E. WITTE et J. CRAEYBECKX, op. cit., p. 141.
45
A. MÉAN, La Belgique de papa – 1970 : le commencement de la fin,
Bruxelles, Pol-His, 1989, p. 20.
46
Ch. KESTELOOT, « Le Grand-Bruxelles et les après-guerres », in E. WITTE,
A. ALEN, H. DUMONT, P. VANDERNOOT et R. DE GROOF, De Brusselse negentien
gemeenten en het Brussels model / Les dix-neuf communes bruxelloises et le
modèle bruxellois, Bruxelles, De Boeck et Larcier, 2003, p. 84.
47
A. MÉAN, op. cit., p. 38. Voy. aussi E. WITTE et J. CRAEYBECKX, op. cit.,
1987, p. 146, ou encore M. LEROY, De la Belgique unitaire à l’État fédéral,
Bruxelles, Bruylant, 1996, pp. 15-19.
48
Il faut « tuer définitivement le mythe belge selon lequel le mouvement
flamand est une création maléfique de l’occupant allemand de 1914-1918
dans l’intention de détruire la Belgique. Les Allemands ne créèrent rien, mais
ils utilisèrent un mouvement, né plus d’un demi-siècle avant leur arrivée ! »
(F. PERIN, op. cit., p. 96). Voy. aussi, ibidem, pp. 121 et s.
113
ADMINISTRATION PUBLIQUE
munes concernées49, ils décident de ne plus traiter
qu’avec le bourgmestre de la ville de Bruxelles, à
charge pour lui de centraliser toutes les correspondances émanant des autres communes.
Chapitre 2 – La fusion forcée
12. La Seconde Guerre mondiale constitue à
nouveau l’occasion pour l’occupant d’instaurer
un « Grand-Bruxelles », de manière plus drastique que précédemment. Le 27 septembre 1942,
en effet, les dix-huit communes avoisinantes sont
supprimées et incorporées au territoire et à l’administration de la ville de Bruxelles, aux mains d’un
nouveau collège des bourgmestre et échevins.
Celui-ci est favorable à l’occupant et à l’ordre
nouveau, mais également préoccupé par la volonté
de « flamandiser » Bruxelles50, ou à tout le moins,
selon la position officielle, de faire appliquer strictement la législation sur l’emploi des langues au
sein de l’administration et dans l’enseignement51.
À la libération, en septembre 1944, un comité
provisoire de l’agglomération bruxelloise est installé aux fins d’organiser la défusion des communes. Ce comité demeurera en place jusque fin
mai 1945. Il y sera décidé de restituer aux communes leurs prérogatives d’origine, « à l’exception de celles formellement réservées par le comité
provisoire », parmi lesquelles les compétences de
police et l’aide sociale, dans une pure dynamique
de gestion technique52, sans que même la Conférence des bourgmestres ne retrouve le souffle politique nécessaire pour fonder le moindre projet de
refonte de l’institution communale53.
L’expérience est, il est vrai, vécue comme un
traumatisme, qui étouffera le mouvement flamand
jusqu’au milieu des années 1950. Elle fait office
de contre-modèle, propice à la manipulation.
En effet, l’association d’idées entre le « GrandBruxelles » et l’ennemi aura pour effet pervers de
légitimer le rejet subséquent, par les francophones,
et notamment par le FDF des années 1960, de toute
tentative de rationalisation du territoire bruxellois,
49
Il s’agit d’Anderlecht, Auderghem, Bruxelles, Etterbeek, Forest, Ixelles,
Jette, Koekelberg, Laeken – non encore intégrée à la ville de Bruxelles –,
Molenbeek, Saint-Gilles, Saint-Josse, Schaerbeek, Uccle, Watermael-Boitsfort
et Woluwe-Saint-Lambert. Woluwe-Saint-Pierre n’a pas encore, à ce moment,
rejoint la Conférence des bourgmestres (ce sera le cas en 1929). BerchemSainte-Agathe, Evere et Ganshoren s’ajouteront en 1933.
50
N. WOUTERS, « Groot-Brussel tijdens WO II (1940-1944) », in E. WITTE,
A. ALEN, H. DUMONT, P. VANDERNOOT et R. DE GROOF (réd.), De Brusselse
negentien gemeenten en het Brussels model / Les 19 communes bruxelloises et
le modèle bruxellois, op. cit., p. 69.
51
Ibidem, p. 75. À propos des lois sur l’emploi des langues, voy. infra, titre 3.
52
Ch. KESTELOOT, op. cit., p. 99 et p. 102.
53
Ibidem, p. 103.
114
comme de toute revendication tendant à faire respecter la législation linguistique54. « Le souvenir
négatif du “Grand-Bruxelles” (…) leur permet de
faire l’amalgame entre l’occupant nazi et le mouvement flamand et d’utiliser ce spectre chaque fois
que le statut de Bruxelles est abordé »55.
13. Dans le grand débat relatif aux projets de
fusions qui animera les années 1950 et 1960, la
question des grandes agglomérations sera toutefois à nouveau posée, le sort de Bruxelles y étant
discuté au même titre que celui des quatre autres
grandes agglomérations du pays, à savoir Anvers,
Gand, Liège et Charleroi56.
En dépit de cette volonté d’uniformité, plusieurs
paramètres contribueront à faire de la situation
bruxelloise un cas à part. Il en ira particulièrement
ainsi du statut linguistique de cette agglomération,
qui abrite en outre la capitale du pays.
TITRE 3 – LES LOIS LINGUISTIQUES
Chapitre 1er – Le contexte
14. De 1945 au début des années 1960, des
opinions publiques divergentes se cristallisent
en Flandre et en Wallonie, autour de trois grands
débats : la poursuite de ceux qui ont collaboré avec
les Allemands, la question royale et la guerre scolaire des années 1950. En outre, la « grève spectaculaire »57 de 1960-1961, contre la loi unique,
suivie en Wallonie, mais peu en Flandre, met en
évidence l’inversion des rapports de force économiques entre les régions.
« Le pacte scolaire de 1958 débouche sur une
pacification idéologique, tandis que la croissance
économique des sixties atténue les antagonismes
de classe. Les tensions communautaires peuvent
alors dominer l’agenda politique »58.
Les conclusions du Centre Harmel59 sont désormais publiées et prônent notamment la réalisation
de l’autonomie culturelle et de la décentralisation
économique, l’organisation des pouvoirs administratifs devant être adaptée à la réalisation de ce but.
Les membres de la section culturelle du Centre
expliquent qu’au sein de la nation belge il existe
deux communautés culturelles, la communauté
wallonne et la communauté flamande. L’agglomé54
Ibidem, p. 81.
Ibidem, p. 103.
56
À ce propos, voy. infra, deuxième partie, titre 3.
57
E. WITTE et J. CRAEYBECKX, op. cit., p. 261.
58
P. WYNANTS, « Origines, caractères et évaporation du fédéralisme en
Belgique », Liber Amicorum Jean-Pierre de Bandt, Bruxelles, Bruylant, 2004,
p. 1011.
59
Voy. supra, note 38. Dans son rapport final, déposé le 24 avril 1958,
« le centre préconisa plusieurs réformes qui apparaissent comme une timide
préfiguration des mutations que l’État belge allait connaître à partir de 1970 »
(M. LEROY, op. cit., p. 32).
55
ADMINISTRATION PUBLIQUE
ration bruxelloise ne forme pas, comme telle, une
communauté culturelle : « en réalité, Bruxelles
et ses faubourgs appartiennent à la fois à la communauté wallonne et à la communauté flamande,
dont ils constituent le bien commun »60. Ce n’est
d’ailleurs pas à un détriplement des ministères de
l’Éducation nationale et de la culture que la population belge assistera quelques années plus tard, en
1969, mais à un dédoublement61.
En revanche, en matière économique et sociale,
les conclusions du Centre reposent sur la création
de trois conseils consultatifs, l’un wallon, l’autre
flamand et le troisième, bruxellois62.
Y est aussi – largement – à l’honneur la question linguistique63.
15. À Bruxelles, la situation est, de ce point de
vue, bigarrée :
« Si l’agglomération bruxelloise est, en majeure
partie, d’expression française, l’origine de bon
nombre de ses habitants francophones et le bilinguisme qu’ils pratiquent, comme aussi la présence
d’une importante minorité de langue néerlandaise,
confèrent à la capitale un caractère hybride qui ne la
qualifie pas pour jouer un rôle directeur dans le développement de la culture française de la Wallonie.
(…).
D’autre part, la présence à Bruxelles d’une majorité de francophones et la tendance qui s’y manifeste de résorber aussitôt que possible les habitants
d’expression néerlandaise dans un bilinguisme
hybride ou même dans un unilinguisme français
font que la capitale n’est pas qualifiée actuellement
pour jouer un rôle directeur dans le développement
de la culture néerlandaise de la Flandre »64.
La prégnance du français dans la capitale n’est
guère surprenante.
Comme on le sait, en effet, le français est historiquement la langue d’une minorité bourgeoise
francophone aux mains de qui se trouve le pouvoir politique65 et, jusqu’en 189866, il sera la seule
langue officielle du pays.
Les querelles linguistiques en Belgique, « élément central du modèle belge de conflit et de paci60
Rapport final du Centre Harmel, Doc. parl., Ch., sess. 1957-1958, no 940,
p. 344.
61
Arrêté royal du 25 septembre 1969 portant dédoublement du ministère de
l’Éducation nationale et de la Culture, M.B., 30 septembre 1969.
62
Rapport final du Centre Harmel, op. cit., p. 304.
63
Voy., au sein du rapport final, les rapports des sections politique et culturelle, pp. 212 et s.
64
Rapport final du Centre HARMEL, op. cit., p. 345.
65
Voy. F. PERIN, op. cit., p. 92 : « L’unité du royaume fut également scellée
par l’usage officiel de la langue française pratiquée par une bourgeoisie homogène, qui avait adopté cette langue depuis des générations. La Révolution et
l’Empire n’avaient fait qu’accentuer un fait largement accompli ».
66
Année d’adoption de la loi du 18 avril 1898 relative à l’emploi de la
langue flamande dans les publications officielles, dite « loi d’égalité » ou loi
« Coremans-De Vriendt », publiée au Moniteur belge le 15 mai 1898, et dont
l’article 1er prévoit que « les lois sont votées, sanctionnées, promulguées et
publiées en langue française et en langue flamande ».
fication »67, tracent donc l’évolution de la capitale
comme de toute la nation.
16. De manière générale, dans tout le pays, la
majorité flamande doit lutter longuement pour
asseoir ses droits économiques, sociaux et linguistiques.
Numériquement majoritaires, les Flamands
revêtent, longtemps, et paradoxalement, les traits
d’une « minorité nationale » largement méprisée par
l’élite francophone, à tous points de vue, y compris
s’agissant de sa langue, par ailleurs non homogène68.
Mais l’histoire de Belgique est notamment celle
de « la progressive affirmation d’une Flandre
démographiquement majoritaire, économiquement
et socialement en retard, linguistiquement brimée
et qui peu à peu prendra, de la fin du XIXe siècle
à la fin du XXe siècle une place prépondérante
dans le pays, et exigera une autonomie correspondante »69.
Chapitre 2 – L’article 30 de la Constitution et les
premières lois linguistiques
17. Juridiquement, l’histoire de la lutte du
mouvement flamand pour la défense de sa culture
est d’abord illustrée par la liberté linguistique inscrite dans la Constitution et les diverses législations linguistiques.
Consacrant dès le départ la naissance d’un État
composé de plusieurs communautés linguistiques,
la Constitution belge ne confère pourtant aucun
droit collectif au profit de celles-ci. Elle garantit
en revanche des droits fondamentaux individuels
à portée universelle, qui peuvent donc être exercés
collectivement s’il échet.
Aux côtés du droit à l’égalité et à la nondiscrimination et du droit à l’épanouissement
culturel, on trouve ainsi, surtout, la liberté de
l’emploi des langues consacrée dès 1831 par
l’article 30 : « L’emploi des langues usitées en
Belgique est facultatif ; il ne peut être réglé que
par la loi, et seulement pour les actes de l’autorité
publique et pour les affaires judiciaires ».
C’est toutefois « peu dire que cette disposition
ne traduisait pas la volonté d’assurer une position
équivalente au français et au néerlandais dans
l’État ». Il fallait plutôt y voir « le souci de garantir la liberté et l’égalité linguistiques dans les relations personnelles tout en réservant le français à
67
E. WITTE, « La question linguistique en Belgique dans une perspective
historique », Pouvoirs, no 136, « La Belgique », janvier 2011, p. 37.
68
Sur le fait que, de leur côté, « les Wallons estimaient avoir un droit
inaliénable de ne connaître que le français sans que cela entrave leur carrière
administrative ni les empêche de revendiquer un contingent équivalent dans
la fonction publique », voy. E. WITTE et J. CRAEYBECKX, op. cit., pp. 140-141.
69
A. MOLITOR, « La première phase des nouvelles réformes », A.P.T., 1988,
p. 269.
115
ADMINISTRATION PUBLIQUE
la sphère publique, en réaction à la politique des
Hollandais »70.
En outre, l’article 30 a été interprété comme
pouvant bénéficier également aux fonctionnaires
publics, et non exclusivement aux particuliers, ce
qui revenait à garantir, de fait, aux fonctionnaires
publics appartenant à l’élite francophone le droit
constitutionnellement protégé d’être unilingues.
Or, « lorsque non seulement le citoyen, mais
aussi le fonctionnaire public peuvent invoquer à
leur profit la liberté dans l’emploi des langues, le
citoyen qui entre en relation avec l’autorité aura
toujours le dessous »71 ; il aura seulement le droit
de s’exprimer dans sa langue sans pour autant
avoir le droit d’être compris72.
Cet unilinguisme officiel français des débuts
de l’État belge couvrira les quarante premières
années de son existence73.
18. Les Flamands, qui pouvaient légitimement
soutenir que, « dans un contexte de discrimination
sociale, la liberté dans l’emploi des langues aggravait les disparités »74, devront donc lutter encore
pour obtenir des lois spécifiques permettant de
préserver plus collectivement leurs droits linguistiques.
C’est seulement avec la loi de 1873 réglant
l’emploi du flamand en matière répressive que
« la courbe de l’histoire commencera à s’infléchir
lentement (…) vers l’égalité de statut du néerlandais »75. Faut-il le dire, ce n’est que le 4 juin 1959
que la Chambre approuvera le texte néerlandais
de la Constitution, rédigée exclusivement en français en 183176. Le néerlandais mettra en réalité
plusieurs décennies avant de pouvoir s’introduire
dans tous les secteurs clés que peuvent être l’armée, les institutions judiciaires, l’administration et
l’enseignement77.
70
B. DEJEMEPPE, « Mise en perspective historique et grandes orientations de
la loi du 15 juin 1935 concernant l’emploi des langues en matière judiciaire »,
in X, La langue du procès, Anvers, Intersentia, 2011, p. 2.
71
J. CLÉMENT, « L’emploi des langues en matière administrative, les facilités et la résolution Nabholz du Conseil de l’Europe – Pas de langue, pas de
liberté ? », A.P.T., 2003, livr. 3-4, p. 191. Voy. aussi A. MAST, « De grondwetsherziening van 1980 », R.W., 1981-1982, p. 1106, qui évoque la naissance
d’un État unitaire « waarvan het Frans, onder de vlag van de vrijheid, in feite,
de officiële taal was ».
72
N. BONBLED et S. WEERTS, « La liberté linguistique », in M. VERDUSSEN et
N. BONBLED (dir.), Les droits constitutionnels en Belgique – Les enseignements
jurisprudentiels de la Cour constitutionnelle, du Conseil d’État et de la Cour
de cassation, vol. 2, Bruxelles, Bruylant, 2011, p. 1107.
73
Ibidem, p. 1105.
74
L. DOMENICHELLI, Constitution et régime linguistique en Belgique et au
Canada, Bruxelles, Bruylant, 1999, p. 27.
75
N. BONBLED et S. WEERTS, op. cit., p. 1105.
76
Elle n’aura force de loi dans les deux langues qu’en 1967, une fois adopté
l’article 140 de la Constitution (M.B., 3 mai 1967), devenu l’article 189. Voy.,
à ce propos, P. DE STEXHE, La révision de la Constitution belge 1968-1971,
Bruxelles, Larcier, Namur, Société d’études morales, sociales et juridiques,
1972, pp. 335-337. Le Code civil a obtenu force de loi dans les deux langues
en 1961. Le Code pénal ne sera traduit qu’en 1963.
77
À propos de la législation linguistique en matière d’enseignement, non
abordée dans le cadre du présent mémoire, il est permis de renvoyer à l’étude de
116
Chapitre 3 – Les lois linguistiques de 1921 et 1932
19. La première série de lois linguistiques
obtenue à la fin du XIXe siècle a simplement pour
vocation de faire reconnaître le néerlandais à
côté du français dans les domaines de la justice
pénale, de l’administration et de l’enseignement
officiel secondaire, et ce uniquement en Flandre,
qui devient donc bilingue, tandis que la Wallonie
demeure unilingue et rétive à toute perspective de
connaissance du néerlandais dans l’exercice des
charges publiques78.
Il a été précisé que le jour où, enfin, les administrations seraient flamandes, les Flamands
seraient les premiers à demander que la liberté des
citoyens soit respectée et que ceux qui désireraient
employer le français dans leurs rapports avec l’administration voient leurs droits garantis79.
L’état d’esprit est alors à la protection des droits
linguistiques de chacun, où qu’il se trouve en Belgique, sans exclure qu’il soit « fait montre d’indulgence »80 à l’égard des particuliers d’expression
française en Flandre81. C’est d’un pays bilingue
partout que rêvent les Flamands dits « minimalistes »82, « loyaux envers la Belgique unitaire »83.
Ce rêve n’est pas partagé par les francophones.
20. Dans ce contexte, la loi du 31 juillet 1921
établit un statut linguistique en matière administrative, dont le gouvernement exposera plus tard
qu’il présente lacunes et imperfections84.
Y. HOUYET, « La législation linguistique régissant la matière de l’enseignement
dans le contexte constitutionnel fédéral belge », R.B.D.C., 2002/4, pp. 379-423.
Il faut savoir, néanmoins, que la néerlandisation de l’enseignement moyen, technique et universitaire est devenue un enjeu crucial du flamingantisme de la fin du
e
XIX siècle (E. WITTE et J. CRAEYBECKX, op. cit., p. 137). On signalera également
que la restauration de la liberté du chef de famille d’inscrire son enfant dans une
école de l’une des dix-neuf communes sans que l’inspection ne vérifie la conformité de ce choix avec la langue maternelle ou usuelle de l’enfant, constituera un
élément dans la négociation d’une solution globale pour la réforme de l’État de
1970 et pour la création consécutive de l’agglomération bruxelloise (P. WIGNY,
op. cit., p. 194, pp. 214-215). Voy. infra, deuxième partie, titre 3.
78
A. ALEN et K. MUYLLE, Handboek van het Belgisch staatsrecht, Malines,
Kluwer, 2011, pp. 304-305.
79
J. CLEMENT, op. cit., p. 192, et les références citées.
80
Ibidem, p. 192.
81
Voy. A. MÉAN, op. cit., p. 28 : « Il n’y a donc pas, à l’origine du mouvement flamand, de sentiment anti-belge. Les Flamands demandent simplement
que leur langue soit placée, en Flandre, sur pied d’égalité avec le français ».
82
Par opposition aux « activistes » qui, par opportunisme, se sont engagés
auprès des Allemands, et aux « frontistes », « ainsi appelés parce qu’ils combattaient sur le front de l’Yser (et qui) se rendirent populaires en prêchant la
révolte contre les officiers de l’armée belge qui continuaient à donner leurs
ordres en français aux soldats flamands » (A. MÉAN, op. cit., pp. 38-40 ;
voy. aussi M. LEROY, De la Belgique unitaire à l’État fédéral, Bruxelles,
Bruylant, 1996, p. 20). « Heureusement pour le mouvement flamand, tous
les flamingants n’avaient pas collaboré avec les Allemands. Le groupe qui
refusa de collaborer avec l’occupant et qui ne souhaitait pas subordonner les
intérêts flamands à l’Allemagne était même numériquement plus important
(…). L’action de ceux-ci au sein du gouvernement et des partis (…) fit en
sorte que l’establishment patriotique fransquillon ne put, après 1918, discréditer l’ensemble du mouvement flamand » (E. WITTE et J. CRAEYBECKX, op.
cit., p. 147).
83
P. WYNANTS, op. cit., p. 1009.
84
Projet de loi relatif à l’emploi des langues en matière administrative,
exposé des motifs, Doc. parl., Ch., sess. 1930-1931, no 197, p. 1.
ADMINISTRATION PUBLIQUE
Dans les administrations centrales, comme dans
celles de la province de Brabant et de l’agglomération bruxelloise, la connaissance élémentaire du
néerlandais est désormais exigée dans le chef des
agents francophones. Les avis des administrations
de l’État et des provinces doivent être rédigés dans
les deux langues.
Au niveau local, la loi de 1921 introduit le principe de territorialité linguistique, les droits linguistiques des particuliers étant légalement liés
au choix, par l’administration locale, de la langue
de ses services, permettant ainsi le maintien d’une
Wallonie unilingue et d’une Flandre où les autorités acceptent de communiquer en néerlandais.
21. Qu’en est-il de Bruxelles ?
« Bruxelles était une ville flamande à l’origine.
Avec le temps, elle est devenue une ville francophone. Mais la géographie, elle, n’a pas changé
– Bruxelles n’a pas changé de place !
Elle est devenue francophone à cause de la primauté accordée au français, la seule langue officielle en Belgique pendant longtemps. Bruxelles
est donc devenue francophone de fait. Parce que le
français était la langue officielle et parce que, plus
tard, les lois linguistiques ne seront pas toujours
appliquées de façon très correcte par certaines
communes bruxelloises »85.
En outre, « les Bruxellois d’expression néerlandaise n’étaient pas pour autant des flamingants. Lors des élections, ils portaient leur voix
sur des candidats connus des différents partis,
qui n’étaient que rarement favorables à la cause
flamande. Dans les écoles, les administrations
communales menaient une véritable politique de
francisation. (…) Il est exact, d’autre part, que
les Flamands – indépendamment de la pression
économique et sociale – n’étaient pas convaincus
de l’importance de leur propre langue et de leur
propre culture »86.
22. À la veille de la mise en œuvre de la loi
de 1921, la ville de Bruxelles, comme telle, vient
de s’étendre aux communes flamandes de Laeken,
Haren et Neder-over-Heembeek.
Avec la loi de 1921, l’agglomération bruxelloise compte dix-sept communes, dont deux flamandes, celles de Woluwe-Saint-Pierre et de
Woluwe-Saint-Étienne.
Ce nombre peut encore être revu par arrêté
royal, en fonction du résultat du recensement
décennal87, et du « choix » consécutif éventuel du
conseil communal concerné de changer de rôle
85
X. MABILLE, « La crise des cent jours », propos recueillis par P. BOUILLON,
in Chronique de la Belgique – Du néolithique à l’époque contemporaine, Paris,
éd. Chronique, 2012, pp. 427-428.
86
E. WITTE et J. CRAEYBECKX, op. cit., pp. 192-193.
87
Qui a lieu depuis 1889.
linguistique pour ses services intérieurs et pour sa
correspondance administrative88, 89.
Sous le bénéfice de cette faculté, l’agglomération bruxelloise est donc gratifiée d’un statut où le
français conserve en pratique un rôle dominant et
peut donner lieu à changement de langue dans le
chef de l’administration, entérinant ainsi une francisation de la région.
23. La loi du 28 juin 1932 relative à l’emploi des
langues en matière administrative90 sédimente le principe de territorialité en posant le principe de l’emploi,
par l’administration, de la langue de la région.
Elle instaure le bilinguisme des administrations
locales à Bruxelles91.
En vue de l’application de la loi, il est prévu
que l’agglomération bruxelloise comprend les
seize communes d’Anderlecht, Auderghem,
Bruxelles, Etterbeek, Forest, Ixelles, Jette-SaintPierre, Koekelberg, Molenbeek-Saint-Jean, SaintGilles, Saint-Josse-ten-Noode, Schaerbeek, Uccle,
Watermael-Boitsfort, Woluwe-Saint-Lambert et
Woluwe-Saint-Pierre92.
Cependant, une fois encore, le recensement
décennal peut avoir pour conséquence de faire
changer le statut linguistique des autorités locales
en fonction de la langue de la majorité ainsi décelée. La loi lie désormais directement l’octroi de
droits linguistiques aux particuliers au volet linguistique du questionnaire à compléter à l’occasion du recensement décennal – et non plus au
choix de l’administration en fonction du résultat
de ce recensement.
Conséquence, en 1954, l’agglomération bruxelloise s’étend aux communes de Berchem-SainteAgathe, Evere et Ganshoren – encore que celles-ci
auraient dû légalement passer sous statut intégralement francophone93 –, en correspondance,
88
À ce sujet, voy. R. DE GROOF, op. cit., in E. WITTE, A. ALEN, H. DUMONT,
P. VANDERNOOT et R. DE GROOF (réd.), De Brusselse negentien gemeenten en
het Brussels model / Les 19 communes bruxelloises et le modèle bruxellois,
op. cit., p. 54.
89
« Hieruit besluiten wij dat in het Brusselse de taalvrijheid van het individu
aan de gemeentelijke autonomie werd ondergeschikt gemaakt » (L. SIEBEN,
« De Brusselse problematiek tijdens het interbellum – Een schets aan de hand
van de taalwetgeving », in X, Le problème de Bruxelles depuis Val-Duchesse
(1963), t. 1, Bruxelles, VUB Press, 1989, p. 34).
90
M.B., 29 juin 1932.
91
Pour une comparaison entre le régime de 1921 et celui de 1932, voy., par
exemple, L. SIEBEN, op. cit., p. 37.
92
Woluwe-Saint-Étienne n’en fait plus partie, étant francophone à moins
de 30 %.
93
Voy. A. MÉAN, op. cit., p. 63, où sont reproduits les propos du ministre
de l’Intérieur de l’époque, Pierre VERMEYLEN : « La loi prescrivait à l’époque,
explique M. Vermeylen, que la langue de la commune devait être exclusivement le français ou le néerlandais si plus de cinquante pour cent de la
population déclaraient parler la première ou la seconde de ces langues. Un
certain bilinguisme externe n’était prévu que si la minorité linguistique de
la commune atteignait trente pour cent. Or le recensement de 1947 avait
révélé que, dans trois communes du Brabant flamand – Ganshoren, Evere
et Berchem-Saint-Agathe –, les francophones avaient dépassé la barre des
cinquante pour cent. Toute l’administration flamande de ces communes aurait
donc dû être remplacée par une administration exclusivement francophone…
117
ADMINISTRATION PUBLIQUE
finalement, avec les communes membres de la
Conférence des bourgmestres de l’agglomération
bruxelloise.
Par peur des réactions dans le mouvement flamand, pour qui la francisation emporte l’expansionnisme et l’expansion emporte à son tour la
francisation94, le gouvernement retarde jusqu’en
1954 la publication des résultats du recensement
de 194795, 96. À partir de cette date, le mouvement
flamand s’oppose radicalement au principe d’une
frontière évolutive et réclame la fin du volet linguistique du recensement.
Ce sera chose faite avec le vote de la loi du
24 juillet 196197, dont l’article 3 prévoit que « par
dérogation aux dispositions de la loi du 28 juin
1932 sur l’emploi des langues en matière administrative, le recensement général de la population
de 1961 ne comporte aucune question relative à
l’emploi des langues ; les effets du recensement
linguistique, effectué le 31 décembre 1947, sont
prorogés jusqu’à ce qu’une loi y mette fin ».
Chapitre 4 – Les lois linguistiques de 1962-1963
24. L’expression « frontière linguistique » est
employée pour la première fois à l’occasion de
l’adoption de la loi du 8 novembre 1962 modifiant les limites des provinces, arrondissements et
communes98, avec l’accueil froid de la section de
législation du Conseil d’État, qui y voit l’instauration d’une division non prévue par la Constitution99.
Cette loi se donne pour objet de stabiliser les
limites des régions linguistiques par une adaptation des limites des ressorts administratifs à celles
des régions linguistiques, en prenant comme point
C’est pourquoi j’ai proposé au Parlement de rattacher ces trois communes à
l’agglomération bruxelloise afin de leur appliquer un régime bilingue (…).
Et voilà comment l’agglomération bruxelloise est passée de seize à dix-neuf
communes ».
94
Voy. not. L. SIEBEN, op. cit., p. 39.
95
Dont le résultat continue d’être contesté. Voy. par exemple une proposition de loi spéciale visant à fixer définitivement la frontière entre la Flandre et
la Wallonie, déposée le 24 novembre 2008 par des sénateurs issus du Vlaams
Belang (Doc. parl., sess. 2008-2009, no 4-1018/1) : « Le recensement linguistique de 1947 a eu lieu deux ans après la fin de la Deuxième Guerre mondiale,
à un moment où l’establishment belge avait réussi à stigmatiser le mouvement
flamand. En de nombreux endroits, les autorités locales ont exercé des pressions illicites sur la population. Beaucoup de citoyens se sont crus obligés, par
crainte de représailles ou poussés par un “patriotisme” déplacé, de renier leur
identité flamande. Les résultats de ce recensement ont dès lors donné une image
faussée de la réalité ».
96
Voy., à propos du recensement de 1947, M. DE MESTENAERE, « De talentelling van 1947 », in X, Le problème de Bruxelles depuis Val Duchesse (1963),
t. 1, Bruxelles, VUB Press, 1989, pp. 175 et s.
97
M.B., 1er août 1961.
98
Et modifiant la loi du 28 juin 1932 sur l’emploi des langues en matière
administrative et la loi du 14 juillet 1932 concernant le régime linguistique
de l’enseignement primaire et de l’enseignement moyen (M.B., 22 novembre
1962). Elle sera coordonnée avec la loi du 8 novembre 1962 par arrêté royal du
18 juillet 1966 portant coordination des lois sur l’emploi des langues en matière
administrative (M.B., 2 août 1966).
99
Avis joint au projet de loi, Doc. parl., Ch., sess. 1961-1962, no 194/1, p. 5.
118
de départ les conclusions adoptées par le Centre
Harmel100.
En revanche, elle ne concerne pas le régime de
l’agglomération bruxelloise et des communes de
la périphérie, pas plus que la région de langue allemande.
S’agissant de la seule frontière linguistique
néerlandaise-française, la référence aux résultats
des recensements décennaux est supprimée au
bénéfice du maintien ou de l’introduction d’un
régime de facilités. Ainsi vient le temps de l’unilinguisme de droit des régions et de l’instauration
d’une frontière linguistique fixe.
25. Pour Bruxelles et la périphérie, la solution
sera apportée par la loi du 2 août 1963 sur l’emploi des langues en matière administrative101, qui
se veut « une loi de principe qui doit être appliquée avec bonne volonté et le désir de ne pas en
énerver l’économie par des interprétations restrictives »102.
L’acquis, en 1954, des trois communes issues du
Brabant flamand (Evere, Ganshoren et BerchemSainte-Agathe) est préservé, mais l’extension est
arrêtée : « Au sud de la région de langue néerlandaise, l’agglomération bruxelloise forme avec ses
dix-neuf communes, dont la capitale, une région
qui, en raison de la composition de sa population
et du rôle qu’elle doit jouer dans le pays, est destinée à être bilingue. Dans l’économie du projet le
régime linguistique dont l’administration est dotée
n’est pas susceptible d’être étendu aux communes
limitrophes »103, 104.
Seules six communes de la périphérie105 sont
dotées d’un statut distinct, sur la base d’un compromis dégagé au cours d’un « conclave » à ValDuchesse, accord qui comporte l’obtention de
facilités administratives pour les francophones de
ces communes, ainsi qu’un enseignement maternel
et primaire disponible en français106.
26. On le voit, le gouvernement de l’époque
perçoit dans « la réglementation équitable de
l’emploi des langues en matière administrative
dans l’agglomération bruxelloise », un problème
« essentiel » qui ne se limite pas à respecter la
population qui y vit : « en tant que capitale et siège
des administrations centrales, Bruxelles doit être
100
Projet de loi, exposé des motifs, Doc. parl., Ch., sess. 1961-1962,
no 194/1, p. 1. Voy. aussi supra, note 38.
101
M.B., 22 août 1963.
102
Projet de loi, exposé des motifs, Doc. parl., sess. 1961-1962, no 331/1,
p. 2.
103
Ibidem, p. 3.
104
Nous soulignons.
105
Kraainem, Wezembeek-Oppem, Rhode-Saint-Genèse, Linkebeek, Drogenbos et Wemmel.
106
Sur la vision distincte à propos de ces mesures – destinées à faciliter
l’adaptation des francophones en milieu flamand ou, au contraire, incitants à
revendiquer plus de droits, par exemple, un statut identique aux Flamands de la
capitale – voy. E. WITTE et J. CRAEYBECKX, op. cit., pp. 425-426.
ADMINISTRATION PUBLIQUE
le trait de liaison entre la Wallonie et la Flandre,
ouverte à la fois aux deux cultures nationales.
Elle ne pourra conserver cette position privilégiée
que si elle est disposée à faire l’effort voulu pour
que les deux communautés linguistiques puissent
y vivre en harmonie et sur un pied d’égalité parfaite »107.
Il n’en demeure pas moins que c’est une loi
ordinaire à finalité purement linguistique qui fixe
les contours géographiques de Bruxelles108, sans
qu’il soit tenu compte de considérations économiques, sociales ou culturelles qui auraient
pourtant pu donner au territoire bruxellois « les
dimensions qui permettent l’élaboration de politiques cohérentes, rationnelles et équilibrées »109.
Même d’un point de vue purement linguistique, il est question, sans doute davantage
dans les milieux francophones, d’un découpage
« arbitraire »110, qui ne s’entend pas en fonction
de la langue usitée en fait, mais en fonction de
celle qui doit être utilisée en droit111. Les lois de
1962-1963 contrarient singulièrement les francophones de Bruxelles, dans la mesure où elles sont
contraignantes et les enserrent dans un « carcan »112 géographique. « En réalité, ces dispositions vont approfondir le fossé entre le Nord et
le Sud »113.
Elles expliquent la naissance, en 1964, du FDF, à
l’époque Front démocratique des Bruxellois francophones114 et contribuent à créer « un début d’attachement à une région bruxelloise spécifique puisque,
jusqu’alors, vu son rôle de capitale, Bruxelles s’était
surtout identifiée à l’État belge »115.
TITRE 4 – PREMIÈRE CONCLUSION – UN TERRITOIRE
27. La naissance de l’agglomération bruxelloise au sens des lois sur l’emploi des langues
en matière administrative, qui consolide le développement factuel de la ville de Bruxelles en une
entité administrative, est donc le résultat d’une
lente et longue évolution116.
Spontanément portée à seize communes, légalement portée à dix-neuf à la suite du recensement
107
Projet de loi, exposé des motifs, Doc. parl., sess. 1961-1962, no 331/1,
p. 5.
108
F. DELPÉRÉE, F.-X. DUBOIS et C. FRÉMAULT-DE CRAYENCOUR, op. cit.,
p. 262.
109
Ibidem., p. 264.
110
M.-Fr. RIGAUX, op. cit., p. 18, note de bas de page 1.
111
En ce sens, à propos des régions linguistiques consacrées constitutionnellement en 1970 par l’adoption de l’article 3bis devenu l’article 4 de la Constitution, voy. F. GOSSELIN, L’emploi des langues en matière administrative,
Bruxelles, Kluwer, 2003, p. 16, et les références citées.
112
Slogan du FDF (E. WITTE et J. CRAEYBECKX, op. cit., p. 437).
113
P. WYNANTS, op. cit., p. 1011.
114
Aujourd’hui Fédéralistes démocrates francophones (depuis le 24 janvier
2010).
115
A. MÉAN, op. cit., p. 74.
116
R. DE GROOF, op. cit., p. 7.
de 1947, son extension est arrêtée par l’effet de
la loi du 2 août 1963 sur l’emploi des langues en
matière administrative, sur la base de considérations d’ordre purement linguistique, reposant sur
des préoccupations communautaires : il s’agit, très
clairement, d’enrayer la francisation du trait de
liaison entre la Wallonie et la Flandre ou, mieux
encore, d’éviter que ce trait ne s’épaississe et
vienne empiéter sur le territoire linguistiquement
homogène en droit de la Flandre.
La question linguistique est à l’origine du problème bruxellois, comme de beaucoup d’autres problèmes en Belgique. « Après une phase purement
linguistique, le problème déborde rapidement pour
toucher à tous les aspects de la vie de la collectivité.
L’arrière-fond linguistique doit donc toujours être
présent à l’esprit, d’autant plus que la résurgence du
problème du statut de Bruxelles correspond avec la
préparation et la publication des arrêtés d’exécution
des lois linguistiques (de 1962-1963) »117.
Bruxelles s’attire en réalité les récriminations
de toutes parts.
Les Flamands se plaignent d’une représentation insuffisante dans les organes et administrations des communes de l’agglomération, ainsi
que d’une discrimination de fait dans les divers
domaines de l’activité culturelle, économique ou
sociale, et craignent subir cette situation davantage encore à mesure de la francisation croissante de la région centrale du pays118. D’autre
part, Bruxelles, siège de toutes les institutions
publiques et privées importantes, suscite la frustration des provinciaux, Wallons compris, qui ont
soif de décentralisation. L’analyse des « mille et
une causes, vraies ou fausses » de ces griefs en
tous sens, constitue « un immense sujet de dissertation et d’analyse dont l’examen se poursuivra
longtemps encore »119.
À la veille de la première réforme de l’État de
1970, l’enjeu communautaire que représente la
région centrale du pays, appelée, déjà, « BruxellesCapitale »120, est donc déjà bien vivace, et sa prise
en compte a déjà conduit les autorités nationales à
117
X, « Les projets de statut pour Bruxelles », C.H. CRISP, no 343-344 du
9 décembre 1966.
118
En ce sens, voy. P. DE STEXHE, op. cit., p. 309.
119
Ibidem, p. 310.
120
Voy. les articles 2 et 6 des lois sur l’emploi des langues en matière administrative, coordonnées le 18 juillet 1966 :
« Art. 2. Le pays comprend quatre régions linguistiques : la région de langue
néerlandaise, la région de langue française, la région de langue allemande et
Bruxelles-Capitale.
(…)
Art. 6. Il est constitué un arrondissement administratif dénommé “BruxellesCapitale” comprenant les communes de : Anderlecht, Auderghem, BerchemSainte-Agathe, Bruxelles, Etterbeek, Evere, Forest, Ganshoren, Ixelles, Jette,
Koekelberg, Molenbeek-Saint-Jean, Saint-Gilles, Saint-Josse-ten-Noode,
Schaerbeek, Uccle, Watermael-Boitsfort, Woluwe-Saint-Lambert et WoluweSaint-Pierre.
Cet arrondissement administratif a Bruxelles comme chef-lieu ».
119
ADMINISTRATION PUBLIQUE
ne lui attribuer qu’une aire territoriale limitée aux
dix-neuf communes.
Il reste à vérifier si ce territoire restera inchangé
par la suite, de quelle manière il se verra doter
d’institutions propres, et quelles seront les attributions de celles-ci.
DEUXIÈME PARTIE – BRUXELLES ET LA
PREMIÈRE RÉFORME DE L’ÉTAT (1970)121
TITRE 1ER – LES PERSPECTIVES AU 18 FÉVRIER 1970
Chapitre 1er – Le contexte
28. Avant la communication faite par le premier ministre Gaston Eyskens à la Chambre le
18 février 1970122, il n’avait jamais été officiellement question d’inscrire une quelconque organisation régionale dans la Constitution123.
Certes, le gouvernement envisage déjà de
mettre en œuvre une importante décentralisation
économique, notamment au travers de la création
de sociétés de développement régional.
C’est là le deuxième volet de son programme,
dont le premier est axé sur la révision de la Constitution destinée à concrétiser l’autonomie culturelle
réclamée par la partie flamande du pays.
La réforme « n’a pas pour objectif d’instaurer
le fédéralisme, terme qui fait encore peur à beaucoup, mais d’édifier, dans une logique somme
toute néo-unitariste, une Belgique communautaire
et régionale »124.
Les politiques n’envisagent donc que les voies
et structures administratives traditionnelles de
la déconcentration et de la décentralisation pour
faire tendre le système belge vers plus d’autonomie dans le domaine économique comme dans le
domaine culturel125.
Le choix des mesures est toutefois différent en
fonction de la nature des problèmes, la déconcentration et la décentralisation étant abordées
différemment selon qu’il s’agisse des matières
121
On parle de la première réforme de l’État, mais il s’agit en revanche de
la troisième révision de la Constitution belge, les deux premières ayant eu lieu
en 1892-1893 et en 1919-1921 pour introduire, en deux étapes, le suffrage
universel. P. WIGNY a d’ailleurs intitulé son ouvrage sur la première réforme
de l’État La troisième révision de la Constitution (Bruxelles, Bruylant, 1972).
122
Ann. parl., Ch., no 41, séance du mercredi 18 février 1970.
123
La création de régions en Belgique, projet de texte d’un article 107ter
nouveau de la Constitution, rapport fait au nom de la commission de la révision de la Constitution par M. Calewaert, Doc. parl., Sén., sess. 1969-1970,
no 458, p. 1.
124
P. WYNANTS, op. cit., p. 1013.
125
Voy. la synthèse des travaux du groupe de travail, établie le 24 octobre
1963, annexe A, au projet de déclaration relatif à la révision de la Constitution,
Doc. parl., Ch., sess. 1964-1965, no 993/1, p. 4 : « Les deux communautés
désirent que les pouvoirs législatif et exécutif, renonçant à une centralisation
qu’elles jugent excessives, accordent aux institutions décentralisées ainsi
qu’aux organes déconcentrés une plus grande liberté de décision et de gestion,
spécialement dans les domaines culturel et économique ».
120
culturelles, d’une part, des matières économiques
et sociales, d’autre part126.
S’il avait été ainsi facilement et unanimement
admis, par le « groupe de travail » réuni en 1962 par
le premier ministre Théo Lefèvre, « qu’en matière
culturelle, la création d’institutions régionales
propres à chacune des communautés se justifie par
la dualité linguistique et culturelle » et que devraient
être créés rapidement un Conseil culturel pour la
Flandre et un Conseil culturel pour la Wallonie, les
opinions s’étaient avérées bien plus diverses s’agissant des matières économiques et sociales127.
Il importait néanmoins « de procéder à une
large décentralisation, permettant de gérer et de
régler dans le cadre régional tout ce qui est d’intérêt régional, sans mettre en péril l’intérêt général
de la nation »128.
29. Le concept de région s’inscrit donc, à l’origine, dans la seule perspective d’une réforme
destinée à répondre aux problèmes relatifs à la
décentralisation et à la déconcentration, les uns
préférant l’usage des institutions existantes, dans
le cadre des ressorts territoriaux existants – provinces et communes – les autres favorisant, pour
des matières relevant essentiellement de la politique économique, l’utilisation des provinces ou la
constitution de régions, pourvues seulement d’un
pouvoir réglementaire129.
Toutes les conceptions défendues comportent
en tout cas un dénominateur commun : il s’agit
de transférer des compétences dans les matières
administratives et socioéconomiques de l’autorité
centrale aux composantes – existantes ou à créer –
du Royaume130.
L’accroissement d’une autonomie dans la gestion des intérêts régionaux, à travers une décharge
des institutions centrales de tous les problèmes qui
peuvent être réglés à d’autres niveaux, ne requerraient pas, selon les premières opinions, de révision de la Constitution131.
Quoi qu’il en soit, « il n’est pas question de
régions ni dans la liste des dispositions constitutionnelles susceptibles d’être révisées, ni dans la
déclaration de 1965, ni dans celle de 1968, étant
126
Doc. parl., Ch., sess. 1964-1965, no 993/1, p. 11.
Ibidem, pp. 11-12.
128
Ibidem, p. 5.
129
Ibidem, p. 19. Toutefois, l’étude de la suggestion consistant à décentraliser vers des régions « ne fut pas poussée » (P. DE STEXHE, op. cit., p. 173).
130
Voy. R. SENELLE, Commentaar op de Belgische Grondwet, Bruxelles,
ministère des Affaires étrangères, 1974, p. 380 : « Onder verschillende, rechtsterminologisch niet altijd juiste benamingen, zoals decentralisatie, regionalisatie en federalisatie, vertoont die beweging sterk variërende aspecten, die echter
alle onder een gemeenschappelijke noemer en doelstelling te brengen zijn : de
overdracht van sociaaleconomische en administratieve bevoegdheden van het
centraal gezag naar de componenten van het Rijk ».
131
Voy. les propos du premier ministre Théo Lefèvre, relayés dans l’exposé
des motifs du projet de déclaration de révision de la Constitution, Doc. parl.,
Ch., sess. 1964-1965, no 993/1, p. 3.
127
ADMINISTRATION PUBLIQUE
donné qu’il avait été admis que la décentralisation
économique pouvait être réalisée par des lois ordinaires »132.
30. Lorsqu’il a voté ces déclarations, le préconstituant « ne soupçonnait pas l’ampleur des
réformes qui allaient en naître »133.
Ceci étant, « le gouvernement savait bien qu’il
devait aller assez loin dans le sens d’une décentralisation régionale pour prévenir de cette façon une
solution fédéraliste ou, pire encore, autonomiste
du problème communautaire. La régionalisation à
trois plutôt que le fédéralisme à deux, bien qu’il
fût absurde aux yeux de nombreux Flamands que
la capitale devienne une région à part »134.
En effet, Wallons et Bruxellois, outre qu’ils
n’ont pas la conviction d’appartenir réellement à
la même communauté politique, craignent que la
création des communautés culturelles marque le
pas vers le fédéralisme à deux, sans tenir compte
de l’agglomération bruxelloise et de la réalité de
la région wallonne. Les Flamands, de leur côté,
ne veulent reconnaître que leur communauté,
Flamands de Bruxelles inclus : la création de la
région bruxelloise risque des les couper de leurs
pairs135.
31. C’est dans ce contexte qu’est déposé, le
22 octobre 1968, un projet de loi-cadre portant
organisation de la planification et de la décentralisation économique, autrement appelé « projet
125 »136, 137.
Fondée sur la volonté de réagir aux distorsions
existantes dans le développement des différentes
régions du pays, cette législation en projet repose
sur la conception de divers instruments de politique économique destinés à éclairer l’État, dont
le Plan et le Bureau du Plan.
Tout en conservant à cette politique économique
son caractère global et national, il est prévu d’associer plus étroitement « les régions » à l’action
du gouvernement : sont visées alors la Flandre, la
Wallonie et le Brabant138.
Et le législateur d’instituer des Conseils économiques régionaux pour chacune de ces trois
« régions », instances purement consultatives
– composées de parlementaires et de représentants
des milieux économiques et sociaux – appelées à
132
Rapport M. Calewaert, op. cit., Doc. parl., Sén., sess. 1969-1970, no 458,
p. 8.
133
M. LEROY, op. cit., p. 40.
E. WITTE et J. CRAEYBECKX, op. cit., p. 431. Voy. aussi A. DELCAMP,
op. cit., p. 47.
135
F. PERIN, op. cit., pp. 211-212.
136
Appellation liée au numéro du projet de loi déposé à la Chambre (Doc.
parl., sess. extr. 1968, no 125).
137
Pour les précédentes lois d’expansion régionale, qui tenaient, donc, déjà
compte des régions pour réagir à la crise de 1958, voy. E. WITTE et J. CRAEYBECKX, op. cit., pp. 408-409.
138
Doc. parl., sess. extr. 1968, no 125/1, p. 4.
134
être complétées par les sociétés de développement
régional.
L’adoption de ce texte avance bien à la
Chambre, mais est freinée par le blocage, au
Sénat, des réformes constitutionnelles annoncées
dans la déclaration de révision de la Constitution
de 1965, reprise en grande partie avant la dissolution de 1968139.
Chapitre 2 – L’idée
32. L’idée de prévoir, dans la Constitution, la
création de régions – entendues au sens d’entités
dotées d’une véritable compétence normative –
germe à l’occasion des travaux d’un groupe de travail informel mis en place par le premier ministre
Gaston Eyskens en 1969140, chargé de plancher sur
« les problèmes communautaires », et dénommé le
« groupe des 28 »141.
« François Perin, au nom du FDF-RW142,
expose la thèse la plus en pointe. Les conseils
régionaux doivent être composés de parlementaires et Bruxelles doit avoir son propre conseil.
La compétence de ces conseils peut être, selon
lui, aussi bien de nature législative que réglementaire. À l’avenir, en tout cas, des décrets régionaux doivent pouvoir changer la loi nationale.
Perin devine, cependant, que le fruit n’est pas
encore mûr et propose simplement d’inscrire dans
la Constitution la possibilité pour le législateur de
transférer une partie de sa compétence normative
aux régions. C’est le principe qui est fondamental. La réalisation concrète peut encore prendre
quelque temps »143.
Sur Bruxelles, néanmoins, aucun accord n’est
dégagé144, pas même dans le cadre des travaux
de la « Commission des vingt-quatre », réunie en
novembre 1969, exclusivement autour de la problématique bruxelloise, qu’il s’agisse de délimiter
la région bilingue de Bruxelles ou la région économique bruxelloise, ou encore de définir le statut
des communes périphériques145.
Le problème est que les Flamands excluent
toute idée d’extension des limites de l’agglomé139
À ce sujet, voy. P. WIGNY, La troisième révision de la Constitution,
Bruxelles, Bruylant, 1972, pp. 30-33.
140
Elle ne figurait pas dans la liste en 161 points annexée à la déclaration
gouvernementale lue par le même Gaston Eyskens le 25 juin 1968 (Ann. parl.,
Ch., séance du mardi 25 juin 1968, Sén., séance du mardi 25 juin 1968).
141
Ce groupe a lui-même tenu compte « des travaux entrepris au sein du
Centre d’études pour la réforme de l’État en 1936, des conclusions du Centre
Harmel (1948-1953), du groupe de travail politique (1963), de la Conférence
de la Table ronde (1964-1965) et de la commission Meyers-Vanderpoorten
(1966-1968) » (X, « Bruxelles et la réforme des institutions », C.H. CRISP,
no 613 du 14 septembre 1973, p. 2).
142
RW pour Rassemblement wallon.
143
A. MÉAN, op. cit., p. 127. Voy. aussi P. DE STEXHE, op. cit., p. 173.
144
Voy. P. DE STEXHE, op. cit., pp. 176-177.
145
P. WIGNY, op. cit., p. 35. Voy. aussi A. MÉAN, op. cit., p. 130.
121
ADMINISTRATION PUBLIQUE
ration au-delà des dix-neuf communes. Un accord
politique n’est trouvé qu’au sein du gouvernement
lui-même, à la mi-février de l’année 1970 : en
font partie, la création d’un organe de concertation entre l’agglomération de Bruxelles (dix-neuf
communes) et les fédérations à créer autour de la
capitale, de même que la parité linguistique au
collège d’agglomération bruxellois146.
33. Le 18 février 1970, le premier ministre Gaston Eyskens propose donc à la Chambre d’amorcer
les débats utiles pour apporter une solution globale
aux problèmes communautaires. La réforme de la
Constitution proposée contient de nombreux dispositifs majeurs pour l’avenir des institutions nationales,
tels que le principe de la sonnette d’alarme, la parité
linguistique au conseil des ministres et la création
des groupes linguistiques à la Chambre et au Sénat.
Le plan du gouvernement comporte précisément trente-cinq points, dont les dix-sept premiers
appellent une révision constitutionnelle147 et, qui,
en nombre, concernent directement Bruxelles.
Ainsi, au chapitre des dispositions constitutionnelles concernant l’autonomie culturelle, il est
prévu que la Belgique comprendra quatre régions
linguistiques, dont les frontières ne pourront être
modifiées que moyennant l’adoption d’une loi
à majorité spéciale. Parmi ces quatre régions, la
région bilingue de Bruxelles-Capitale s’étend sur
le territoire des dix-neuf communes.
Il est donc proposé de « constitutionnaliser le
carcan »148. Ce sera chose faite avec l’adoption de
l’article 3bis de la Constitution149.
Aux côtés des trois communautés culturelles
néerlandaise, française et allemande – les deux
premières étant appelées à être dotées immédiatement du pouvoir d’adopter des décrets, actes de
nature législative de force juridique égale à une
loi – il est prévu, au titre des dispositions constitutionnelles relatives à l’organisation régionale, que
le pays « comprendra » trois régions : la région
flamande, la région wallonne et la « région bruxelloise »150. À cet égard, une loi, adoptée à la majorité spéciale151, attribuera aux organes régionaux
qu’elle créera et qui seront composés de mandataires élus la compétence de « régler » les matières
qu’elle détermine, « dans le ressort » et selon le
mode qu’elle établira.
Enfin, au chapitre provincial et local, il est
annoncé qu’en vertu de la future Constitution révisée, la loi établira des agglomérations et fédérations de communes sur tout le territoire et qu’elle
déterminera leurs limites. Ces associations de
communes disposeront, comme leurs membres,
d’une compétence fiscale en matière d’impôts et
de redevances. Plus tard dans sa communication,
Gaston Eyskens précisera que la loi qui, pour la
première fois, fixera les limites des agglomérations, décidera que l’agglomération bruxelloise
se compose des dix-neuf communes actuellement
prévues par la législation.
En miroir de la parité au niveau du conseil des
ministres, une telle parité est prévue pour le collège
de la future agglomération bruxelloise dans toutes
ses attributions, alors pourtant que, dans le cadre
des négociations, elle n’avait été envisagée que
pour les matières culturelles et pour autant que l’agglomération soit suffisamment grande pour compter
suffisamment d’habitants néerlandophones152.
34. Annonçant le contenu des lois à venir concernant l’autonomie culturelle, le premier ministre Eyskens, qui vient, donc, d’évoquer l’agglomération
bruxelloise dans le chapitre constitutionnel relatif
aux pouvoirs locaux, expose ce qui suit :
« 21. Une loi, à adopter à une majorité spéciale,
créera pour l’agglomération bruxelloise deux
commissions culturelles, ayant pour mission de
favoriser l’épanouissement des deux cultures dans
l’agglomération et de mettre celle-ci en mesure de
tenir son rôle de capitale, de métropole européenne
et de grande ville internationale. Leur compétence
s’étendra aux dix-neuf communes de la région
bilingue de Bruxelles-Capitale. Leur composition,
leurs attributions (en ce compris réglementaires) et
leurs moyens financiers seront déterminés conformément à la déclaration gouvernementale et aux
conclusions du groupe des vingt-huit ».
35. Revenant à l’organisation régionale, sous
l’angle des lois à adopter, le premier ministre
annonce le vote du « projet 125 », laissé en suspens
146
A. MÉAN, op. cit., pp. 132-133. Pour le comité de concertation, voy.
l’article 57 de la loi du 26 juillet 1971 organisant les agglomérations et les fédérations de communes, M.B., 24 août 1971. Pour l’agglomération, voy. infra,
chapitre 3, ainsi que le titre 3.
147
Ann. parl., Ch., no 41, séance du mercredi 18 février 1970, spéc. pp. 3 à 5.
148
A. MÉAN, op. cit., p. 146.
149
Adopté le 24 décembre 1970, devenu l’article 4 de la Constitution.
150
Voy. le point 6 du plan annoncé par Gaston Eyskens en néerlandais :
« België omvat drie gewesten : het Vlaamse, het Waalse en het Brusselse
gewest ».
151
Une telle loi doit, on le sait, être adoptée à la majorité des suffrages dans
chaque groupe linguistique de chacune des Chambres, à la condition que la
majorité des membres de chaque groupe linguistique se trouve réunie et pour
autant que le total des votes positifs émis dans les deux groupes linguistiques
atteigne les deux tiers des suffrages exprimés.
152
« À un membre qui a également parlé de la parité au sein de l’organe exécutif de l’agglomération bruxelloise, le ministre a répondu qu’il existe actuellement deux “écoles” : la première estime que c’est le pendant de ce qui est
demandé au niveau national, la deuxième qu’il s’agit simplement d’une question de dignité nationale, à savoir que, dans la capitale d’un pays où l’on tend
à une coexistence pacifique de deux communautés culturelles, il faut donner la
preuve que ces deux communautés sont traitées sur un pied d’égalité » (révision
de la Constitution, révision de l’article 126, article 108ter nouveau, rapport fait
au nom de la commission de révision de la Constitution par M. LINDEMANS,
Doc. parl., Ch., sess. extr. 1968, no 10-33/1, p. 22. Voy. aussi pp. 33, 37, 38).
Chapitre 3 – Le discours
122
ADMINISTRATION PUBLIQUE
au Sénat, ceci n’excluant pas que des délégations
nouvelles puissent être opérées ultérieurement au
profit des organes mis en place en vertu de ce projet, ou au profit, par exemple, des provinces.
Quant à la loi spéciale qui créera les régions
wallonne, flamande et bruxelloise, annonce-t-il,
elle mettra en place des organes composés de
mandataires politiques élus.
Elle fixera également les limites des régions, après
que le ressort géographique des sociétés de développement régional aura été fixé, en application de la
future loi-cadre de décentralisation économique.
En recul par rapport à l’idée de François Perin,
mais conformément à l’option retenue par le
groupe des vinft-huit, la loi spéciale à venir, est-il
indiqué, ne confiera à ces organes régionaux élus
que des compétences réglementaires, et non normatives, dans certaines matières retenues comme
étant susceptibles de décentralisation par le groupe
des vingt-huit. La même loi spéciale leur attribuera des dotations annuelles ou des ristournes du
produit de certains impôts de l’État.
36. Le programme est dense.
Fixation de la frontière linguistique, autonomie
culturelle pour les Flamands et les francophones,
perspectives de régionalisation, rationalisation des
pouvoirs locaux au travers de la création d’agglomérations et de fédérations de communes.
Pour Bruxelles, qui n’est pas une communauté
culturelle en soi, c’est le projet d’agglomération qui
est le plus précis, au chapitre local. Son ressort est déjà
annoncé : il n’excèdera pas les dix-neuf communes.
Le gouvernement y mêle néanmoins des
considérations communautaires, en prévoyant
d’appliquer aux organes de cette future entité
supracommunale des protections institutionnelles
en faveur de la minorité flamande.
Chaque communauté culturelle à créer au
terme de la réforme annoncée est également
appelée à y faire valoir, au travers des futures
commissions culturelles, non seulement ses
intérêts propres dans les matières préscolaire,
scolaire, parascolaire et culturelle, mais aussi
l’intérêt commun, consistant à mettre l’agglomération en mesure de tenir son rôle de capitale, de
métropole européenne et de grande ville internationale…
Au travers de la déclaration de Gaston Eyskens
sur les commissions culturelles, c’est donc l’agglomération tout entière, soit les dix-neuf communes qui la composent, et non plus la seule ville
de Bruxelles, qui se destine au rôle majeur qui
vient d’être décrit.
Même si, formellement, la ville de Bruxelles
restera la seule capitale du pays, le glissement
annoncé ici se concrétisera tant dans les attribu-
tions de la future agglomération bruxelloise que
lorsque, enfin, la Région bruxelloise sera créée153.
Ce dernier volet de la proposition exposée par
Gaston Eyskens ne sera cependant pas réalisé
immédiatement, loin s’en faut.
TITRE 2 – LA VIRTUELLE RÉGION
Chapitre 1er – La pénible rédaction de l’article
107quater de la Constitution
37. L’exécution de l’accord rendu public le
18 février 1970 n’est, en effet, pas exempte de difficultés, et c’est là une litote.
Certes, « les Chambres manifestent leur intérêt
et le débat est relancé »154. Mais « les méfiances
sont grandes parce que les partis n’interprètent
pas de la même façon l’importance des réformes.
Les Flamands veulent, en majorité, une autonomie
culturelle accentuée pour leur région et une flamandisation suffisante de Bruxelles. Pour le surplus ils
s’accommodent parfaitement d’un État unitaire,
où les décisions sont prises à la majorité simple. À
eux seuls, ils constituent cette majorité, et peuvent
s’opposer à toute décision qui leur est défavorable.
Les socialistes wallons sont en principe fédéralistes,
mais se contentent d’une décentralisation économique, donnant aux organes régionaux une autonomie suffisante. Pour le parti social-chrétien, le
budget national, et la politique régionale sera fortement influencée par la politique gouvernementale ;
il exige une parité au gouvernement et une protection de la minorité dans les deux Chambres »155.
Le compromis politique conclu en 1970 se
désagrège littéralement156.
38. Dans le cadre des débats au Sénat à propos du futur article 107quater, appelé à consacrer
l’existence des régions, le sort de Bruxelles est
abordé par un membre de la Commission de révision de la Constitution en ces termes157 :
« Bruxelles est une réalité et représente un million et demi de compatriotes.
On ne peut organiser une décentralisation économique constitutionnelle sans reconnaître l’existence des régions réelles : la Wallonie, la Flandre
et une région centrale.
En matière d’autonomie culturelle, la compétence conjointe des conseils culturels français et
néerlandais est prévue pour la capitale. Une solution identique serait inacceptable sur le plan économique ou socioéconomique ».
153
Voy. infra, quatrième partie, titre 4, chapitre 1er.
P. WIGNY, op. cit., p. 36.
155
Ibidem, p. 37.
156
En ce sens, voy. Ph. DE BRUYCKER, « Bruxelles dans la réforme de
l’État », op. cit., p. 55.
157
Rapport M. Calewaert, op. cit., p. 6.
154
123
ADMINISTRATION PUBLIQUE
L’orateur met ainsi en exergue l’enjeu bruxellois.
Carrefour des communautés culturelles flamande et française, pourquoi pas. Mais s’il s’agit
d’autre chose, et en tout cas d’une décentralisation
économique, la région centrale constitue un pôle à
part entière qui peut exister à égalité avec la Wallonie et la Flandre.
Il est réagi à cette réflexion en soulignant que
le terme « régions » ne renvoie pas à une notion
purement économique ou socioéconomique, mais
recouvre les matières « autres que culturelles »158.
La nuance ne paraît toutefois pas résister au constat
de l’existence d’un pôle bruxellois qui, dans ces
matières qui seraient « autres », pourrait se passer de
l’intervention conjointe des communautés culturelles.
Dans le même cénacle, au même moment, et bien
à propos compte tenu de l’enjeu, un sénateur néerlandophone fait état de ce qu’un fédéralisme à trois
n’est pas souhaitable, faisant ainsi part de ce qui est et
sera l’éternelle crainte de la Flandre, soit celle d’une
minorisation de la région flamande par rapport aux
régions wallonne et bruxelloise, formant ensemble
un bloc francophone qui serait trop puissant159.
Du point de vue flamand, on ne peut, en effet,
oublier que « Bruxelles reste le symbole d’une
ville néerlandophone victime d’un mouvement de
francisation »160.
Le débat entre les tenants d’un fédéralisme
à deux et ceux d’un fédéralisme à trois est donc
vivifié. Il n’est, à ce jour, pas clôturé161.
39. L’exécution du programme annoncé par
Gaston Eyskens n’est pas seulement délicate d’un
point de vue politique, elle l’est aussi d’un point
de vue technique.
En effet, le Sénat se montre pointilleux. Il bloque
sur l’adoption du futur article 107quater, compte
tenu de l’absence de la notion de régions dans la
déclaration de révision, laquelle n’ouvre à révision
que l’article 108, dans une perspective de décentralisation et de déconcentration, et aux fins de fixer
les pouvoirs du législateur en matière d’agglomérations et de fédérations de communes162.
Le premier ministre doit une fois encore procéder à une clarification quant à l’objectif du gouvernement et lever la confusion qui règne tant par
rapport à l’articulation entre les perspectives de
régionalisation et le « projet 125 » que par rapport
aux projets d’agglomération163 :
158
Ibidem, p. 6.
Ibidem, pp. 7 et 8.
160
Ph. DE BRUYCKER, « Bruxelles dans la réforme de l’État », op. cit., p. 5
et la référence citée à l’historique dressé par H. Hasquin au Sénat, Ann. parl.,
1er juillet 1988, p. 805.
161
Voy. infra, quatrième partie, titre 5.
162
Rapport M. Calewaert, op. cit., p. 13, notamment. Voy. aussi W. VAN
ASSCHE, « De grondwetgever van 24 december 1970 en het dilemma preconstituante – volkswil », T.B.P., 1971, pp. 368-372.
163
Rapport M. Calewaert, op. cit., p. 13.
159
124
« Il ne s’agit pas ici de l’organisation économique régionale ni de la décentralisation. C’est
ce qui résulte à l’évidence des travaux du Groupe
des vingt-huit. Une énumération des matières a été
donnée, à titre d’exemple. C’est ainsi que le rapport contient les mentions suivantes :
— l’urbanisme, l’aménagement du territoire et
la politique foncière ;
— la politique d’expansion économique régionale et de l’emploi ;
— certains aspects de la législation industrielle
et de la politique énergétique ;
— la politique du logement ;
— la politique familiale et démographique ;
— l’hygiène et la santé publique ;
— la formation et la reconversion professionnelles ;
— le tourisme et la politique d’accueil ;
— la pêche, la chasse et les forêts.
(Rapport du groupe de travail pour les problèmes communautaires, p. 12)164
Le gouvernement a donc l’intention de transférer, dans un État décentralisé, toute une série
d’attributions à des régions dont les organes, composés de délégués élus directement ou non par les
citoyens, se verront confier une compétence réelle.
Ainsi donc, un pouvoir de réglementation serait
transféré aux régions. L’on est parti de l’intention
de créer un système sui generis, une sorte de fédéralisme. Mais tout dépend de ce que l’on entend
par là. Si de larges pouvoirs sont attribués aux
régions, on sera confronté à ce problème ».
40. La plupart des attributions régionales envisagées s’éloignent, il est vrai, du domaine économique, mais elles le recoupent en revanche
clairement lorsque sont visées la politique d’expansion économique régionale et celle de l’emploi.
La différence avec un projet limité à de la
décentralisation ne se retrouve pas non plus dans
le fait que les matières concernées seront confiées
à des organes composés de délégués élus, puisque
tel est déjà le cas des pouvoirs locaux existants,
lesquels peuvent également prendre des règlements dans le champ de leur compétence.
164
À propos de cette liste, voy. le commentaire de P. DE STEXHE, op. cit.,
p. 187 : « Il suffit d’analyser la liste exemplative donnée ci-dessus pour constater que plusieurs des matières envisagées présentent des aspect nationaux et
régionaux et certaines compétences seront “étagées”. D’autres – le tourisme, par
exemple – pourraient relever tantôt de l’État, tantôt d’institutions régionales, provinciales ou communales, tantôt des Conseils culturels. La sécurité sociale et la
prévoyance sociale relèvent fondamentalement du Parlement, mais la loi pourrait
permettre aux institutions régionales d’accorder, à titre complémentaire, des allocations familiales, des aides familiales, etc. »… Voy. d’ailleurs infra, titre 3, chapitre 3, où le tourisme est une préoccupation communale qui peut être transférée
à l’agglomération, et titre 4, chapitre 1er, où le tourisme devient une matière culturelle dont peuvent s’occuper les commissions de la culture de l’agglomération. Il
restera rangé parmi les matières culturelles, de la compétence des Communautés,
lors de l’adoption de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980.
ADMINISTRATION PUBLIQUE
L’intention du gouvernement reste donc peu
claire, si ce n’est qu’il assume une intention, celle
de créer « un système sui generis, une sorte de
fédéralisme »…
Le seul pouvoir réglementaire envisagé à ce
stade fournit au gouvernement l’argument destiné
à dissiper les craintes d’un commissaire qui redoute
un éparpillement excessif des compétences165. En
revanche, il ne suffit pas à rassurer un autre sénateur
qui détecte bel et bien dans les projets flous du gouvernement la mise en place d’un fédéralisme à trois,
qui, on le sait, alimente l’hostilité de la Flandre166.
En commission du Sénat, le texte qui est adopté
dans un premier temps167 prévoit en substance que la
loi, adoptée à la majorité des deux tiers, attribue, au
regret de certains parlementaires168, une compétence
exclusivement réglementaire169 à des organes régionaux, existants ou à créer – dont le nombre n’est
pas précisé – pour les matières autres que celles
accordées aux conseils culturels. Seuls des mandataires élus peuvent faire partie de ces organes. La loi
doit encore déterminer l’étendue matérielle et territoriale de cette compétence régionale ainsi que la
manière dont elle s’exerce. Enfin, financièrement, il
est prévu une alternative : la loi accorde des moyens
financiers aux organes régionaux ou leur reconnaît
le droit de lever des impositions régionales.
41. Après une « véritable averse d’amendements »170, le texte est considérablement remanié171
avant d’être présenté à la Chambre, qui ne le votera
que le 24 décembre 1970, après l’adoption de l’article 108ter172, dont il sera question plus loin.
Chapitre 2 – Le choix du flou
42. L’article 107quater est finalement libellé
comme suit :
« La Belgique comprend trois régions : la
région wallonne, la région flamande et la région
bruxelloise.
La loi attribue aux organes régionaux qu’elle crée
et qui sont composés de mandataires élus, la compétence de régler les matières qu’elle détermine, à
l’exception de celles visées aux articles 23 et 59bis,
dans le ressort et selon le mode qu’elle établit.
Cette loi doit être adoptée à la majorité des suffrages dans chaque groupe linguistique de cha165
Rapport M. Calewaert, op. cit., p. 14.
Ibidem, p. 17. Voy. également, à propos des craintes flamandes s’agissant
de Bruxelles, troisième région, A. MÉAN, op. cit, p. 182.
167
Rapport M. Calewaert, op. cit., p. 19.
168
Rapport M. Calewaert, op. cit., p. 3 et p. 14, ainsi que la référence faite,
en pages 15 et 16, au rapport du groupe de travail pour les problèmes communautaires, dit « groupe des vingt-huit ». Voy. aussi, ibidem, p. 18.
169
De même nature que celle des règlements pris par les conseils provinciaux et les conseils communaux (P. DE STEXHE, op. cit., p. 189).
170
P. WIGNY, op. cit., p. 170.
171
Doc. parl., Sénat, sess. extr. 1968, no 36/1.
172
Devenu les articles 136 et 166 de la Constitution coordonnée.
166
cune des Chambres, à la condition que la majorité
des membres de chaque groupe se trouve réunie
et pour autant que le total des votes positifs émis
dans les deux groupes linguistiques atteigne les
deux tiers des suffrages exprimés ».
La formulation est – volontairement – très vague.
François Perin livrera les explications suivantes
à cet égard :
« L’important était la reconnaissance du principe des trois régions. Pour le reste, nous savions
que les temps n’étaient pas encore mûrs. C’est
pour cette raison que l’application concrète de la
régionalisation a été laissée à une loi à majorité
spéciale. Il fallait prendre le temps et permettre
aux esprits d’évoluer. À vouloir trop, on n’aurait
rien eu. La loi, dit l’article 107quater, attribue
aux organes régionaux qu’elle crée la compétence
de régler les matières qu’elle détermine. C’est à
dessein qu’on a utilisé le verbe “régler”. Il était
très général et permettait donc de donner aux
normes régionales aussi bien une force réglementaire, comme les règlements des provinces et des
communes, qu’une force législative, comme les
décrets des conseils culturels »173.
43. Le principe des trois régions est donc
adopté, certes, de même que le fait que les organes
des régions seront composés de mandataires élus,
excluant la qualification de simple autorité administrative déconcentrée. C’est là le plus petit dénominateur commun qui, sous une forme qui plus est
ambiguë, permet d’emporter le suffrage des différentes tendances composant la coalition gouvernementale174.
Mais pour le reste, point d’accord à traduire
dans la Constitution.
Les esprits prendront bien des années pour évoluer et s’accorder sur la concrétisation des régions,
tout spécialement à cause de l’impossibilité de
trouver une formule pour la troisième région qui
agrée les deux grandes communautés.
« La concrétisation de l’article 107quater allait
être longue, particulièrement pour Bruxelles, où se
posait le problème de la composition linguistique
des organes de la future région, qui constituait
une pierre d’achoppement entre partis flamands et
francophones »175.
En outre, le constituant n’a pas précisé l’étendue
de la compétence déléguée aux organes régionaux,
sous réserve du fait que sont exclues les matières
linguistiques et culturelles confiées aux Conseils
culturels en vertu des articles 23 et 59bis de la
173
Explications de F. PERIN, reprises dans A. MÉAN, op. cit., p. 181.
Ph. DE BRUYCKER, « Bruxelles dans la réforme de l’État », op. cit., p. 8.
175
C. SÄGESSER, Les pouvoirs à Bruxelles, Bruxelles, CRISP, 2002, fascicule 1er, p. 9.
174
125
ADMINISTRATION PUBLIQUE
Constitution176, précision vraisemblablement voulue
par les Flamands « pour s’assurer que les compétences des communautés ne soient ultérieurement
exercées par la région de Bruxelles, ce qui aurait
coupé les Flamands de Bruxelles de la Flandre »177.
« À ce stade, les régions n’ont ni limites géographiques, ni organes de gestion, ni compétences :
ces éléments doivent être déterminés ultérieurement par une loi spéciale »178.
De même, le pouvoir fiscal propre n’est plus
envisagé : le financement des institutions régionales devra se faire par des subventions à charge
du budget général de l’État179.
Chapitre 3 – L’éternel problème des limites du territoire bruxellois
44. Plus fondamentalement encore, se pose la
question de la délimitation des trois régions dont
l’existence de principe a ainsi été arrêtée constitutionnellement, une loi spéciale étant appelée à en
définir les contours.
À la vérité, « dans les années qui ont suivi
l’adoption de l’article 107quater, le débat politique
belge a été profondément marqué par la difficulté
qu’a un État unitaire à se fédéraliser alors qu’il
comporte sur son territoire une ville dont l’importance lui a valu le statut de capitale, problème bien
plus aigu que celui d’États indépendants en voie de
se fédérer qui, faisant le chemin inverse, sont amenés à se choisir une capitale fédérale commune »180.
Certes, « il est (…) admis, dès ce moment, que
la Belgique ne saurait comprendre que “trois”
régions, que la carte régionale de la Belgique ne
saurait comprendre de “blanc” et que, dès l’instant
où le territoire de la Région wallonne et celui de la
Région flamande auraient été arrêtés, le territoire
résiduel serait assigné à la Région bruxelloise »181.
Il n’en demeure pas moins que le ressort territorial de ces régions, auxquelles on assigne d’abord
– en dépit des dénégations des uns et des autres –
une vocation économique, n’est pas figé dans les
esprits ou qu’en tout cas, tout le monde n’est pas
persuadé que l’amplitude d’une région du point de
vue de ce qui n’est pas strictement culturel doive
correspondre au ressort des régions linguistiques182.
Certains préconisent la création d’un territoire
bruxellois comprenant les dix-neuf communes
et les six communes à facilités, d’autres encore
176
Voy. les articles 30, 127, 128 et 129 de la Constitution coordonnée.
Ph. DE BRUYCKER, « Bruxelles dans la réforme de l’État », op. cit., p. 9.
178
P. WYNANTS, « Origines, caractères et évaporation du fédéralisme en
Belgique », op. cit., p. 1013.
179
P. WIGNY, op. cit., p. 181.
180
Ph. DE BRUYCKER, « Bruxelles dans la réforme de l’État », op. cit., p. 4.
181
F. DELPÉRÉE, F.-X. DUBOIS et C. FRÉMAULT-DE CRAYENCOUR, op. cit., p. 258.
182
Voy. à ce propos P. WIGNY, op. cit., pp. 177-178, mais aussi P. DE
STEXHE, op. cit., p. 183.
177
126
visent l’ensemble de l’arrondissement électoral ou
même la vallée de la Senne183.
En l’absence d’accord, il suffit naturellement de
remettre la question à plus tard.
45. En 1968, pour justifier le report de la fixation
des limites proposées pour les régions, le gouvernement avait renvoyé à l’adoption ultérieure du « projet 125 », soit le texte qui deviendra la loi-cadre du
15 juillet 1970 portant organisation de la planification et de la décentralisation économique184.
Il avait ainsi expliqué à la Chambre, pour résoudre
« le délicat problème » de la délimitation des régions
prévues à l’article 107quater de la Constitution,
« qu’une fois en application le projet 125 et organisés
les conseils économiques consultatifs, les conseils
provinciaux seront consultés pour la constitution des
sociétés de développement régional. On se fera ainsi
une meilleure image des régions économiques dont
le législateur, finalement, devra limiter l’aire »185.
La fixation du ressort géographique des sociétés
de développement régional constituerait en quelque
sorte une préfiguration des limites régionales186.
46. À dire vrai, « on faisait sur Bruxelles mille
hypothèses, fondées sur des arguments économiques toujours insaisissables, comme s’il y
avait en cette matière des critères objectifs qui se
seraient imposés scientifiquement aux yeux de
tous. En réalité, ni les Wallons ni les Flamands
ne voulaient lâcher leur partie du Brabant. L’affaire se révélait foncièrement politique »187.
Comme par hasard, aux termes de l’unique
article de l’arrêté royal du 2 août 1972188, la
société de développement régional bruxellois aura
pour ressort l’arrondissement administratif de
Bruxelles-Capitale, soit les dix-neuf communes…
Et, entre-temps, alors que les conseils culturels
sont organisés par les lois des 3 et 21 juillet 1971,
les lois d’application de l’article 107quater ne sont
pas adoptées, dans la mesure où, de l’avis du gouvernement, « elles soulèvent des problèmes trop
délicats pour être improvisées »189…
Il est vrai que « la Flandre n’est pas pressée de
voir naître les régions, d’autant plus qu’elle considère que les Wallons ont été payés par le vote de
la loi Terwagne190 sur la décentralisation et la planification économique »191.
183
X, « Bruxelles et la réforme des institutions », C.H. CRISP, no 613 du
14 septembre 1973, p. 8.
184
M.B., 21 juillet 1970.
185
Rapport Lindemans, op. cit., Doc. parl., Ch., sess. extr. 1968, no 10-33/1, p. 15.
186
A. DELCAMP, op. cit., p. 97.
187
F. PERIN, op. cit., p. 214.
188
M.B., 6 septembre 1972. Voy. la proposition du Conseil économique
régional pour le Brabant visée dans le rapport au Roi précédant l’arrêté royal.
189
P. WIGNY, op. cit., p. 44.
190
Du nom du ministre qui en a promu l’adoption, Freddy Terwagne, par
ailleurs grand artisan de la réforme de l’État de 1970.
191
A. MÉAN, op. cit., pp. 165 et 170.
ADMINISTRATION PUBLIQUE
Dans le même ordre d’idées, il n’est pas interdit
de penser que les Flamands se sont résignés à voter
l’article 107quater avec la ferme intention de ne
jamais l’appliquer, en tout cas en ce qui concerne
la Région bruxelloise, mais afin d’offrir une contrepartie à l’autonomie culturelle à laquelle ils aspiraient192.
47. La région bruxelloise existe donc sur le
papier en 1970, et dès 1972, un territoire à nouveau limité aux dix-neuf communes semble lui
être dessiné, en filigrane de l’exécution de la loi
de décentralisation économique.
Il appartient toutefois encore à la loi spéciale, à
adopter en application de l’article 107quater, de
fixer expressément « le ressort » d’organes régionaux qu’il lui revient également de créer.
Officiellement, la discussion relative aux limites
de la région n’est donc pas close.
De même, si ce n’est que l’on sait d’emblée en
lisant l’article 107quater que ces organes régionaux ne pourront régler des matières communautaires – visées aux articles 23 et 59bis de la
Constitution – le législateur spécial doit encore
déterminer les attributions de ces régions composées de mandataires élus.
Or les Flamands, qui ont revendiqué et enfin
obtenu la reconnaissance de leur communauté,
« ne souhaitent nullement défaire, en tout cas à ce
moment-là, et surtout les plus nationalistes d’entre
eux, par la régionalisation un État unitaire dont ils
ont pris le contrôle »193.
À tout le moins considèrent-ils que, dans la
mesure où l’article 107quater n’a pas précisé que
les trois régions devaient être parfaitement équivalentes ou semblables, la région bruxelloise peut, et
doit même, être le prolongement de chacune des
deux communautés, une sorte de Rijksgebied.
L’idée de définir pour la région qui entoure la
capitale un statut particulier, en sorte qu’elle soit
gérée conjointement par les communautés flamande et française, voire par l’État, est loin d’être
neuve. Elle reflète, encore et toujours, la perspective d’un fédéralisme à deux défendue au nord du
pays dès les premières propositions de lois formulées aux fins de réformer l’État unitaire194.
Les francophones, eux, estiment que la capitale
peut être une région égale aux deux autres195.
« Quel territoire ? Quelles attributions ? Quelles
institutions ? »196.
192
Ph. DE BRUYCKER, « Bruxelles dans la réforme de l’État », op. cit., p. 6.
A. DELCAMP, op. cit., p. 39.
194
Voy., pour un descriptif et une comparaison des toutes premières propositions, à commencer par celle de Herman De Vos en 1931, X, « Tableau
synthétique des projets de fédéralisme de 1931 à nos jours », C.H. CRISP,
no 129 du 14 novembre 1961. Voy. aussi A. DELCAMP, op. cit., pp. 45 et 47.
195
E. WITTE et J. CRAEYBECKX, op. cit., p. 436.
196
F. DELPÉRÉE, « Introduction », op. cit., p. 13.
193
La réponse que pourrait représenter l’article
107quater à ces questions n’est encore que virtuelle.
Le seul territoire juridique effectif est celui
de l’arrondissement administratif de BruxellesCapitale, aux vertus linguistiques et, désormais,
économiques, les seules institutions nouvelles
créées par la loi du 15 juillet 1970 portant organisation de la planification et de la décentralisation
économique étant des conseils économiques consultatifs et une société de développement régional.
TITRE 3 – LE SUBSTITUT DE L’AGGLOMÉRATION
Chapitre 1er – L’idée
48. « La région bruxelloise est née le 24 décembre
1970. Pourtant, pendant dix-neuf ans, nul n’a pu en
attester l’existence. À peine baptisé, l’enfant disparaissait, remplacé par des figures successives qui
n’étaient même pas des sosies »197.
Tandis que la mise sur pied des régions est différée, notamment parce qu’on cherche le ressort
de la région bruxelloise, l’action cumulative du
constituant et du législateur permet, entre 1970 et
1972, l’instauration d’une « figure » administrative qui, à tout le moins, ne laisse pas Bruxelles
sans réforme visible.
Cette figure consiste en un nouveau niveau de
pouvoir local, à partir duquel un certain nombre de
matières d’apparence régionale – qui, en tout cas,
pourraient se prêter à un traitement différencié à
ce niveau – seront réglées au niveau des dix-neuf
communes bruxelloises.
Il s’agira de l’Agglomération.
49. « Les raisons qui mènent à la création de
l’agglomération bruxelloise en 1970 sont multiples, voire complexes. Sans doute parce que ces
raisons ne peuvent être isolées de l’ensemble de
la révision constitutionnelle de 1970-1971, dont
l’histoire retiendra d’abord qu’elle assura dans
l’État belge la reconnaissance de l’autonomie des
communautés et des régions »198.
La figure trouve néanmoins déjà des racines
plus loin dans le passé.
« Devant l’incapacité des autorités à fixer un
statut des agglomérations, la Conférence (des
bourgmestres) décide de créer et d’installer
officiellement à l’hôtel de ville de Bruxelles le
19 mars 1968 un conseil provisoire de l’Agglomération bruxelloise. Ce conseil réunit tous les
bourgmestres et tous les échevins des dix-neuf
communes bruxelloises en vue d’harmoniser les
différentes politiques communales et de créer un
197
M.-Fr. RIGAUX, op. cit., p. 40. Voy. aussi Ph. DE BRUYCKER, « Bruxelles
dans la réforme de l’État », C.H. CRISP 1989, nos 1230-1231, p. 20.
198
Ibidem, p. 23.
127
ADMINISTRATION PUBLIQUE
esprit d’agglomération au sein des différents pouvoirs. Il fut dissous avec l’installation d’un nouvel
organe légal, le Conseil de l’Agglomération de
Bruxelles, le 12 juin 1972 »199.
Ainsi, donc, l’ancienne et toujours active Conférence des bourgmestres a-t-elle pu servir de source
d’inspiration pour la mise en place de l’Agglomération bruxelloise, offrant ainsi vraisemblablement
une raison pour les concepteurs de cette dernière
formule de ne pas bousculer l’histoire et de s’en
tenir, toujours, aux seules dix-neuf communes.
Chapitre 2 – La constitutionnalisation
50. Avant d’en arriver là, il faut toutefois adopter
les articles de la Constitution qui concernent cette
Agglomération bruxelloise, conformément à la solution de compromis globale annoncée le 18 février
1970 par le premier ministre Gaston Eyskens.
Avant lui, le premier ministre Théo Lefèvre, dans
un message adressé en décembre 1963 aux présidents de partis, leur signalait que la révision de
la Constitution à venir en 1970 reposait sur deux
objectifs majeurs, à savoir l’harmonisation des
relations entre Flamands et francophones et la
modernisation de l’État, soulignant que ces deux
objectifs devaient être liés de manière à ne pas
compromettre l’un au détriment de l’autre200.
Ainsi, même un problème relevant en principe
de la pure technique communale devient, selon
le gouvernement, dès lors qu’il s’agit d’organiser
l’agglomération bruxelloise, « un problème national
très sérieux »201, à ce point important qu’il ne peut
être laissé « exclusivement aux mains des Bruxellois »202, précisément parce que la solution du conflit
communautaire, pour être équilibrée, ne peut qu’être
globale.
La solution conçue pour l’agglomération revêt
donc politiquement une haute valeur symbolique :
« Bruxelles pourrait donner sur ce point un bel
exemple de compréhension et de tolérance, si cet
esprit apparaissait dans l’organe suprême de l’agglomération bruxelloise non seulement à l’égard
des deux communautés de ce pays, mais aussi à
l’égard de ceux qui, à Bruxelles, sont encore soumis pour un quart, pour un tiers, pour n’importe
quelle fraction, à une influence flamande, ce qui
est manifeste à Bruxelles »203.
Bruxelles, en tant que capitale, a des obligations
envers les deux communautés et il convient de
consacrer ce fait dans les textes qui la concernent,
199
V. COUMANS, « Archives de la Conférence des bourgmestres », op. cit., p. 2.
Annexe B à l’exposé des motifs du projet de déclaration relatif à la révision de la Constitution, Doc. parl., Ch., sess. 1964-1965, no 993/1.
201
Rapport Lindemans, op. cit., p. 27.
202
Ibidem, p. 27.
203
Rapport Lindemans, op. cit., p. 25.
200
128
et d’abord ceux qui permettent la création de l’agglomération bruxelloise204.
51. L’adoption des articles 108bis et 108ter
de la Constitution, proposée en premier lieu à la
Chambre, est donc cruciale.
Il est toutefois rappelé d’emblée que l’accord
gouvernemental repose sur une agglomération
composée des dix-neuf communes, sachant que
« lorsqu’il sera question des régions, on traitera
des régions, des organes et des limites »205 et que,
par ailleurs, il reviendra au législateur de décider
que les organes de l’agglomération seront également ceux de la région206.
La technique est toujours la même : le gouvernement prétend, comme il l’a fait lors de l’adoption de l’article 107quater, que la question de la
limite des régions sera tranchée plus tard, mais,
entre-temps, s’agissant de décisions relatives au
ressort d’institutions qui préfigurent ce débat, les
dix-neuf communes restent le seul compromis
possible…
Les initiateurs de la réforme prennent donc une
décision soi-disant provisoire en attendant de trancher plus tard.
Dans ces conditions, « finalement la plupart
des députés bruxellois francophones et des députés wallons refusent de voter une réglementation
qui compromet, à leur sens, le développement de
l’agglomération bruxelloise. À la séance publique
du 30 juin 1970, l’article 108ter n’est pas adopté,
faute de quorum constitutionnel des présences »207.
En réalité, toute la révision constitutionnelle,
en ce compris l’adoption de l’article 107quater,
déjà évoqué, est bloquée en raison de l’impossibilité de résoudre le problème bruxellois. Il ne sera
réglé qu’au lendemain des élections communales
du 11 octobre 1970, que les listes francophones
bruxelloises remportent largement, après amendement de ses propositions par le gouvernement208.
Le texte des articles 108bis et 108ter, tels
qu’adoptés, se présente finalement comme suit209.
204
Ibidem, p. 34.
Ibidem, p. 22.
Ibidem, p. 23.
207
P. WIGNY, op. cit., p. 37.
208
P. DE STEXHE, op. cit., pp. 314-315. P. WIGNY, op. cit., p. 38, et la référence au rapport fait au nom des commissions réunies de révision de la Constitution et de l’intérieur par M. Meyers, à propos d’un projet de loi modifiant
les lois sur l’emploi des langues en matière administratives, coordonnées le
18 juillet 1966, Doc. parl., Ch., sess. 1970-1971, no 798/5. Voy. aussi révision
de la Constitution, révision de l’article 126, article 108ter nouveau, deuxième
rapport complémentaire fait au nom de la Commission de révision de la Constitution par M. Lindemans, Doc. parl., Ch., sess. extr. 1968, no 10-33/8. Il résulte
des amendements proposés par le gouvernement que la parité linguistique au
sein du collège de l’Agglomération est instaurée sans période transitoire, que
l’idée d’une majorité spéciale pour le vote de la loi relative au statut de l’agglomération bruxelloise est abandonnée et que ladite loi sera votée au plus vite,
pour permettre à la liberté du père de famille – négociée en parallèle et qui fait
partie de l’équilibre global – d’être acquise au 1er septembre 1971.
209
Révision de la Constitution du 24 décembre 1970, M.B., 30 décembre
1970.
205
206
ADMINISTRATION PUBLIQUE
Il mérite d’être reproduit intégralement, car il
prophétise en quelque sorte les réformes ultérieures.
« Art. 108bis. § 1er. La loi crée des agglomérations et des fédérations de communes sur tout le
territoire du Royaume. Elle détermine leur organisation et leur compétence en consacrant l’application des principes énoncés à l’article 108.
Il y a pour chaque agglomération et pour chaque
fédération un conseil et un collège exécutif.
Le président du collège exécutif est élu par le
conseil, en son sein ; son élection est ratifiée par
le Roi ; la loi règle son statut.
Les articles 107210 et 129211 s’appliquent aux
arrêtés et règlements des agglomérations et des
fédérations de communes.
Les limites des agglomérations et des fédérations de communes ne peuvent être changées ou
rectifiées qu’en vertu d’une loi.
§ 2. La loi crée l’organe au sein duquel chaque
agglomération et les fédérations de communes les
plus proches se concertent aux conditions et selon
le mode qu’elle fixe, pour l’examen de problèmes
communs de caractère technique qui relèvent de
leur compétence respective.
§ 3. Plusieurs fédérations de communes peuvent
s’entendre ou s’associer entre elles ou avec une
ou plusieurs agglomérations dans les conditions et
suivant le mode à déterminer par la loi pour régler
et gérer en commun des objets qui relèvent de leur
compétence. Il n’est pas permis à leurs conseils de
délibérer en commun.
Art. 108ter. § 1er. L’article 108bis s’applique à
l’agglomération à laquelle appartient la capitale
du Royaume, sous réserve de ce qui est prévu ciaprès.
§ 2. Pour les cas déterminés dans la Constitution
et dans la loi, les membres du conseil de l’agglomération sont répartis en un groupe linguistique
français et un groupe linguistique néerlandais de
la manière fixée par la loi.
Le collège exécutif est composé d’un nombre
impair de membres. Le président excepté, il
compte autant de membres du groupe linguistique
français que du groupe linguistique néerlandais.
§ 3. Sauf pour les budgets, une motion motivée,
signée par les trois quarts au moins des membres
d’un groupe linguistique du conseil de l’agglomération, et introduite avant le vote final en séance
publique, peut déclarer que les dispositions qu’elle
désigne dans un projet ou une proposition de
règlement ou d’arrêté du conseil d’agglomération
peuvent porter gravement atteinte aux relations
entre les communautés.
Dans ce cas, la procédure au sein du conseil
d’agglomération est suspendue et la motion est
renvoyée au collège exécutif qui, dans les trente
jours, émet son avis motivé à ce sujet et amende le
projet ou la proposition s’il échet.
La tutelle relative au règlement ou à l’arrêté pris
après cette procédure, est exercée par le Roi sur
proposition du conseil des ministres.
Cette procédure ne peut être appliquée qu’une fois
par les membres d’un groupe linguistique concernant un même projet ou une même proposition.
§ 4. Dans l’agglomération, il existe une commission française de la culture et une commission
néerlandaise de la culture212, qui sont composées
d’un même nombre de membres élus respectivement par le groupe linguistique français et par le
groupe linguistique néerlandais du conseil d’agglomération.
Elles ont, chacune pour sa communauté culturelle, les mêmes compétences que les autres pouvoirs organisateurs :
1° en matière préscolaire, postscolaire et culturelle ;
2° en matière d’enseignement.
§ 5. La commission française et la commission
néerlandaise de la culture constituent ensemble
les Commissions réunies. Les décisions des Commissions réunies ne sont adoptées que si elles
obtiennent dans chaque commission la majorité
des voix émises.
Les Commissions réunies sont compétentes
pour les matières prévues au paragraphe 4 qui sont
d’intérêt commun et pour la promotion de la mission nationale et internationale de l’agglomération.
§ 6. Les commissions visées aux paragraphes 4
et 5 remplissent également les missions dont elles
sont chargées par le pouvoir législatif, les conseils
culturels ou le gouvernement.
La loi règle l’organisation et le fonctionnement
de ces commissions ».
52. L’article 108213, auquel renvoie l’article
108bis, et qui est relatif aux institutions provinciales
et communales, n’est pas dénué d’intérêt non plus.
Il fait, en effet, apparaître « l’ossature institutionnelle des nouvelles entités, en disposant qu’il
doit être fait droit aux principes suivants :
1° élection directe des membres des conseils ;
2° attribution aux conseils de tout ce qui relève
de l’intérêt de l’entité qu’ils sont appelés à régir ;
3° décentralisation des attributions ;
4° publicité des séances des conseils dans les
limites établies par la loi ;
5° publicité des budgets et des comptes ;
210
212
211
213
Actuel article 159 de la Constitution.
Actuel article 190 de la Constitution.
À propos des commissions de la culture, voy. infra, le titre 4.
Devenu l’article 162 de la Constitution.
129
ADMINISTRATION PUBLIQUE
6° intervention de l’autorité de tutelle ou du
pouvoir législatif, pour empêcher que la loi ne soit
violée ou l’intérêt général blessé »214.
53. De manière évidente, la structuration de
l’agglomération « à laquelle appartient la capitale
du Royaume » présente des spécificités qui la font
ressembler, en miniature, aux autorités nationales
telles qu’elles viennent d’être rénovées à l’occasion de la réforme de l’État.
Ainsi, tout d’abord, la répartition en groupes
linguistiques au sein du Conseil et du Collège
est la réplique de celle qui a été mise sur pied au
niveau du Parlement national.
Ensuite, la parité au Collège est, elle aussi, le
reflet de celle qui est organisée au sein du Conseil
des ministres215.
Le parallélisme avec le niveau national est
encore manifeste avec l’instauration du mécanisme de la sonnette d’alarme : « on a prévu une
sonnette d’alarme au niveau national à la demande
des Wallons, et du côté flamand, on s’est posé la
question de savoir si on ne pouvait pas prévoir une
disposition parallèle au sein de l’agglomération. Il
s’agit donc d’une question d’équilibre sur le plan
psychologique »216.
Le mécanisme est accompagné, en l’occurrence, d’une tutelle qui n’est pas celle normalement dévolue au ministre de l’Intérieur en matière
de pouvoirs locaux, mais au Roi, sur proposition
du conseil des ministres, manière de bénéficier, ici
encore, de la garantie d’un contrôle paritaire sur
les solutions apportées aux conflits bruxellois par
les Bruxellois eux-mêmes217.
54. Curieusement, l’utilité de la sonnette
d’alarme bruxelloise, compte tenu d’une tutelle
nationale paritaire n’est pas remise en question,
en dépit des réflexions d’un parlementaire :
« La différence fondamentale entre des délibérations qui peuvent être prises par une assemblée
délibérante de caractère national (une des deux
Chambres ou les deux Chambres, par exemple), et
celles qui peuvent être prises par un pouvoir qui, en
dépit de la décentralisation des attributions, demeurera un pouvoir subordonné, réside dans le fait que,
contrairement à une assemblée de caractère national, le pouvoir subordonné a une tutelle. Ce sera le
214
Projet de loi organisant les agglomérations et les fédérations de communes, exposé des motifs, Doc. parl., Ch., sess. 1970-1971, no 973/1, p. 2.
215
La parité au sein de l’agglomération a été jugée « d’autant plus remarquable que cette institution, qui entre dans la catégorie des pouvoirs subordonnés, avait à s’occuper de problèmes locaux ne regardant que les Bruxellois et
qui auraient dû à ce titre échapper à la problématique communautaire » (Ph. DE
BRUYCKER, « Bruxelles dans la réforme de l’État », op. cit., p. 17).
216
Rapport Lindemans, Doc. parl., Ch., sess. extr. 1968, no 10-33/1, p. 42.
Voy., pour une confirmation de ce besoin de trouver un équilibre sur plan
psychologique, P. DE STEXHE, op. cit., p. 317.
217
Voy. à ce sujet, le rapport Lindemans, op. cit., Doc. parl., Ch., sess. extr.
1968, no 10-33/1, pp. 42 et 44.
130
cas de l’agglomération bruxelloise telle qu’elle est
envisagée (…) Dès lors, pourquoi prévoir un dispositif spécial pour l’agglomération bruxelloise ? »218.
Il lui est simplement répondu que s’il a raison sur
le plan purement théorique, la procédure d’alarme
doit être maintenue parce que l’on se place dans
l’optique des relations communautaires. « L’intention, en ce qui concerne les relations communautaires éventuelles est donc d’amener le conseil
d’agglomération à accorder une attention particulière à ces problèmes en le plaçant devant cette responsabilité, en insistant sur un dialogue entre les
deux groupes linguistiques et entre le conseil et le
collège exécutif, lorsqu’un conflit menace »219.
En filigrane du débat sur la question, pointe
toutefois l’argument selon lequel, depuis 1932,
la tutelle serait précisément restée en défaut à
Bruxelles…220 L’avenir engendrera une inversion
de la tendance puisqu’à une sonnette d’alarme
finalement inutilisable, il sera répondu par un
exercice rythmé de la tutelle221.
55. Enfin, l’existence d’une commission de la
culture, qui plus est, dédoublée222, est une caractéristique que le constituant a voulu garantir pour
l’agglomération bruxelloise.
L’intention initiale était pourtant de ne faire
aucune distinction entre Bruxelles et les autres
agglomérations, puisqu’il était préconisé que
toutes les agglomérations aient un organe culturel distinct : « … aussi bien Liège qu’Anvers ont
de très grands problèmes financiers en ce qui
concerne les musées et les théâtres. On aimerait
voir ces problèmes transférés à un organe plus
important que la ville où ils sont localisés. »223
Ainsi, chaque grande agglomération aurait une
institution propre pour la culture, « mais Bruxelles
en aurait deux »224.
À l’issue des travaux du Groupe des vingt-huit,
cependant, Bruxelles est la seule pour laquelle la
création de commissions de la culture est encore
envisagée225.
56. Le constituant ne règle pas la question du
ressort de cette agglomération qui abrite la capitale du pays. Il est renvoyé, à ce sujet, au législateur, qui devra prendre ses responsabilités.
Dans le cadre des travaux parlementaires, du
côté du ministre, en dépit de l’accord gouvernemental, il est – poliment ? – indiqué que le débat
reste ouvert : « on peut considérer que cette agglo218
Ibidem, p. 43, mais aussi p. 45.
Ibidem, p. 44.
220
Ibidem, p. 45.
221
Voy. infra, chapitre 4.
222
À ce sujet, voy. infra, titre 4.
223
Rapport Lindemans, Doc. parl., Ch., sess. extr. 1968, no 10-33/1, p. 48.
224
Ibidem, p. 48.
225
Ibidem, p. 48.
219
ADMINISTRATION PUBLIQUE
mération doit être placée sur le même pied que les
régions linguistiques, mais on peut dire tout aussi
bien que les régions linguistiques et les grandes
agglomérations sont des notions différentes »226.
Parmi les députés, tant ceux qui considèrent
qu’« il ne pourrait qu’y avoir une seule limite qui
est en même temps celle de la région linguistique,
de l’agglomération et de la région économique »227
que ceux qui estiment que les questions d’agglomération telles que l’infrastructure ou l’organisation du territoire sont des problèmes qui dépassent
les limites des dix-neuf communes228, acceptent en
définitive de remettre le débat à plus tard, tout en
déplorant la situation.
Chapitre 3 – La légalisation
57. Alors que le gouvernement a commencé
par déposer un projet de loi d’application de l’article 108ter extrêmement complet229, il rétrograde
pour mieux le faire passer, et fait adopter un projet
de loi-cadre230 qui devient la loi du 26 juillet 1971,
organisant les fédérations et les agglomérations de
communes231.
À cette occasion, le gouvernement distingue et
mélange tout à la fois les concepts qu’il avait veillé
à sérier dans le cadre des travaux du constituant :
« (…) pour que la décentralisation et la déconcentration puissent s’effectuer avec fruit, il est
indispensable que des entités politiques et administratives viables puissent prendre le relais de
l’action de l’État unitaire.
Ces entités seront, à n’en pas douter sur le plan
communautaire proprement dit, les communautés et les régions. Mais bien d’autres questions
existent à l’heure actuelle, dans notre pays, que
les problèmes communautaires. La solution de ces
questions ne peut être envisagée que si les pouvoirs locaux trouvent dans la Belgique de demain
une assise meilleure et plus solide que l’émiettement que nous connaissons aujourd’hui »232.
C’est, ainsi, parce que les localités ne disposent
pas de moyens suffisants pour rencontrer des besoins
226
Ibidem, p. 59.
Ibidem, p. 67.
228
Ibidem, p. 69. Voy. aussi p. 72.
229
Doc. parl., Ch., sess. 1970-1971, no 868/1. Le premier projet de loi
déposé le 9 février 1971 « soulève immédiatement d’importantes objections. Il
est beaucoup trop long. (…) Comment serait-il possible de voter une loi aussi
importante avant la date fixée ? D’autres objections touchent au fond. Si, en
droit, on reconnaît la nécessité des fédérations, en fait chacun les redoute pour
sa commune. Les compétences ne sont-elles pas trop largement transférées ?
(…) D’une manière plus générale, ce bouleversement va-t-il se faire par décision gouvernementale, sans l’accord des communes intéressées ? L’opposition
est si vive que le gouvernement retire le projet, et en dépose un nouveau, le
7 mai 1971 » (P. WIGNY, op. cit., pp. 194-195).
230
Doc. parl., Ch., sess. 1970-1971, no 973/1.
231
M.B., 24 août 1971.
232
Projet de loi organisant les agglomérations et les fédérations de communes, exposé des motifs, Doc. parl., Ch., sess. 1970-1971, no 973/1, p. 1.
227
qui doivent être rencontrés dans les limites de circonscriptions territoriales restant à taille humaine,
tels que « le logement, l’emploi, l’éducation, la
santé, les loisirs, les transports », que la solution de
l’agglomération et de la fédération est avancée233.
Les compétences de l’agglomération ne seraient
donc que des compétences strictement communales
qui lui seraient transférées par ou en vertu de la loi.
Il est toutefois reconnu, dans un second temps,
que l’article 108ter de la Constitution, dont la loi
projetée doit régler les détails, « répond à la nécessité de prévoir un statut particulier pour Bruxelles,
cœur et centre nerveux du pays, point de rencontre
de deux communautés culturelles dont il est indispensable d’organiser en son sein la coexistence
harmonieuse et équilibrée »234.
Autrement dit, l’agglomération et la fédération
de communes n’entretiennent en principe aucun
rapport avec les « problèmes communautaires »,
sauf à Bruxelles, où toutes les institutions, fussentelles supracommunales, doivent constituer une
réponse adéquate à ces problèmes.
Ces particularités bruxelloises « commandent
des dispositions particulières en matière législative comme elles l’ont fait en matière constitutionnelle »235. La spécificité de cette agglomération
par rapport aux autres justifie également que le
législateur la constitue d’emblée et d’office236,
même si, pourtant, il est bien envisagé que chaque
commune du pays se retrouve, à terme, soit dans
une agglomération, soit dans une fédération,
moyennant une démarche qui restera cependant
volontaire237.
58. Première réponse du législateur à la
dimension communautaire du sujet, ou concrétisation des « arrière-pensées politiques »238 des
auteurs de la loi, l’agglomération bruxelloise est
bien limitée territorialement aux seules dix-neuf
communes239.
En réaction à des amendements tendant à faire
fixer ce territoire en tenant compte de données
sociologiques et économiques et après consultation
d’un certain nombre de communes limitrophes,
le ministre des Relations communautaires, Léo
Tindemans, n’hésite d’ailleurs pas à recourir à la
« figure » de la Conférence des bourgmestres pour
dire que cette instance a librement adopté la déli233
Ibidem, p. 5.
Ibidem, p. 4.
235
Ibidem, p. 11.
236
Donc sans organiser de consultation préalable des conseils communaux
des communes concernées, comme la loi le prévoit en principe.
237
Projet de loi organisant les agglomérations et les fédérations de communes, rapport fait au nom de la commission spéciale par MM. Deruelles et
Verroken, Doc. parl., Ch., sess. 1970-1971, no 973/20, pp. 4, 11 et 12.
238
M. LEROY, op. cit., p. 64.
239
Article 61 de la loi du 26 juillet 1971, disposition toujours en vigueur
aujourd’hui.
234
131
ADMINISTRATION PUBLIQUE
mitation du territoire de l’agglomération actuelle,
entérinée dans le projet240.
L’ancêtre – toujours vivant – de la Conférence
des bourgmestres est donc appelé à la rescousse
pour signaler que le choix des dix-neuf communes
repose sur une réalité tangible, objective, et qui
s’est spontanément formée.
Dans le même contexte, et même si l’exposé des
motifs du projet de loi ne le confirme pas expressément241, la création, directement par le législateur242, de cinq fédérations de communes autour
de Bruxelles – Asse, Hal, Tervueren, Vilvorde et
Zaventem –, est à l’évidence de nature à contenter
le nord du pays, qui constate ainsi que les six communes à facilités sont mêlées à une « ceinture »243
de fédérations de communes flamandes, facteur
susceptible de freiner toute extension de la « tache
d’huile » francophone244.
L’arrière-pensée politique est assez facilement
décelée.
En réponse aux soupçons de certains députés,
le ministre de l’Intérieur, Lucien Harmegnies,
affirme pourtant, en commission, que « ce sont
bien des critères objectifs qui ont présidé aux choix
qui ont été faits en ce qui concerne les fédérations
périphériques à l’agglomération bruxelloise et que
toutes les hypothèses, tant les minimalistes que les
plus larges, ont été envisagées »245.
En dépit de ces explications, que voudront bien
croire les plus naïfs, la supracommunalité est
donc, ici aussi, une réponse aux enjeux communautaires qui se nouent autour de Bruxelles.
Le ministre de l’Intérieur insistera d’ailleurs
encore sur le fait que la délimitation des fédérations périphériques est le fruit d’un accord réalisé au sein du gouvernement, tout en indiquant,
selon un procédé rhétorique devenu classique – et
éprouvé –, que dans le cadre de l’opération visant
à diviser tout le territoire de la province de Brabant en fédérations, qui aura lieu « au plus tôt »,
240
Rapport Deruelles et Verroken, op. cit., p. 52.
Est évoquée la nécessité de « ne point favoriser une extension démesurée de nos grandes agglomérations qui, vu l’ampleur de leur population,
et leur puissance sociale, économique et culturelle, serait susceptible, dans
un pays de la taille de la Belgique, de susciter de dangereux déséquilibres »
(projet de loi organisant les agglomérations et les fédérations de communes,
exposé des motifs, Doc. parl., Ch., sess. 1970-1971, no 973/1, p. 4, voy.
aussi p. 12).
242
Ici aussi par dérogation au principe fixé dans la loi, selon lequel une
consultation préalable des communes concernées doit être organisée avant de
constituer une fédération.
243
On parle de la « ceinture d’émeraude », ou du « Gordel ».
244
A. MÉAN, op. cit., p. 177. Voy. aussi M. LEROY, op. cit., p. 65. Les fédérations périphériques créées par l’article 24 de la loi du 26 juillet 1971 seront
toutefois supprimées à l’occasion de l’adoption de la loi du 30 décembre 1975
portant : 1° ratification d’arrêtés royaux pris en exécution de la loi du 23 juillet
1971 concernant la fusion de communes et la modification de leurs limites ;
2° suppression des fédérations périphériques créées par la loi du 26 juillet 1971
organisant les agglomérations et les fédérations de communes (M.B., 23 janvier
1976).
245
Rapport Deruelles et Verroken, op. cit., p. 13.
241
132
il n’est pas exclu que les limites des fédérations
actuellement visées soient modifiées246.
59. Les attributions des agglomérations ou
fédérations de communes, telles que fixées à l’article 4 de la loi du 26 juillet 1971, sont les suivantes :
« § 1er. Les agglomérations et les fédérations
encouragent la coordination des activités des communes, et notamment la coordination technique
des services de police communale.
§ 2. Les attributions des communes dans les
matières suivantes sont transférées à l’agglomération ou à la fédération :
1° l’adoption de plans généraux d’aménagement ;
2° l’avis sur les plans particuliers d’aménagement ;
3° l’avis sur le plan de secteur ;
4° la réglementation de la bâtisse et du lotissement ;
5° l’enlèvement et le traitement des immondices ;
6° le démergement247 ;
7° le transport rémunéré de personnes ;
8° l’expansion économique ;
9° la défense et la protection de l’environnement,
en ce compris les espaces verts, la lutte contre le bruit
et la pollution ainsi que la rénovation des sites ;
10° la lutte contre l’incendie ;
11° l’aide médicale urgente.
§ 3. Avec l’accord ou à la demande de la moitié
au moins des communes qui la composent, et pour
autant que ces communes représentent les deux
tiers de la population, l’agglomération ou la fédération peut régler :
1° la création, la reprise, la gestion et l’éclairage
de la voirie d’agglomération ou de fédération, les
règlements complémentaires ayant pour objet la
police de la circulation routière sur cette voirie, les
plans d’alignement y afférents, ainsi que la délivrance de permis de lotir impliquant la création ou
la modification de cette voirie ;
2° les aéroports ;
3° la détermination de l’emplacement des marchés publics d’intérêt d’agglomération, de fédération ou régional ;
4° les abattoirs ;
5° les parkings publics ;
6° la promotion, l’accueil et l’information en
matière de tourisme ;
7° le camping, en ce compris le caravaning ;
8° les fours crématoires et les columbariums ;
9° l’organisation de services d’aide technique
aux communes qui la composent.
246
Ibidem, pp. 52-53.
Pour une définition, voy. le rapport Deruelles et Verroken, op. cit., p. 25.
247
ADMINISTRATION PUBLIQUE
§ 4. L’agglomération ou la fédération exerce en
outre :
1° les attributions actuellement exercées par l’État
ou la province qui lui sont confiées dans le cadre de
la décentralisation et de la déconcentration ;
2° les attributions que le conseil d’agglomération
ou de fédération accepte d’exercer à la demande
d’une ou plusieurs communes de son territoire.
§ 5. Dans les matières visées aux paragraphes 2, 3
et 4, l’agglomération et la fédération disposent d’un
pouvoir de décision qui est exercé, suivant les dispositions de la présente loi, par leurs organes compétents.
Ces organes exercent par voie d’arrêtés et de
règlements les attributions qui leur sont conférées.
Pour tout autre problème qui concerne l’agglomération ou la fédération, celle-ci est habilitée à
adresser des recommandations aux autorités communales ».
Alors qu’en vertu de l’article 108ter de la Constitution, le législateur aurait pu confier à l’agglomération et à la fédération tout ce qui est de l’intérêt
de l’agglomération ou de la fédération, de la même
manière que les communes peuvent régler tout ce
qui est d’intérêt communal et les provinces tout ce
qui est d’intérêt provincial, il a préféré procéder par
énumération des attributions transférées aux agglomérations et aux fédérations de communes248.
L’histoire ne dit pas si la méthode a été choisie dans la mesure où l’agglomération bruxelloise
préfigurait la Région, pour laquelle la technique
de l’attribution de compétences « énumérées »
sera également utilisée.
Chapitre 4 – La concrétisation
60. Le Conseil de l’Agglomération de Bruxelles
est installé le 12 juin 1972.
Les élections d’agglomération du 21 novembre
1971 tournent toutefois à la duperie, qu’un parlementaire avait pourtant prédite, puisqu’il a même
tenté de faire voter un amendement aux fins d’obtenir que « les candidats au conseil de l’Agglomération
bruxelloise appartiennent réellement à la communauté linguistique qu’ils désirent représenter »249.
Le ministre de l’Intérieur, tout en comprenant
le souci d’éviter que « la parité soit contredite »,
avait néanmoins proposé d’en rester aux termes du
projet de loi, dans la mesure où le vote de l’amendement « introduirait la notion de sous-nationalité
dans notre système électoral »250.
248
R. ANDERSEN, « Les compétences des institutions bruxelloises », in
R. ANDERSEN, G. BROUHNS, F. DELPÉRÉE, F. JONGEN, M.-F. RIGAUX, H. SIMONART et M. VERDUSSEN, La Région de Bruxelles-Capitale, Bruxelles, Bruylant,
1989, p. 263.
249
Voy. la discussion de cet amendement, dans le rapport Deruelles et Verroken, op. cit., Doc. parl., Ch., sess. 1970-1971, no 973/20, p. 56.
250
Ibidem, p. 53.
Résultat : l’appartenance d’un conseiller d’agglomération au groupe linguistique français ou
au groupe linguistique néerlandais est déterminée
par la seule déclaration du candidat, laquelle est
irréversible pendant toute la durée de son mandat251.
Le FDF parvient, sur cette base, à faire élire sur
les listes du Rassemblement bruxellois des candidats qui ont prétendu être néerlandophones alors
qu’ils ne l’étaient pas.
Conséquence de cette attitude, non seulement,
sur les 83 élus au Conseil, seuls 30 sont officiellement néerlandophones, mais en outre, la moitié
des membres néerlandophones du Collège d’agglomération sont issus du Rassemblement bruxellois. Au sein du Conseil lui-même, il est, dans
ces conditions de représentation, tout simplement
impossible d’actionner le mécanisme de la sonnette d’alarme prévu par le constituant252.
L’attitude de ceux qu’on surnommera ensuite
les « faux flamands » du FDF aura, tel un véritable
« péché originel »253, d’importantes et fâcheuses
conséquences.
C’est notamment la collaboration avec la tutelle
qui sera mise à mal, la plupart des décisions de
l’agglomération étant appelées à subir la suspension ou l’annulation de l’autorité nationale254.
La vie de l’Agglomération sera « tumultueuse »
et « émaillée par de très nombreux incidents communautaires »255.
« Le détournement du sens de la loi pèsera sur
le Conseil d’agglomération durant toute son existence. À tel point qu’il ne sera jamais renouvelé,
francophones et néerlandophones ne parvenant
pas, avant août 1987, à se mettre d’accord sur de
nouvelles règles d’élection »256, 257.
C’est alors qu’un article 62ter sera inséré dans
la loi du 26 juillet 1971 aux fins de régler dans
le détail les conditions et les conséquences de la
présentation de candidats de groupes linguistiques
différents sur une même liste : la dévolution des
sièges partira du principe que les listes étaient
néanmoins distinctes258.
251
Projet de loi organisant les agglomérations et les fédérations de communes, exposé des motifs, Doc. parl., Ch., sess. 1970-1971, no 973/1, p. 20.
252
Voy., à ce propos, E. WITTE et J. CRAEYBECKX, op. cit., pp. 433-434.
253
A. DELCAMP, op. cit., p. 84.
254
X, « Bruxelles et la réforme des institutions », C.H. CRISP, no 613 du
14 septembre 1973, p. 8.
255
Ph. DE BRUYCKER et N. LAGASSE, « Bruxelles dans la réforme de l’État
belge », op. cit., p. 233.
256
A. MÉAN, op. cit., p. 180. Voy. aussi F. PERIN, op. cit., pp. 218-219,
A. DELCAMP, op. cit., p. 54, ou encore K. RIMANQUE, « De nieuwe kleren
van de keizer – Over schijn en werkelijkheid in de Staatshervorming », R.W.
1984-1985, p. 643.
257
Voy. les articles 62 et suivants, de la loi du 27 juillet 1971, telle que
modifiée par la loi du 21 août 1987.
258
Voy. l’article 13 de la loi du 21 août 1987 modifiant la loi organisant
les agglomérations et les fédérations de communes et portant des dispositions
relatives à la Région bruxelloise, M.B., 26 septembre 1987.
133
ADMINISTRATION PUBLIQUE
Dès le pacte d’Egmont259, en 1977, puis lorsque
les institutions régionales bruxelloises seront
créées, en 1989260, c’est d’une interdiction permanente de composer des listes bilingues qu’il sera
question. Or il s’agit là d’un « facteur favorisant
le clivage communautaire des élus au détriment de
l’émergence d’une véritable identité régionale »261.
Mais tel sera le reflet de la volonté du législateur
de « tirer les leçons de l’expérience de l’Agglomération et des tensions communautaires qu’elle
a connues »262.
61. Outre les difficultés politiques et communautaires précitées, l’Agglomération de Bruxelles
fait encore face à d’autres problèmes concrets,
d’ordre financier, à tel point qu’une réforme de
l’institution doit être envisagée sans attendre la
création des institutions régionales263.
L’article 4, déjà cité intégralement, est donc
modifié par la loi du 21 août 1987264.
Sont retirées aux agglomérations – enfin,
concrètement, à la seule Agglomération bruxelloise – les attributions transférées à l’origine en
matière d’aménagement du territoire et d’environnement, de même que celles relatives à l’expansion économique, « ce qui était parfaitement
logique dans la perspective, alors non encore réalisée, de la révision de l’article 108ter de la Constitution et de la loi spéciale relative aux institutions
bruxelloises »265.
L’agglomération est, certes, maintenue, mais
elle est privée de sept compétences sur les douze
qui lui étaient dévolues à l’origine : l’intérêt supracommunal est raboté, au profit de la future région.
On peut comprendre, en effet, que l’agglomération
perde les compétences exercées dans des domaines
régionalisés par la loi spéciale de réformes institu259
J. CLÉMENT et X. DELGRANGE, « La protection des minorités/De bescherming van de minderheden », in E. WITTE, A. ALEN, H. DUMONT et R. ERGEC
(réd.), Het statuut van Brussel/Bruxelles et son statut, op. cit., p. 529. Voy., à
propos de ce pacte, infra, troisième partie, titre 2, chapitre 1er.
260
Voy. infra, quatrième partie, titre 3, chapitre 1er.
261
P. VANLEEMPUTTEN, Les institutions bruxelloises – Leur position dans la
structure fédérale de l’État, leur organisation, leur fonctionnement, leur financement, Bruxelles, Bruylant et Némésis, 2003, p. 23. Voy. aussi G. CEREXHE,
« Les institutions bruxelloises : le pari de la loyauté ? », in La loyauté
– Mélanges offerts à Étienne Cerexhe, Bruxelles, Larcier, 1997, p. 65 et, commentant cette doctrine, Y. LEJEUNE et W. PAS, « Le fonctionnement des institutions/De werking van de instellingen », in E. WITTE, A. ALEN, H. DUMONT et
R. ERGEC (réd.), Het statuut van Brussel/Bruxelles et son statut, Bruxelles, De
Boeck et Larcier, 1999, p. 512.
262
G. CEREXHE, « Les institutions bruxelloises : le pari de la loyauté ? », in
X, La loyauté – Mélanges offerts à Étienne Cerexhe, Bruxelles, Larcier, 1997,
p. 52. Voy. aussi N. LAGASSE, « Gouverner Bruxelles – Règles en vigueur et
débat », C.H. CRISP 1999, nos 1628-1629, p. 14. Voy. également, s’agissant
du projet de loi spéciale relative aux institutions bruxelloises, le rapport fait au
nom de la commission de révision de la Constitution, des réformes institutionnelles et du règlement des conflits par MM. Tomas et Anciaux, Doc. parl., Ch.,
sess. 1988-1989, no 661/4, p. 55.
263
A. DELCAMP, op. cit., p. 63. Voy. aussi R. ANDERSEN, op. cit., p. 266.
264
M.B., 26 septembre 1987.
265
S. GEHLEN, « Bruxelles, région à part entière ? À propos de la révision
de l’article 108ter de la Constitution », A.P.T., 1988, p. 201.
134
tionnelles du 8 août 1980, dans la mesure où il est
peu concevable que certaines matières relèvent à
la fois de la région et de l’agglomération sur un
territoire aussi exigu266.
L’agglomération bruxelloise, comme telle, se
voit en revanche transférer de nouvelles attributions, relatives à la distribution de l’eau, au
balayage et au déneigement de la voirie publique,
« afin de créer un bloc de compétences autour de
la notion de propreté publique »267. Elle est également chargée de créer une voirie d’agglomération
par la reprise des voiries communales, de gérer
et d’éclairer celles-ci. Elle devient également
compétente pour régler l’informatique des communes268.
Outre les compétences transférées et les compétences dévolues, les compétences de l’Agglomération comprennent donc l’enlèvement et le
traitement des immondices, la lutte contre l’incendie, l’aide médicale urgente et le transport rémunéré des personnes.
TITRE 4 – LES COMMISSIONS DE LA CULTURE
Chapitre 1er – L’idée
62. L’organisation des organes de l’agglomération reflète déjà la prise en compte de l’existence
des deux grandes communautés à Bruxelles.
Le constituant a jugé que cela n’était pas suffisant.
Pour rappel, l’intention originaire était de
constituer une commission de la culture au sein de
chaque agglomération.
Finalement, sur la base des conclusions du groupe
des vingt-huit, le constituant a entendu imposer cet
organe à la seule Agglomération bruxelloise, qui
plus est en le dédoublant, voire en le détriplant.
C’est ainsi qu’aux termes de l’article 72 de la loi
du 26 juillet 1971, il existe, dans l’Agglomération
bruxelloise, une commission française de la culture
et une commission néerlandaise de la culture, qui
constituent ensemble les commissions réunies.
Les deux commissions de la culture, de même
que les commissions réunies qu’elles composent
ensemble, ont chacune une personnalité juridique
propre et sont soumises aux règles de contrôle
prévues par l’article 3, § 2, de la loi du 16 mars
1954 relative au contrôle de certains organismes
d’intérêt public. « Toutes trois peuvent être comparées à des institutions parastatales, placées sous
le contrôle des ministères de l’Éducation nationale
et de la Culture (…) »269.
266
Ph. DE BRUYCKER, « Bruxelles dans la réforme de l’État », op. cit., p. 23.
A. DELCAMP, op. cit., p. 63.
Voy. l’article 2 de la loi du 21 août 1987.
269
X, « Bruxelles et la réforme des institutions », C.H. CRISP, no 613 du
14 septembre 1973, p. 7.
267
268
ADMINISTRATION PUBLIQUE
Elles sont composées de membres élus en raison de leur compétence particulière, mais ceux-ci
doivent être éligibles au conseil d’agglomération
pour pouvoir être désignés.
63. Les attributions respectives des commissions de la culture, déjà définies en partie par l’article 108ter de la Constitution, sont précisées dans
la loi du 26 juillet 1971, puis complétées par la loi
du 21 août 1987.
Ainsi, l’article 72, § 2, de la loi du 26 juillet
1971 prévoit que chaque commission de la culture
exerce, pour ce qui la concerne, les mêmes compétences que les autres pouvoirs organisateurs
dans les matières préscolaires, postscolaires et
culturelles, en ce compris les loisirs et les sports,
ainsi qu’en matière d’enseignement270.
Par « matières culturelles », il y a lieu de comprendre les matières culturelles telles que définies par la loi du 21 juillet 1971, relative à la
compétence des conseils culturels, qui explicite
les matières culturelles visées à l’article 59bis,
§ 2, 1°, de la Constitution271, de la manière suivante272 :
— « la défense et l’illustration de la langue ;
— l’encouragement et la formation des chercheurs ;
— les beaux-arts, y compris le théâtre et le cinéma ;
— le patrimoine culturel, les musées et les
autres institutions scientifiques culturelles ;
— les bibliothèques, discothèques et services
similaires ;
— la radiodiffusion et la télévision ;
— la politique de la jeunesse ;
— l’éducation permanente et l’animation socioculturelle ;
— l’éducation physique, le sport et la vie en
plein air ;
— les loisirs et le tourisme273 ».
Les commissions réunies exercent les attributions des commissions lorsqu’il s’agit d’objets
d’intérêt commun, prévoit l’article 73 de la loi,
ajoutant qu’elles sont en outre chargées de « pro270
Chaque commission a en particulier pour mission :
1° d’élaborer et d’exécuter une programmation de l’infrastructure culturelle,
scolaire, pré et postscolaire ;
2° de créer les institutions nécessaires, de les gérer et d’accorder des subsides dans les conditions fixées par la loi du 29 mai 1959, dite loi du « Pacte
scolaire » ;
3° d’adresser des recommandations aux chambres législatives, aux conseils
culturels, au gouvernement, à la province, à l’agglomération et aux communes
de l’agglomération et de donner à ces autorités des avis, soit à leur demande,
soit d’initiative ;
4° de prendre et d’encourager les initiatives culturelles ;
5° d’accomplir toute autre mission dont elle serait chargée par le pouvoir
législatif, un conseil culturel ou le gouvernement.
271
Voy. l’article 127 de la Constitution coordonnée.
272
M.-A. FLAMME, « Quels sont les pouvoirs de la Commission bruxelloise
de la Culture française ? », Rev. comm., 1973, pp. 59-60.
273
À propos du tourisme, voy. supra, note 164.
mouvoir la vocation nationale et internationale de
l’agglomération ».
Elles doivent, en outre, accomplir toute mission
dont elles seraient chargées par le pouvoir législatif, les conseils culturels, le gouvernement, la province ou l’agglomération.
Depuis 1987, elles peuvent également se voir
confier la gestion d’institutions et d’infrastructures
relatives à l’enseignement et aux matières pré et
postscolaires et culturelles, par une ou plusieurs
communes.
Elles sont, en vertu de l’article 82 de la loi
du 26 juillet 1971, financées par des dotations
annuelles inscrites au budget respectif des conseils
culturels pour la communauté culturelle française
et la communauté culturelle néerlandaise, outre
des subventions, des donations et des legs. Elles
peuvent encore demander aux communes de
contribuer à leurs dépenses.
Les commissions peuvent, pour les matières qui
relèvent de leurs attributions, adopter des règlements et arrêtés subordonnés à la tutelle du Roi,
sur proposition du conseil des ministres274.
64. Sur les commissions réunies, les explications suivantes ont été fournies dans le cadre des
travaux parlementaires :
« Les deux conseils culturels auront compétence, à Bruxelles, pour des établissements relevant exclusivement de leur groupe linguistique.
Les établissements qui ont une vocation nationale
et qui respectent les lois linguistiques seront énumérés dans une loi ; ils continueront à dépendre du
Parlement national et non des conseils culturels.
Si, cependant, il y avait à Bruxelles au niveau
de l’agglomération – et donc pas au niveau national – des établissements qui s’adressent aux deux
cultures, un problème pourrait se poser. C’est pourquoi il a été prévu que les commissions culturelles
peuvent se réunir ensemble, afin d’élaborer conjointement des programmes culturels relatifs aux tâches
nationales ou internationales de Bruxelles »275.
Chapitre 2 – Les questionnements sur la valeur
ajoutée
65. La création des commissions de la culture
et la définition de leurs attributions n’ont pas manqué de susciter des débats quant à leur rôle et à
leur valeur ajoutée.
274
La loi de 1971 réserve au Roi la tutelle administrative sur les agglomérations et sur les commissions de la culture, les fédérations étant pour leur
part placées sous la tutelle de la députation permanente du conseil provincial
compétent (article 56 de la loi du 24 août 1971). Lors de la deuxième réforme
de l’État, ce pouvoir de tutelle sur les commissions sera transféré aux Exécutifs
communautaires correspondants.
275
Rapport Lindemans, op. cit., Doc. parl., Ch., sess. extr. 1968, no 10-33/1,
p. 46.
135
ADMINISTRATION PUBLIQUE
Les commissions de la culture s’ajoutent-elles
aux pouvoirs organisateurs déjà existants dans
l’agglomération bruxelloise en matière culturelle,
préscolaire et postscolaire et en matière d’enseignement, à savoir d’une part les communes, de
l’autre les provinces et l’État, qu’il s’agisse – à
l’époque encore – de l’État central ou des deux
Communautés276 ?
Telle est une première thèse défendue à propos
des commissions.
Plus précisément, « les activités des commissions culturelles ne (portent) pas atteinte aux
compétences des communes en matière d’enseignement. La commune reste entièrement compétente. Ce n’est que si la commune, la province ou
l’État faisaient preuve de carence que les commissions culturelles – et ceci, en pratique, n’est
valable que pour la commission flamande, car il
n’y a aucun problème à Bruxelles dans le domaine
de l’enseignement en langue française – pourraient
procéder à la création de nouveaux établissements
d’enseignement »277.
Mais une thèse différente a également cours.
Selon celle-ci, « il y a donc exercice concurrent
des mêmes pouvoirs et non pas – comme il l’a
parfois été avancé au cours des travaux préparatoires – simple intervention supplétive ou complémentaire de la part des commissions culturelles.
Bien entendu, cette concurrence ne signifie ni
“doubles emplois” ni “gaspillages”. Comme l’a
souligné le ministre Tindemans (…), “une concertation doit avoir lieu ; il y aura également une programmation, tout comme il existe actuellement
une coopération entre six cabinets en vue de déterminer les besoins de la région bruxelloise” »278.
C’est cette seconde thèse qui prévaudra. L’attribution de compétences aux commissions de la
culture identiques à celles détenues par d’autres
pouvoirs organisateurs tend à leur permettre d’intervenir dans ce domaine concurremment avec les
autres autorités compétentes. Il s’agit d’habiliter
les Bruxellois, francophones ou néerlandophones,
à intervenir de leur seul chef dans l’hypothèse où
les actions menées par les autorités normalement
compétentes ne les satisferaient pas, en recourant
à l’instrument du règlement279.
276
S. GOVAERT, « L’action des deux communautés de la culture à Bruxelles :
essai d’évaluation comparée », in X, Le problème de Bruxelles depuis ValDuchesse (1963), actes du colloque VUB-CRISP des 20 et 21 octobre 1988,
t. 2, Bruxelles, VUB Press, 1989, p. 121.
277
Révision de la Constitution, révision de l’article 126, article 108ter nouveau, rapport fait au nom de la commission de révision de la Constitution par
M. Lindemans, Doc. parl., Ch., sess. extr. 1968, no 10-33/1, p. 46, p. 52.
278
M.-A. FLAMME, op. cit., p. 62.
279
En ce sens, mais à propos de l’article 64 de la loi spéciale du 12 janvier
1989 relative aux institutions bruxelloises, voy. M. DONY et B. BLERO, « La
répartition des compétences en matière de politique de santé », C.H. CRISP,
nos 1300-1301, 1990, p. 41.
136
Les commissions de la culture peuvent créer et
gérer, « tout comme l’État, les provinces, les communes ou le secteur libre, des réseaux d’institutions à vocation scolaire, culturelle ou sportive »,
leurs seules limites étant constituées par les ressources financières mises à leur disposition280.
66. Quoi qu’il en soit, l’existence des commissions de la culture, en tout cas du point de vue
du droit public, ne représente pas grand-chose :
relevant de la municipalité, elles ont « consacré
l’essentiel de leurs activités au domaine culturel,
finançant des recherches, patronnant des expositions »281. « Bref, c’étaient là des entreprises qui
ne requéraient pas la mise en œuvre de prérogatives de puissance publique »282.
Quant aux commissions réunies, elles ne
seraient en pratique jamais retrouvées283…
Toujours est-il que ces instances seront encore
en place au moment de la création, en 1988, des
institutions régionales bruxelloises définitives.
TITRE 5 – DEUXIÈME CONCLUSION – DES INSTITUTIONS ET DES ATTRIBUTIONS SUPRACOMMUNALES
67. La réforme des institutions de 1970
consacre la première grande « solution transactionnelle du conflit communautaire »284.
Au niveau national, d’abord, les francophones
obtiennent diverses garanties contre leur minorisation – parité au conseil des ministres, groupes
linguistiques au Parlement et sonnette d’alarme –
et les Flamands parviennent à constitutionnaliser
leur autonomie culturelle.
Ce réaménagement se fait « dans un esprit
d’équilibre des deux grandes communautés, et
non dans une perspective fédéraliste ». « Et pour
cause, le principe même du fédéralisme était à
ce moment rejeté par la très grande majorité du
monde politique (ce qui est) d’ailleurs le grand
paradoxe de la réforme de 1970-1971, d’avoir
engagé le pays dans la voie du fédéralisme tout en
refusant le principe de celui-ci »285.
Au niveau bruxellois, ensuite, des concessions
réciproques sont actées. En effet, l’élection directe
du Conseil d’agglomération, qui avantage les francophones, supérieurs en nombre, est compensée
par la transposition, en « miroir inversé »286, des
protections que les francophones viennent d’obtenir au niveau national : parité au Collège d’ag280
X, « Bruxelles et la réforme des institutions », C.H. CRISP, no 613 du
14 septembre 1973, p. 7.
281
M. LEROY, op. cit., p. 65.
282
Ibidem, p. 65.
283
Ibidem, p. 65.
284
P. WIGNY, op. cit., p. 40.
285
M. LEROY, op. cit., p. 44.
286
M. REUCHAMPS, « La parité linguistique au sein des “gouvernements”
bruxellois », Rev. dr. ULg. 2008, livr. 2, p. 183.
ADMINISTRATION PUBLIQUE
glomération, groupes linguistiques et sonnette
d’alarme, avec, en outre, un dédoublement des
commissions culturelles.
Par ailleurs, la réforme et les débats qui l’ont
nourrie permettent à la région centrale du pays,
qui a longtemps cru que les querelles entre Flamands et Wallons ne la concernaient pas, de
s’apercevoir qu’elle est coincée entre les deux
communautés, lesquelles « risquent de s’entendre
à ses dépens »287.
À ce stade, toutefois, les Flamands et les Wallons ne parviennent pas à s’accorder sur son sort
définitif.
68. Certes, en 1971, Bruxelles s’est trouvée « au
carrefour de deux processus : celui de la mise en
place d’une régionalisation approfondie dans le
cadre d’un état en voie de fédéralisation, celui de la
recherche d’une amélioration de la gestion communale – et en particulier celle des grandes agglomérations – à travers une restructuration territoriale »288.
Mais, précisément compte tenu de cette situation, il est difficile de voir dans l’agglomération
bruxelloise autre chose qu’une institution provisoire destinée à « pallier l’absence de région »289.
Il en va d’autant plus qu’elle est finalement la
seule agglomération à voir le jour290, comme si la
formule répondait là à un besoin qui était rencontré ailleurs par les nouvelles institutions du pays
en cours de fédéralisation291.
En tout cas, dès sa conception par le constituant,
l’agglomération bruxelloise, dont la création aurait
pu n’avoir pour objet que de répondre à un simple
problème de gestion communale, se distingue des
autres que le législateur avait envisagées, et correspond à « une collectivité politique hybride »292,
notamment parce qu’elle répond autant au souhait
de contenir Bruxelles qu’à celui de résoudre les
problèmes techniques de gestion d’une grande
agglomération293. « L’existence et les compétences
de ces organes ne peut trouver sa justification ailleurs que dans la tentative de résoudre à Bruxelles
– et par le biais d’une solution décentralisée – ce
qu’ailleurs on a résolu en terme d’autonomie de
type fédéral pour les Communautés française et
flamande »294.
287
P. WIGNY, op. cit., p. 78.
A. DELCAMP, op. cit., p. 59.
En ce sens, voy. Chronique de la Belgique – Du néolithique à l’époque
contemporaine, Paris, Éditions Chronique, 2012, p. 441.
290
S. GEHLEN, op. cit., p. 201.
291
Comp. Ph. DE BRUYCKER, « Intervention », in R. ANDERSEN, G. BROUHNS,
F. DELPÉRÉE, F. JONGEN, M.-F. RIGAUX, H. SIMONART et M. VERDUSSEN, La
Région de Bruxelles-Capitale, Bruxelles, Bruylant, 1989, p. 294, qui explique
que les autres agglomérations n’ont jamais vu le jour parce qu’elles ont été
rapidement dépassées dans les faits par le vaste mouvement de fusion des communes qui a eu lieu au cours des années septante.
292
M.-Fr. RIGAUX, op. cit., p. 23.
293
A. DELCAMP, op. cit., p. 98.
294
M.-Fr. RIGAUX, op. cit., p. 28.
288
289
Définir le statut de Bruxelles n’aura pas été simplement « un problème technique destiné à définir
le meilleur niveau possible de décentralisation ou
d’autonomie possible pour une cité-capitale »295. En
réalité, « la recherche d’institutions adaptées à la gestion de la plus grande agglomération du pays n’était
qu’un objectif de second plan par rapport à l’enjeu
communautaire dont elle était le symbole »296.
69. La mise sur pied de l’agglomération bruxelloise mérite d’être considérée comme une étape
essentielle dans le processus qui aboutira à « doter
la région de Bruxelles-Capitale d’un statut définitif »297.
S’y retrouvent déjà de nombreux éléments qui
seront conservés et récupérés par la suite lorsque
le fait fédéral atteindra l’agglomération298.
Ainsi en va-t-il de la limitation du territoire aux
dix-neuf communes et, sur le plan institutionnel,
de la séparation de l’assemblée en groupes linguistiques, de la sonnette d’alarme et de la parité linguistique au niveau du collège.
Quant aux attributions, elles sont, certes, libellées
en faveur d’un pouvoir supracommunal et relèvent
donc en principe de l’intérêt purement local. De
nombreuses compétences attribuées à l’agglomération s’avéreront néanmoins « parallèles » à celles
qui ont été envisagées pour les régions, et lui seront
d’ailleurs retirées à partir de 1987.
TROISIÈME PARTIE – BRUXELLES JUSQU’À LA
DEUXIÈME RÉFORME DE L’ÉTAT (1980)
TITRE 1ER – LES LOIS DE RÉGIONALISATION « PRÉPARATOIRES »
Chapitre 1er – Le contexte
70. Depuis l’adoption de l’article 107quater en
1970, son exécution constitue pour le pays le problème « sinon le plus important, du moins le plus
controversé »299.
Les formules imaginées sont nombreuses,
s’agissant de la composition des futurs organes
régionaux, de leurs compétences et de la tutelle à
mettre en œuvre à leur égard, mais aucune n’est de
nature à obtenir la majorité requise.
71. À la fin du mois de novembre 1972, le
premier ministre Gaston Eyskens démissionne
et quitte définitivement la politique. Le socia295
A. DELCAMP, op. cit., p. 37.
Ibidem, p. 37.
297
S. GEHLEN, op. cit., p. 200.
298
Voy. à cet égard la prémonition de F. PERIN, op. cit., p. 286.
299
Rapport fait au nom de la commission spéciale par M. de Keersmaeker,
notamment à propos du projet de loi créant des institutions régionales, à titre
préparatoire à l’application de l’article 107quater de la Constitution, Doc. parl.,
Ch., sess. extr. 1974, no 194/6, p. 2.
296
137
ADMINISTRATION PUBLIQUE
liste francophone Edmond Leburton lui succède
et « encommissionne »300 le sujet de la régionalisation, chargeant une commission parlementaire
mixte de plancher sur la question. Celle-ci dépose
un rapport final volumineux le 13 septembre
1973301, lequel fait, en dépit du caractère approfondi et technique des débats302, peu d’effet, non
seulement parce la commission n’a pas pu émettre
un avis univoque, mais surtout dans la mesure où
le gouvernement ne peut ou ne veut rien concevoir303.
Il n’est d’ailleurs pas le seul à préférer cette
stratégie de la lenteur. Tous les partis qui participent aux travaux veulent gagner du temps, y
compris les fédéralistes, pour qui il faut éviter la
mise en place de la régionalisation envisagée par
le gouvernement, dès lors qu’elle est trop minimaliste, et surtout provincialiste304.
72. Il faut attendre l’arrivée de Léo Tindemans
– vice-premier ministre chargé des Affaires institutionnelles sous Leburton – à la tête du gouvernement, en 1974, pour engranger quelque progrès.
S’agissant de Bruxelles, il est finalement convenu,
une fois encore, que vu l’absence d’accord autre à
l’issue des travaux de la commission parlementaire
mixte, les limites de la future région coïncideront
avec le territoire actuel de l’agglomération305.
73. À défaut de solution globale concernant
Bruxelles dans le cadre du premier dialogue de
communauté à communauté mené en avril 1974
au château de Steenokkerzeel, le gouvernement,
qui n’a donc pas de solution globale aux problèmes communautaires, est obligé de « mettre au
point une formule de régionalisation transitoire,
provisoire ou, mieux encore, préparatoire »306.
Il est, en effet, certain à ce stade que la majorité
requise pour le vote d’une loi spéciale d’application de l’article 107quater n’est pas réunie.
Le gouvernement s’en tire en mettant au point,
à l’intervention des deux ministres de la Réforme
des institutions, Robert Vandekerckhove et François Perin, un projet de loi « créant des institutions
régionales, à titre préparatoire à l’application de
l’article 107quater de la Constitution »307, institu300
Sur la pratique de l’encommissionnement s’agissant de Bruxelles, voy.
F. PERIN, op. cit., p. 283.
301
Doc. parl., Ch., sess. 1972-1973, no 61/1, ou Doc. parl., Sén., sess.
1972-1973, no 427.
302
X., « Bruxelles et la réforme des institutions », C.H. CRISP, no 613 du
14 septembre 1973, p. 10.
303
F. PERIN, op. cit., p. 223.
304
M. LEGRAND, « Les travaux de la Commission parlementaire mixte sur la
régionalisation (II) », C.H.CRISP, no 628 du 11 janvier 1974, pp. 19-20. Voy
aussi, du même auteur, « Les travaux de la Commission parlementaire mixte
sur la régionalisation (I )», C.H.CRISP, no 627 du 4 janvier 1974.
305
X, « Bruxelles et la réforme des institutions », C.H. CRISP, no 613 du
14 septembre 1973, p. 4.
306
A. MÉAN, op. cit., p. 188.
307
Doc. parl., Sén., sess. extr. 1974, no 301/1.
138
tions auxquelles il s’abstient de confier la compétence de « régler » des matières déterminées.
En d’autres termes, est-il expliqué, il est exclu
d’accorder aux instances créées un quelconque
pouvoir normatif308. Seule une vocation consultative leur est attribuée, selon une méthode inspirée
de la loi du 15 juillet 1970 portant organisation
de la planification et de la décentralisation économique309.
Le but annoncé : « débroussailler le problème »310. Plus officieusement, « il valait mieux
amorcer la régionalisation que de laisser tomber
les bras et paralyser toute évolution »311, et le vote
d’une telle loi est la condition de la participation
au gouvernement du Rassemblement wallon312.
74. On ne peut que comprendre la perplexité
de la section de législation du Conseil d’État, qui
n’omet pas, dans son avis313, de faire allusion au
caractère vague de l’article 107quater :
« L’article 107quater peut être compris de deux
manières :
Selon une première thèse, cette disposition vise
essentiellement à pourvoir des organes régionaux
d’un pouvoir normatif.
D’après une autre thèse, qui fait une part plus
large à la genèse et à l’économie de la disposition,
l’article 107quater de la Constitution vise toute
réforme régionale du pays, quelles qu’en puissent
être les modalités juridiques.
Le gouvernement semble se rallier à la première
thèse.
Aux termes de l’exposé des motifs le projet ne
constitue pas une exécution de l’article 107quater
de la Constitution, puisqu’il ne met en place qu’à
titre préparatoire des conseils régionaux qui ne sont
investis que d’une mission purement consultative.
De cette motivation il est permis de déduire qu’au
sentiment du gouvernement, il ne saurait être question de régionalisation au sens de l’article 107quater de la Constitution que dès l’instant où les
régions se voient reconnaître une certaine autonomie par l’attribution d’un pouvoir normatif ».
Faut-il le rappeler, la compétence de « régler »
des matières, visée dans cette disposition constitutionnelle, a été soigneusement choisie, à la fois
parce qu’elle couvrait l’hypothèse du seul pouvoir
réglementaire, préconisé initialement lorsque les
perspectives de régionalisation ont été négociées, et
308
Ibidem, p. 1.
Projet de loi créant des institutions régionales, à titre préparatoire à
l’application de l’article 107quater de la Constitution, rapport fait au nom de
la commission spéciale pour la régionalisation par M. Cooreman, Doc. parl.,
Sén., sess. extr. 1974, no 301/2, p. 5.
310
Rapport de Keersmaeker, op. cit., Doc. parl., Ch., sess. extr. 1974,
no 194/6, p. 8.
311
F. PERIN, op. cit., p. 227.
312
Ibidem, p. 228.
313
Doc. parl., Sén., sess. extr. 1974, no 301/1, pp. 11-16.
309
ADMINISTRATION PUBLIQUE
parce qu’elle permettait de couvrir également l’attribution d’un pouvoir normatif aux régions à créer.
Dans les deux hypothèses, donc, la loi en
projet serait contraire aux termes larges de l’article 107quater, puisqu’il n’est pas prévu – au
contraire – de l’adopter à la majorité spéciale.
Le débat mis en évidence par la section de
législation du Conseil d’État laisse en tout cas
apparaître, certainement à la satisfaction de François Perin, devenu entre-temps ministre, que les
esprits ont évolué, et que l’organisation définitive
des régions supposera un pouvoir normatif.
Chapitre 2 – La loi du 1er août 1974
75. L’organisation imaginée, et adoptée, est la
suivante.
Une nouvelle fois, le territoire des trois régions
est « provisoirement » fixé en correspondance
avec les limites des régions linguistiques, jusqu’à
fixation des limites définitives par le vote d’une
loi à majorité spéciale en exécution de l’article 107quater.
Et, une nouvelle fois, la région bruxelloise
comprend ainsi, « provisoirement », le territoire
de l’arrondissement administratif de BruxellesCapitale.
76. Sont mis en place des conseils régionaux,
composés en principe de sénateurs domiciliés dans
la région wallonne, flamande ou bruxelloise. Les
premiers et les deuxièmes doivent être issus du
groupe linguistique français ou flamand exclusivement, tandis que les Bruxellois peuvent faire
partie des deux groupes linguistiques.
Dans le cadre des travaux parlementaires, la
présence des sénateurs au sein des conseils régionaux est justifiée par le gouvernement en invoquant trois raisons.
Il s’agit, tout d’abord, d’indiquer que la spécialisation du Sénat – vers une seconde chambre
des entités fédérées – par rapport à la Chambre
est à prévoir. La présence de membres du Parlement permet ensuite d’éviter que ne se constitue une sorte de contre-Parlement. Enfin, il est
tout simplement question d’une formule qui a
la préférence de tous les partis et qui pourrait
donc résister dans le cadre de l’instauration
définitive des régions en exécution de l’article
107quater314.
Pour Bruxelles, une composition spécifique
est prévue, qui ajoute aux sénateurs 42 membres
du conseil d’agglomération. L’explication est
314
Rapport fait au nom de la commission spéciale par M. de Keersmaeker,
notamment à propos du projet de loi créant des institutions régionales, à titre
préparatoire à l’application de l’article 107quater de la Constitution, Doc. parl.,
Ch., sess. extr. 1974, no 194/6, p. 6.
simple315 : « Il n’était pas possible d’admettre
dans ce conseil régional les seuls sénateurs de la
région de Bruxelles, francophones en majeure partie. La représentation de la communauté flamande
à Bruxelles aurait presque été nulle. » En outre,
« il convient de prévoir la fusion éventuelle du
conseil d’agglomération et du conseil régional, ce
qui constituera à nouveau une simplification »316.
77. Aux termes de l’article 4 de la loi du
1er août 1974, chacun des conseils régionaux
peut d’initiative émettre un avis sur la nécessité
de prendre, modifier ou abroger toute disposition
légale ou réglementation dont l’application se
limite à sa région, une partie de sa région ou à une
institution établie dans sa région et ce, dans les
matières ou une politique régionale se justifie en
tout ou en partie.
Ces matières sont énumérées comme suit :
« 1° la politique d’aménagement du territoire et
d’urbanisme, en ce compris la politique foncière,
le remboursement des biens ruraux, la rénovation
urbaine et l’assainissement des sites industriels
désaffectés ;
2° la politique d’expansion économique régionale et de l’emploi ;
3° la politique du logement ;
4° la politique familiale et démographique ;
5° la politique d’hygiène et de santé publique ;
6° la politique de l’eau ;
7° la chasse, la pêche et les forêts ;
8° la politique industrielle et énergétique ;
9° l’organisation communale ».
Le texte de la motion motivée contenant un
tel avis est alors transmis au premier ministre et
au ministre régional compétent, de même qu’aux
présidents de la Chambre et du Sénat si la motion
concerne des dispositions légales.
On citera également l’article 5 de la loi du
1er août 1974, dont il résulte que l’avis du conseil
régional compétent doit être sollicité avant le
dépôt de tout projet de loi dont le champ d’application est limité à la région du conseil régional, à
une partie de cette région ou à une institution qui
y est établie.
78. Quant aux trois comités ministériels régionaux, ils doivent constituer la base de toute action
gouvernementale dans le domaine régional.
Composés par arrêté royal délibéré en conseil
des ministres, en veillant à ce que le comité ministériel des affaires bruxelloises comprenne deux
secrétaires d’État, dont l’un doit appartenir à un
groupe linguistique différent du ministre qui pré315
Ibidem, p. 6.
Cette fusion n’aura pas lieu comme telle ; voy. infra, quatrième partie,
titre 4, chapitre 2.
316
139
ADMINISTRATION PUBLIQUE
side, ils délibèrent collégialement et, à défaut d’accord, soumettent l’affaire au conseil des ministres.
Les comités ministériels délibèrent de tout
projet de loi « régional » au sens donné à ce
terme par le législateur. Ils examinent également
les motions motivées des conseils régionaux et
examinent les suites qu’il convient d’y donner317.
79. Quant au financement des conseils régionaux, il est organisé par l’article 11 de la loi du
1er août 1974. La somme globale réservée aux
dépenses des politiques régionales est répartie
entre les trois régions de la manière suivante :
« 1° un tiers est réparti au prorata du chiffre de
la population de chaque région ;
2° un tiers est réparti au prorata de la superficie
de chaque région ;
3° un tiers est réparti au prorata du rendement
dans la région de l’impôt des personnes physiques ».
80. Pour le gouvernement, l’installation de ces
structures consultatives est fondamentale à plusieurs titres.
Très clairement, elles sont préparatoires à l’organisation définitive des régions, « même si l’on
ne peut actuellement dépasser le stade de l’octroi
aux régions d’un pouvoir consultatif »318. La nouvelle configuration « préfigure l’organisation définitive de la régionalisation compte tenu des limites
juridiques imposées à un projet qui ne peut se fonder sur l’article 107quater de la Constitution »319.
Le gouvernement sait et indique déjà qu’au
stade définitif, les conseils régionaux régleront
par voie d’« ordonnance » les matières à l’égard
desquelles ils se contenteront provisoirement de
donner des avis320.
La régionalisation préparatoire a aussi valeur
expérimentale, « permettant d’apprécier l’efficacité du système et, au besoin, d’en corriger les
vices et les éventuelles insuffisances ou inadéquations »321. Il est notamment tablé sur le fait que
l’expérience permettra de ventiler les matières, de
mieux définir, donc, ce qui est d’intérêt régional et
ce qui est d’intérêt national322.
Enfin, cette phase préparatoire aura aussi pour
vertu de dépassionner le débat323 et d’apaiser les
esprits, notamment s’agissant de la fixation des
limites des régions324…
317
Voy. les articles 9 et 10 de la loi du 1er août 1974.
Doc. parl., Sén., sess. extr. 1974, no 301/1, p. 2.
319
Ibidem, p. 2.
320
Ibidem, p. 2.
321
Ibidem, p. 2.
322
Rapport de Keersmaeker, op. cit., Doc. parl., Ch., sess. extr. 1974,
o
n 194/6, p. 6.
323
Doc. parl., Sén., sess. extr. 1974, no 301/1, p. 2.
324
Rapport Cooreman, op. cit., Doc. parl., Sén., sess. extr. 1974, no 301/2,
p. 11.
318
140
En somme, le système proposé devrait permettre
l’établissement du régime définitif de régionalisation lorsque les conditions d’application du vote
d’une loi à majorité spéciale seront réunies.
Il est toutefois remarquable que les instances
provisoirement créées ne retiennent pas les mécanismes de protection imaginés au niveau national
et répercutés au niveau de l’agglomération pour
rassurer psychologiquement les Flamands : majorité spéciale, sonnette d’alarme, parité au sein du
comité exécutif…
Au sénateur qui a cherché à les faire intégrer
dans la loi par voie d’amendement, il a notamment
été répondu que sa proposition recueillait toute la
sympathie, mais qu’on n’y voyait guère d’intérêt
s’agissant de conseils consultatifs. En revanche,
lui a-t-il été expliqué, « il va de soi que pareilles
garanties devront être inscrites dans une loi portant exécution de l’article 107quater »325.
Chapitre 3 – La loi du 19 juillet 1977
81. « En 1976, il devint manifeste que la révision constitutionnelle avait empêché une régionalisation trop poussée et qu’elle avait créé,
parallèlement aux institutions déjà existantes, un
écheveau de conseils régionaux aux compétences
limitées ou inexistantes et généralement dépourvues de finances dignes de ce nom, écheveau que
seuls des spécialistes parvenaient encore à démêler »326.
Déjà dans le cadre de la discussion relative au
projet qui allait devenir la loi de régionalisation
préparatoire du 1er août 1974, plusieurs parlementaires s’étaient inquiétés à propos de l’accumulation des divers conseils et avaient interrogé
le gouvernement quant à l’articulation entre les
conseils régionaux préparatoires, les conseils économiques régionaux et, à Bruxelles, le conseil
d’agglomération.
Il avait à nouveau été envisagé à cette occasion
que le conseil régional bruxellois coïncide avec le
conseil d’agglomération327.
Il faut dire, aussi, que, selon François Perin,
l’un des promoteurs de la loi du 1er août 1974, Léo
Tindemans « n’était pas pressé de la faire appliquer par des arrêtés royaux qui, par bribes et morceaux, commençaient à arracher des attributions
aux ministères traditionnels »328.
L’accumulation d’institutions, sans avancer sur
la régionalisation, pose un problème politique de
plus en plus palpable.
325
Ibidem, p. 28.
E. WITTE et J. CRAEYBECKX, op. cit., p. 439.
Voy. not. le rapport Cooreman, op. cit., pp. 9-10. Voy. ce qui sera finalement décidé, infra, quatrième partie, titre 4, chapitre 2.
328
F. PERIN, op. cit., p. 229.
326
327
ADMINISTRATION PUBLIQUE
82. Après un dialogue de communauté à communauté organisé au Parlement de novembre 1976
à mars 1977, et dont les nombreuses réunions
auraient « incontestablement permis de dégager certaines lignes de force de la réforme de
l’État »329, la loi du 19 juillet 1977330 abroge les
dispositions de la loi du 1er août 1974 qui fondaient les conseils régionaux.
Les comités ministériels régionaux sont, en
revanche, maintenus.
La paternité de cette réforme peut encore être
attribuée à François Perin qui, en 1976, a déposé
un rapport entre les mains de ses partenaires du
gouvernement :
« Après un bilan de la loi du 1er août 1974 et de
ses arrêtés d’application, j’avançai des suggestions
sur un projet susceptible d’être adopté à la majorité qualifiée. Les assemblées sortaient de leur
caractère consultatif : elles devaient être dotées
d’un véritable pouvoir dans des matières que la loi
devait énumérer. À titre transitoire, pour quelques
années d’expérience, les comités ministériels des
communautés et régions restaient au sein du gouvernement »331.
En commission spéciale de la Chambre des
représentants, la réforme est présentée comme
« un allégement, un simplification, et un incitant à
la régionalisation définitive »332. « La suppression
des conseils régionaux est devenue nécessaire pour
que la préparation des lois concernant la régionalisation définitive et l’extension des matières culturelles puisse se faire de manière cohérente »333.
À ce moment, en effet, l’état d’esprit est à l’optimisme. Tout le monde pense encore que la Pacte
d’Egmont, conclu en mai 1977, sera exécuté avant
la fin de l’année, et la suppression des conseils
régionaux, dont l’activité semble avoir été assez
maigre334, en est une première suite335.
Il faudra, bientôt, déchanter.
TITRE 2 – L’ÉCHEC DU PACTE D’EGMONT
L’ACCORD DU STUYVENBERG
ET DE
Chapitre 1er – Un miracle éphémère
83. Au lendemain des élections de 1977, « une
sorte de miracle se produit »336 sous la houlette de
Léo Tindemans. L’intéressé a formé une grande
coalition, qui associe notamment les partis dits
« communautaires » des deux bords, à savoir le
FDF et la Volksunie.
Au palais d’Egmont, en mai 1977, puis au château du Stuyvenberg, en janvier 1978, un accord
sur la régionalisation est enfin dégagé. L’accord est
remarquable parce qu’il est « le fruit d’un compromis sur Bruxelles entre les antagonistes que l’on
croyait inconciliables : le FDF et la Volksunie »337.
Pour résoudre le problème des limites de
Bruxelles, une idée proposée par François Perin
en 1974 au château de Steenokkerzeel – sans que
cela n’aboutisse à rien à l’époque – est récupérée.
Il s’agirait de limiter la région aux dix-neuf communes, certes, « mais en donnant aux habitants de
la périphérie qui le (désireraient) la capacité juridique d’exercer leurs droits politiques, administratifs, fiscaux, etc., dans une commune de leur choix
de l’agglomération »338.
84. Sur cette base, le « projet 461 » est déposé
le 5 juillet 1978 à la Chambre339. Ce texte est global. Il concerne tant les institutions régionales – en
ce compris Bruxelles – que les dispositifs relatifs
à l’autonomie culturelle.
La Région bruxelloise comprend – comme
de coutume – l’arrondissement administratif de
Bruxelles-Capitale.
Son conseil est transitoirement composé de
députés et sénateurs, chaque groupe linguistique
étant représenté, jusqu’à ce que l’élection directe
de ses membres puisse être mise sur pied. Il adopte
des ordonnances, mais exactement au même titre
que les Conseils flamand et wallon, et ce dans
les matières d’intérêt régional déterminées par le
législateur national340.
Le Collège fonctionne pratiquement de la même
manière que les deux autres, sous la réserve que
son fonctionnement ainsi que certains outils à la
disposition du Conseil, tels la motion de méfiance,
sont adaptés à la division des organes en deux
groupes linguistiques.
La Région bruxelloise reprend les attributions
de l’Agglomération et succède à ses biens, droits,
charges et obligations.
Le projet consacre également un chapitre à
la création d’une commission communautaire
communale dans chaque commune de la région
bilingue de Bruxelles-Capitale et dans les six com337
F. PERIN, op. cit., p. 244.
F. PERIN, op. cit., p. 226.
339
Voy. l’exposé des motifs du projet de loi portant diverses réformes institutionnelles, Doc. parl., Ch., sess. 1977-1978 no 461/1.
340
À noter que l’article 28 du projet de loi précise non seulement les
matières que les conseils régionaux peuvent régler par ordonnance, mais énumère également des matières qui ne sont pas d’intérêt régional, telles que les
Affaires étrangères, la Défense nationale, la Justice, l’organisation judicaire
et pénitentiaire, le droit civil, le droit commercial, la police des étrangers, la
lutte contre la criminalité et, plus généralement, les matières réservées par la
constitution à la loi ou au décret (communautaire, donc).
338
329
Projet de loi portant diverses réformes institutionnelles, Doc. parl., Ch.,
sess. 1977-1978, no 461/1, p. 3.
330
M.B., 27 juillet 1977.
331
F. PERIN, op. cit., p. 232.
332
Rapport de Keersmaeker, op. cit., p. 2.
333
Ibidem, p. 4.
334
Ibidem, pp. 3-4.
335
A. DELCAMP, op. cit., p. 40.
336
A. MÉAN, op. cit., p. 191.
141
ADMINISTRATION PUBLIQUE
munes périphériques, dont l’activité s’adressera
aux deux communautés culturelles.
Enfin, le chapitre IV du projet concrétise le système de l’élection de domicile électoral dans la
Région bruxelloise pour les habitants de Drogenbos, Kraainem, Linkebeek, Rhode-Saint-Genèse,
Wemmel, Wezembeek-Oppem, Dilbeek, Grimbergen, Zaventem, Beersel, Vilvorde, Overijse et
Leeuw-Saint-Pierre.
De manière générale, on peut dire que le projet
461, et les accords qu’il traduit, reposent sur le principe des mêmes droits à accorder aux francophones
de la périphérie et aux Flamands de Bruxelles341.
85. Le problème est que l’assemblée n’est pas
constituante, à défaut de déclaration de révision
de la Constitution préalable à la dissolution des
chambres en 1977.
Le premier ministre Léo Tindemans envisage, dans ces conditions, une réforme en deux
phases, la première permettant de réaliser toutes
les réformes possibles dans le cadre constitutionnel fixé en 1970, la seconde, débutant après les
élections de 1981, lors de laquelle des chambres
renouvelées et constituantes, réaliseraient la
réforme complète de l’État342.
Le projet 461, qui est supposé comprendre des
dispositions qui peuvent entrer en application
immédiatement, est donc transitoire, en attendant
la révision de la Constitution, qui permettra la
réforme définitive343.
La section de législation du Conseil d’État critique pourtant le texte, le jugeant incompatible
avec la Constitution en l’état344, ce qui contribue
à la démission de Léo Tindemans le 11 octobre
1978345. Les « mauvaises langues » diront plutôt
que l’intéressé a utilisé l’avis négatif de la section de législation davantage comme un prétexte,
341
Ph. DE BRUYCKER, « Bruxelles dans la réforme de l’État », op. cit., p. 12.
E. WITTE et J. CRAEYBECKX, op. cit., p. 440.
Projet de loi portant diverses réformes institutionnelles, Doc. parl., Ch.,
sess. 1977-1978, no 461/1, p. 3.
344
Avis sur le projet no 461, Doc. parl., Ch., sess. 1977-1978, nos 461/9,
461/19, 461/20, 461/25, 461/33 et 461/35. La section de législation critique
des aspects essentiels du pacte, tels que la faculté d’élection de domicile électoral dans une des communes de la région de Bruxelles-Capitale pour les habitants de la périphérie – jugée contraire à l’équilibre constitutionnel atteint en
1970-1971 – mais aussi la possibilité pour la commission de la culture française
de subisidier des activités socioculturelles dans les communes de la périphérie
bruxelloise – jugée contraire à la répartition territoriale des compétences fixée
dans la Constitution – et l’attribution des matières personnalisables aux conseils
culturels, alors que la Constitution ne leur confie que les matières culturelles.
Pour la facilité, voy. la version des différents avis de la section de législation
sur le projet 461, telle que « coordonnée » par P. BERCKX, « De institutionele
hervormingen “Egmont-Stuyvenberg”, de adviezen dan de Raad van State en
de Grondwet », T.B.P., 1979, pp. 42 à 164, spéc. pp. 92 à 99 (avis sur l’extension des compétences des conseils culturels aux matières personnalisables ainsi
que sur les compétences de la commission de la culture française dans les
communes périphériques) et pp. 158 et s., où est repris l’avis de la section
de législation sur les dispositions du projet relative à la faculté d’élection de
domicile électoral dans une des communes de la région de Bruxelles-Capitale.
345
Voy. à ce sujet J. VELAERS, De Grondwet en de Raad van State, afdeling
wetgeving, Anvers, Maklu, 1999, pp. 30-31 et p. 906.
342
343
142
son parti, le CVP ayant en réalité commencé à se
montrer réticent au lendemain de la finalisation de
l’accord politique, sous la pression des médias346.
S’ouvre alors une période de grande instabilité
politique, avec quatre gouvernements formés par
Wilfried Martens jusqu’au 8 novembre 1981, et
l’impossibilité de ramener le FDF et la Volksunie
à leur modération du pacte d’Egmont.
Chapitre 2 – Du préparatoire au provisoire
86. Par une loi du 5 juillet 1979 sur les institutions communautaires et régionales « provisoires »347, la loi du 1er août 1974 est à nouveau
modifiée et réaménage la structure des comités
ministériels ainsi que leurs compétences, consacrant une pratique mise en place dès la constitution du premier gouvernement Martens.
Outre les trois comités ministériels régionaux,
il existe désormais des comités ministériels de la
communauté française et de la communauté flamande.
Les deux comités ministériels flamands fusionnent d’emblée leurs activités, en sorte que c’est
de quatre « exécutifs » dont Wilfried Martens
fait état dans sa déclaration gouvernementale
d’avril 1979348.
Chaque exécutif rédige sa propre déclaration de
politique générale, dispose d’une administration
propre et gère son budget de manière autonome.
Les matières visées initialement à l’article 4 de
la loi du 1er août 1974 sont par ailleurs revues et
réparties différemment entre les deux catégories
de comités ministériels.
Si les régions se voient attribuer de nouvelles
compétences comme l’exploitation des richesses
naturelles et le traitement des déchets solides, les
importantes matières personnalisables qu’elles
exerçaient depuis 1974 sont transférées aux communautés.
Désormais, une politique régionale différenciée
se justifie en tout ou en partie dans les matières
suivantes349 :
« 1° la politique d’aménagement du territoire et
d’urbanisme, en ce compris la politique foncière,
le remboursement des biens ruraux, la rénovation
urbaine et l’assainissement des sites industriels
désaffectés ;
346
Voy. F. PERIN, op. cit., pp. 244-245. Selon lui, il s’agit véritablement
d’une « forfaiture » de Tindemans (ibidem, p. 250).
347
M.B., 10 juillet 1979.
348
Déclaration reproduite par le CRISP sur son site (http://www.crisp.be/
documents-politiques/gouvernements/gouvernements-federaux/) (dernière
consultation le 26 juillet 2013). À ce sujet, voy. E. WITTE et J. CRAEYBECKX,
op. cit., p. 445.
349
Voy. l’article 2 de la loi créant des institutions communautaires et régionales provisoires, coordonnées le 20 juillet 1979 (M.B., 31 juillet 1979).
ADMINISTRATION PUBLIQUE
2° la politique d’expansion économique régionale et de l’emploi ;
3° la politique du logement ;
4° l’enlèvement et le traitement des déchets
solides ;
5° l’exploitation des richesses naturelles ;
6° la politique de l’eau ;
7° la chasse, la pêche et les forêts ;
8° la politique industrielle et énergétique ;
9° l’organisation des pouvoirs subordonnés ;
10° la recherche scientifique appliquée concernant les matières énoncées ci-dessus sub 1° à 9° ».
D’autre part, une politique communautaire différenciée se justifie en tout ou en partie dans les
matières suivantes350 :
« 1° la politique d’hygiène et de santé publique ;
2° la politique d’aide aux personnes, familles et
services ainsi que la protection de la jeunesse ;
3° la formation didactique et pédagogique ainsi
que le recyclage et la reconversion professionnels ;
4° la recherche appliquée concernant les matières
visées à l’article 59bis de la Constitution et concernant les matières concernées sous les point 1° à 3°
ci-dessus ».
Il est ajouté351 que les arrêtés royaux pris dans
le cadre des matières communautaires précitées
sont applicables respectivement dans la région de
langue française et dans la région de langue néerlandaise, ainsi qu’à l’égard des institutions établies
dans la région bilingue de Bruxelles-Capitale qui,
en raison de leurs activités, doivent être considérées comme appartenant exclusivement à l’une ou
l’autre communauté.
Les conseils régionaux ne sont pas restaurés.
La loi de régionalisation provisoire constitue la première phase – la phase immédiate – du
programme du gouvernement Martens I, formé
en avril 1979. Elle devrait être suivie d’une deuxième phase, transitoire – mais néanmoins « irréversible » – pour trois ans, puis d’une phase
définitive, après large débat au Parlement.
Pendant la phase transitoire, il est notamment
question de mettre en place les assemblées correspondantes aux quatre exécutifs : le conseil
néerlandophone, appelé à être à la fois régional et
communautaire, les conseils francophone, wallon et
bruxellois, tous composés des sénateurs adéquats.
C’est ainsi vers une régionalisation à trois que
s’oriente l’équipe de Wilfried Martens, ce qui suscitera l’opposition de son propre parti352.
350
Voy. l’article 3 de la loi créant des institutions communautaires et régionales provisoires, coordonnée le 20 juillet 1979.
351
Voy. l’article 3, § 2, de la loi créant des institutions communautaires et
régionales provisoires, coordonnée le 20 juillet 1979.
352
E. WITTE et J. CRAEYBECKX, op. cit., p. 446.
TITRE 3 – LA « MISE AU FRIGO » DE 1980
Chapitre 1er – L’échec du projet 261 et la création
immédiate des Régions wallonne et flamande
87. Le gouvernement Martens I parvient, donc,
à boucler la première phase annoncée de la nouvelle réforme institutionnelle, avec la formation,
au sein du gouvernement national, des exécutifs
communautaires et régionaux.
En revanche, il bute sur la deuxième phase,
portant sur la régionalisation définitive et l’élargissement de l’autonomie culturelle aux matières
personnalisables.
Il s’agit des projets 260 et 261353, ce dernier
organisant toujours une Région bruxelloise sur le
modèle des deux autres régions, tout en marquant
une évolution par rapport au projet 461 issu du pacte
d’Egmont s’agissant de la composition de l’exécutif
bruxellois, la parité y étant désormais prévue354.
La discussion de l’article 5, § 2, du projet 261,
qui prévoit que des élus francophones de l’arrondissement de Bruxelles-Hal-Vilvorde peuvent
siéger au Conseil bruxellois, même sans être
domiciliés dans l’une des dix-neuf communes
– lesquelles continuent de former les limites régionales –, totalement indigeste pour les Flamands,
finit par causer la chute du gouvernement.
88. Il faudra attendre le gouvernement Martens III pour que soit finalement adoptée la
réforme projetée, dont il est décidé qu’elle sera,
en quelque sorte, immédiatement définitive.
Pour y parvenir, le premier ministre doit proposer de mettre Bruxelles « au frigo ».
Dans sa déclaration de mai 1980, il explique, en
effet, qu’un large consensus au sein du gouvernement existe sur les nouvelles structures politiques
des Communautés flamande, française et germanophone, ainsi que de la Région wallonne355.
« En revanche, d’importantes divergences existent
en ce qui concerne la solution de l’ensemble de la
problématique bruxelloise. Il faut dès lors poursuivre la discussion. Un examen plus approfondi
de ces problèmes est indispensable.
Les partis de la majorité ont cependant convenu
de créer immédiatement les nouvelles institutions.
Ils le font dans la conviction qu’ainsi un nouveau
climat de confiance s’établira qui facilitera la solution des problèmes bruxellois dans une étape ultérieure. En attendant, les règlements existants pour
Bruxelles seront maintenus à tous les niveaux.
Cela n’implique nullement l’immobilisme. Au
contraire, l’exécutif de la région bruxelloise pour353
Doc. parl., Sén., sess. extr. 1979, nos 260/1 et 261/1.
Voy. l’analyse de Ph. DE BRUYCKER, « Bruxelles dans la réforme de
l’État », op. cit., p. 13, et les références citées.
355
Sic – la Région flamande n’est déjà plus citée.
354
143
ADMINISTRATION PUBLIQUE
suivra son action au sein du gouvernement. Le
ministère de la Région bruxelloise sera réalisé en
même temps que les autres nouveaux ministères.
Les parastataux concernés seront eux aussi restructurés ou créés, l’accord de gouvernement en assurant
une gestion en commun par les deux communautés
vivant à Bruxelles. En plus, le gouvernement s’efforcera de proposer le plus rapidement possible au Parlement une solution pour l’ensemble des problèmes
bruxellois. Cette solution devra en tout cas être réalisée avant les élections communales de 1982. Entretemps, le gouvernement rejettera, avec l’appui des
partis de la majorité, toute initiative visant à modifier le règlement existant avant qu’une solution globale pour Bruxelles ne soit intervenue »356.
89. Comme annoncé, le gouvernement dépose,
dans la foulée, tous les textes requis sur le bureau
du Sénat. Un projet regroupant les dispositions
devant être votées à la majorité spéciale, l’autre
réunissant celles qui ne requièrent qu’une majorité simple, le tout accompagné de la révision d’un
certain nombre d’articles de la Constitution357.
Concrètement, il est prévu d’élargir les compétences des Communautés aux matières personnalisables, de leur permettre d’exercer les
compétences, respectivement de la Région wallonne et de la Région flamande358 et de régler
d’une autre manière la composition des conseils.
Il s’agit aussi de mettre les exécutifs en dehors du
gouvernement, tout ceci en application de l’article 59bis révisé de la Constitution359.
L’article 107quater sera quant à lui exécuté,
mais partiellement seulement : la loi spéciale en
projet, qui deviendra la loi spéciale du 8 août
1980360 ne fonde que les Régions flamande et wallonne, « compte tenu du fait que, jusqu’ici, aucun
accord global n’a pu être obtenu au sujet de la problématique bruxelloise »361.
D’aucuns voient plutôt dans ce report de la
régionalisation bruxelloise l’un des éléments du
prix payé par les francophones pour obtenir la
création de la Région wallonne362.
90. Par ailleurs, tandis que l’article 59bis de la
Constitution se prononce clairement sur le pouvoir
356
Déclaration reproduite par le CRISP sur son site (http://www.crisp.be/
documents-politiques/gouvernements/gouvernements-federaux/) (dernière
consultation le 26 juillet 2013).
357
Voy. le rappel du programme dans l’exposé des motifs du projet de
loi spéciale de réformes institutionnelles, Doc. parl., Sén., sess. 1079-1980,
o
n 434/1.
358
Comme on le sait, seule la fusion des Région et Communauté flamandes
sera finalement et directement organisée par la loi spéciale du 8 août 1980 de
réformes institutionnelles, celle-ci subordonnant la fusion des Région wallonne
et Communauté française à une décision des conseils concernés.
359
Ibidem, p. 1.
360
M.B., 15 août 1980.
361
Doc. parl., Sén., sess. 1079-1980, no 434/1, p. 1. Voy aussi F. PERIN,
op. cit., p. 254.
362
P. WYNANTS, op. cit., p. 1014.
144
normatif dévolu aux conseils des communautés363,
le constituant de 1980 adopte un article 26bis364,
pour contourner le fait que l’article 107quater n’est
pas ouvert à révision365, disposition qui renvoie au
législateur spécial la tâche de déterminer la force
juridique des règles qu’adopteront les organes
créés en application de l’article 107quater366 :
« On aurait pu régler la force juridique des
normes directement dans la Constitution et ce pour
chaque région. On aurait pu dire que les décrets
étaient l’expression normative de toutes les régions.
Il faut cependant tenir compte du fait que la discussion sur la région de Bruxelles n’est pas close.
Il n’existe pas encore de consensus sur la force
juridique des normes de cette région »367.
Autrement dit, le texte permet à des lois, à
adopter à la majorité spéciale, de donner force de
loi aux décrets régionaux tout en laissant ouvertes
toutes possibilités de solution pour la région
bruxelloise, l’idée étant qu’il reste possible que
celle-ci ne puisse adopter que des normes à la
force juridique inférieure aux lois368.
Bruxelles est donc au frigo, régie par les lois
coordonnées du 20 juillet 1979 créant des institutions communautaires et régionales provisoires,
et on lui conserve bien toutes les possibilités, en
ce compris celles qui ne feraient pas d’elle une
région dotée des mêmes pouvoirs que les autres.
Chapitre 2 – Le délai raisonnable exigé par la section de législation du Conseil d’État
91. Appelée à rendre son avis quant au projet
de loi spéciale concrétisant le nouvel accord de
gouvernement, la section de législation du Conseil
d’État observe que le texte se distingue des projets
précédents en ce qu’il ne réalise pas la régionalisation à Bruxelles et se présente comme une réforme
définitive pour le surplus.
Elle émet ensuite un point de vue qui restera
dans les annales369 :
« Le projet ne contient aucune disposition relative à la Région bruxelloise. Le législateur reste
donc en défaut, pour le moment, d’exécuter l’ar363
Voy. l’article tel qu’adopté le 17 juillet 1980, M.B., 18 juillet 1980.
Adopté le 17 juillet 1980, M.B., 18 juillet 1980. Devenu l’article 134 de
la Constitution.
365
Révision du titre III de la Constitution par l’insertion d’un article 26bis
relatif aux différentes normes, rapport fait au nom de la commission de la révision de la Constitution et des réformes institutionnelles par MM. Wecicx et Van
Cauwenberghe, Doc. parl., Ch., sess. extr. 1979, no 10-3/4, p. 2.
366
En dépit de l’avis de certains parlementaires, qui trouvaient que l’article 107quater renfermait déjà, en soi, l’habilitation faite au législateur spécial
de traduire ce que signifie « régler » au sens de cette disposition (Doc. parl.,
Sén., sess. extr. 1979, no 100-26, p. 4).
367
Rapport Wecicx et Van Cauwenberghe, op. cit., Doc. parl., Ch., sess.
extr. 1979, no 10-3/4, p. 2
368
Ibidem, p. 4.
369
Doc. parl., Sén., sess. 1079-1980, no 434/1, pp. 2-3.
364
ADMINISTRATION PUBLIQUE
ticle 107quater à l’égard de cette Région. S’il peut
y avoir des éléments objectifs propres à des situations particulières – il appartiendra au législateur
d’en apprécier l’existence – qui soient de nature
à justifier le sursis provisoire à réaliser la régionalisation à l’égard de la Région bruxelloise, il
n’en reste pas moins qu’aussi longtemps que l’article 107quater n’aura pas été révisé – et dans l’état
actuel des choses cet article n’est pas soumis à
révision – l’obligation d’exécuter l’article 107quater pour la Région bruxelloise comme pour les
autres Régions est et demeure inscrite dans la
Constitution. Il s’ensuit que le présent projet n’est
admissible du point de vue constitutionnel que
pour autant que l’exécution de l’article 107quater
à l’égard de la Région bruxelloise soit simplement
différée et non pas abandonnée, et que le défaut
d’exécution ne se prolonge pas au-delà d’un délai
raisonnable. »
92. La position de la section de législation a
bien de la saveur lorsqu’on la lit rétrospectivement.
En effet, à en croire le gouvernement Martens III, le problème bruxellois sera résolu avant
les élections communales de 1982, de sorte que
l’avertissement du Conseil d’État n’est pas supposé inquiéter qui que ce soit.
Quelques mois plus tard, le problème est déjà
reporté après les communales de 1982, avec l’espoir que le climat politique sera suffisamment rasséréné pour permettre de réamorcer le dialogue
relatif à Bruxelles370.
C’est évidemment une erreur.
Il n’y aura pas d’accord sur Bruxelles avant
plusieurs années, et la loi créant des institutions
communautaires et régionales provisoires, coordonnée le 20 juillet 1979, vaudra jusqu’à l’entrée
en vigueur de la loi spéciale du 12 janvier 1989.
Concrètement, « Bruxelles demeure dès lors
régie par les institutions dites de la régionalisation préparatoire et se trouve, de ce fait, mise
en position d’infériorité par rapport aux autres
régions »371. Elle est toujours dotée d’un comité
ministériel de trois membres : un ministre, deux
secrétaires d’État, dont l’un doit appartenir à un
groupe linguistique différent de celui du ministre.
C’est donc une « enclave au sein du gouvernement national (…) qui n’a de comptes à rendre que
devant l’ensemble du parlement national, (sachant
que) les ministres bruxellois n’ont aucune “autorité
fonctionnelle” sur leurs autres collègues du gouvernement »372.
370
J.-L. DEHAENE, « Waar staan we met de staatshervorming na twee
jaar ? », T.B.P., 1982, p. 390. Voy. aussi A. DELCAMP, op. cit., p. 49.
371
A. DELCAMP, op. cit., p. 52.
372
Ibidem, p. 52-53. Voy. aussi Ph. DE BRUYCKER, « Bruxelles dans la
réforme de l’État », op. cit., p. 14.
Tout au plus peut-on à ce moment parler d’une
« politique bruxelloise de l’État belge »373.
TITRE 4 – TROISIÈME CONCLUSION – DES INSTITUTIONS RÉGIONALES PRÉPARATOIRES OU PROVISOIRES… DURABLES
93. Avec l’échec des accords d’EgmontStuyvenberg, cette « tentative grandiose de
construire un État moderne »374, le sort de
Bruxelles subit un grand coup d’arrêt.
Alors que la réforme de 1980 est celle qui engage
l’État belge sur la voie du fédéralisme – même si
le mot n’est toujours pas employé alors375 – elle ne
crée que deux régions sur les trois.
De même, alors que sont désormais fixées les
structures régionales et communautaires, sur le
modèle des institutions étatiques, Bruxelles, cette
région « par défaut », celle dont les limites sont
éternellement arrêtées « à titre provisoire » ou « à
titre transitoire »376, continue de fonctionner dans
l’ombre du gouvernement national, ou au travers
d’une Agglomération décrépite.
Le désaccord persistant en ce qui la concerne
conserve évidemment sa dimension linguistique :
« la délimitation territoriale de la Région bruxelloise amenait en effet à trancher la très délicate
question des droits accordés aux Francophones
habitant la périphérie bruxelloise »377.
« On peut cependant affirmer que, de manière
plus générale, le Nord du pays, favorable à un
État communautarisé où la capitale ne disposerait
pas d’une autonomie propre, ne parvenait pas à
se résoudre à mettre en œuvre la régionalisation à
Bruxelles. »378
Cette situation a donné lieu à « une incapacité
politique complète. « (…) L’on ne pouvait faire
face aux divers problèmes de nature socioéconomique parce que l’imbrication dans le gouvernement national ne pouvait pas marcher. Une seule
initiative a vu le jour au cours de cette période. Il
s’agit du Code du logement »379.
373
Y. LEJEUNE, « Les nouvelles institutions bruxelloises », J.T., 1989, p. 209.
Propos prêtés au premier ministre Tindemans par E. WITTE et J. CRAEYBECKX, op. cit., p. 441.
375
M. LEROY, op. cit., p. 47.
376
Voy. l’article 2 originaire de la loi spéciale du 8 août 1980, qui fixait le
territoire des Région wallonne et flamande « à titre transitoire », pour permettre
la poursuite – à tout le moins apparente – d’un débat sur les limites de la région
bruxelloise.
377
Ph. DE BRUYCKER, « Les nouvelles institutions bruxelloises », in
M. UYTTENDAELE (coord.), À l’enseigne de la Belgique nouvelle, Rev. ULB,
1989, p. 105.
378
Ibidem, p. 105. Voy. d’ailleurs l’intervention de M. Van Rompuy dans
le cadre des travaux préparatoires de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative
aux institutions bruxelloises, qui reconnaît qu’il est en partie exact qu’en 1980,
les Flamands ne souhaitaient pas doter Bruxelles de structures propres (Doc.
parl., Ch., sess. 1988-1989, no 661/4, p. 14).
379
Projet de loi spéciale relative aux institutions bruxelloises, rapport fait
un nom de la commission de la révision de la Constitution et des réformes des
374
145
ADMINISTRATION PUBLIQUE
QUATRIÈME PARTIE – LE TROMPE-L’ŒIL DE
LA TROISIÈME RÉFORME DE L’ÉTAT (1988-1989)
TITRE 1ER – LE CONTEXTE DE LA RÉFORME
94. Entre 1980 et 1988, le débat à propos de la
Région bruxelloise se poursuit.
La ville de Bruxelles est entre-temps – en 1984 –
devenue également la capitale de la Communauté
flamande380 et – par réaction sans doute – de la Communauté française381. La Communauté flamande a
fait savoir à cette occasion que, dans son esprit, sa
capitale est appelée à être à terme le produit de la
fusion des dix-neuf communes382, à l’évidence pour
y obtenir une représentation plus importante que ce
que les scrutins communaux ne lui offrent.
C’est sous le bénéfice de la constitution du gouvernement Martens VIII, après une longue crise,
qu’il est décidé de trancher enfin la question du
statut de Bruxelles, dans le contexte d’une nouvelle réforme globale de l’État, dont le programme
– divisé en trois phases – est aussi fondé sur l’extension des compétences attribuées aux Régions et
aux Communautés, le vote d’une loi de financement des Communautés et des Régions et l’élargissement des compétences de la Cour d’arbitrage383.
« Rappelant que la réforme de 1980 n’avait pas
donné une forme définitive à la réforme de l’État
belge et constatant que, depuis lors, les diverses
opinions politiques relatives au problème de
Bruxelles ont sensiblement évolué, le gouvernement estime opportun d’élaborer un statut à part
entière pour la Région de Bruxelles-Capitale lors
de la nouvelle phase de la réforme de l’État. »384
L’adoption d’une loi spéciale relative à la
Région de Bruxelles-Capitale fait partie de la
deuxième phase, tandis que la révision de l’article 108ter de la Constitution est l’un des objets
de la première phase385.
institutions par MM. Moureaux et Chabert, Doc. parl., Sén., sess. 1988-1989,
no 514-2, p. 23.
380
Décret du 6 mars 1984 concernant le choix de Bruxelles comme capitale de la Communauté flamande, M.B., 12 mai 1984. Voy. J. VELAERS, op.
cit., pp. 654-655, pour les avis négatifs de la section de législation du Conseil
d’État, qui considérait que le choix d’une capitale était l’attribut d’un État, et
non d’une entité fédérée telle que la Communauté flamande. Voy. également
à ce sujet M. VAN DER HULST, « Brussel als hoofdstad van de federale staat
en van de Vlaamse Gemeenschap », in E. WITTE, A. ALEN, H. DUMONT et
R. ERGEC (réd.), Het statuut van Brussel/Bruxelles et son statut, Bruxelles, De
Boeck et Larcier, 1999, pp. 639-642.
381
Décret du 10 mai 1984 instituant Bruxelles capitale de la Communauté
française, M.B., 8 juin 1983.
382
M. VAN DER HULST, op. cit., p. 641, et les travaux parlementaires cités.
383
Pour le détail de ces phases, voy. B. HAUBERT et p. VANDERNOOT, « La
nouvelle loi de réformes institutionnelles du 8 août 1988 », A.P.T., 1988,
pp. 213-215.
384
Projet de loi modifiant la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, Doc. parl., Ch., sess. extr. 1988, no 516/1, p. 2.
385
« Alors qu’on faisait, depuis près de vingt ans, mille supputations quant
à l’exécution de l’article 107quater de la Constitution en ce qui concerne
Bruxelles, la création des organes régionaux s’est faite sur base de l’article 108ter de la Constitution dont un auteur a pu écrire que “c’est aujourd’hui
146
La philosophie générale de la réforme proposée
est résumée ainsi dans le cadre des travaux préparatoires386 :
« Pour les matières régionales, qu’il s’agisse
des compétences de la Région ou des compétences de l’agglomération, des mesures sont prévues pour empêcher un traitement discriminatoire
entre Bruxellois francophones et néerlandophones
(procédure de la sonnette d’alarme par exemple),
mais ce qui distingue culturellement les Bruxellois
entre eux ne constitue pas la pierre angulaire de
l’exercice des compétences précitées.
Il en va bien sûr tout autrement pour les matières
culturelles, d’enseignement et personnalisables.
Dans ces domaines, les décisions qui concernent
exclusivement les Bruxellois francophones seront
prises par des mandataires bruxellois francophones,
les décisions qui concernent exclusivement les
Bruxellois néerlandophones seront prises par des
mandataires bruxellois néerlandophones et celles
qui concernent les deux groupes seront prises, paritairement, par les Assemblées et le Collège réunis ».
Autrement dit, les initiateurs de la réforme proposent une formule différenciée pour rencontrer
la double facette de Bruxelles, à la fois région et
carrefour des deux grandes communautés.
Les Bruxellois régleront donc ensemble les matières
régionales, au sein d’organes qui tiennent compte de
l’existence des deux communautés, mais sans que
ceci n’ait une portée aussi décisive que lorsqu’il s’agit
de régler des matières communautaires.
Pour cela, il s’agit de créer, outre des organes
régionaux, des organes destinés à ce que chaque
communauté puisse s’épanouir pleinement à
Bruxelles, et des organes communs pour que ce
qui ne relève pas exclusivement d’une communauté ou qui est de leur intérêt commun puisse
aussi être géré.
Enfin, la réforme n’a pas seulement pour objet
de créer les institutions régionales bruxelloises et
de régler la manière dont les compétences communautarisées doivent s’exercer à Bruxelles : il s’agit
également d’embrasser la question du sort à réserver à l’agglomération.
95. Le chantier est vaste, et le nombre d’institutions à prévoir s’annonce pléthorique, même si
le gouvernement promet qu’il s’agit là de doter la
Région de Bruxelles de structures « simples, efficaces et transparentes »387.
la disposition la plus importante pour préciser le statut de Bruxelles” ! »
(Ph. DE BRUYCKER, « Les nouvelles institutions bruxelloises », in M. UYTTENDAELE (coord.), À l’enseigne de la Belgique nouvelle, op. cit., p. 106).
386
Révision de la Constitution, rapport fait un nom de la commission de la
révision de la Constitution et des réformes des institutions par MM. Moureaux
et Baert, Doc. parl., Sén., sess. extr. 1988, no 100-6/2, p. 17.
387
Révision de la Constitution, proposition du Gouvernement relative à la
révision de l’article 108ter, §§ 2 à 6 de la Constitution, Doc. parl., Ch., sess.
extr. 1988, no 10-108t – 420/1, p. 1.
ADMINISTRATION PUBLIQUE
Pour juguler les reproches, le constituant, en
révisant l’article 108ter de la Constitution, prévoit de confier aux mêmes mandataires bruxellois l’exercice cumulé des compétences de ces
diverses institutions388, de manière à tenir compte
de la triple dimension de Bruxelles – région, capitale, et terrain de rencontre en les deux grandes
communautés – sans que ceci ne se traduise par
une prolifération des mandats389.
L’article 108ter, modifié le 7 juillet 1988390, est
donc rédigé de telle façon qu’il est interdit au législateur spécial de composer les organes qu’il vise
de personnes autres que celles qui composeront les
organes institués en vertu de l’article 107quater391.
Les paragraphes 4 à 6 de l’article 108ter, relatifs
aux commissions de la culture, sont abrogés, tandis que les paragraphes 2 et 3, relatifs aux groupes
linguistiques et à la sonnette d’alarme au sein de
l’agglomération, sont remplacés par les dispositions suivantes :
« § 2. Les compétences de l’Agglomération à
laquelle la capitale du Royaume appartient sont,
de la manière déterminée par une loi adoptée à la
majorité prévue à l’article 1er, dernier alinéa, exercées par les organes de la Région de BruxellesCapitale créés en vertu de l’article 107quater.
§ 3. Il y a des groupes linguistiques du Conseil
de la Région de Bruxelles-Capitale, et des Collèges, compétents pour les matières communautaires ; leur composition, fonctionnement,
compétences et, sans préjudice de 59bis, § 6, leur
financement, sont réglés par une loi adoptée à la
majorité prévue à l’article 1er, dernier alinéa.
Ces organes :
1° ont, chacun pour sa communauté, les mêmes
compétences que les autres pouvoirs organisateurs
pour les matières culturelles, d’enseignement et
personnalisables ;
2° exercent, chacun pour sa communauté,
les compétences qui leur sont déléguées par les
Conseils de Communautés ;
3° règlent conjointement les matières visées au
1° qui sont d’intérêt commun.
Les Collèges forment le Collège réuni, qui fait
fonction d’organe de concertation et de coordination entre les deux communautés ».
C’est donc exclusivement par les personnes
qu’il est prévu d’opérer la simplification des institutions bruxelloises, sans pour autant diminuer le
nombre de celles-ci.
Lors des débats parlementaires, la complexité
de l’enchevêtrement ainsi envisagé pour éviter de
multiplier exagérément le nombre de mandats est
toutefois telle qu’un sénateur croit bon déposer un
schéma en séance, lequel sera publié avec le rapport de la commission de la révision de la Constitution du Sénat392.
96. La rédaction de l’article 108ter nouveau
oriente les travaux à venir du législateur spécial.
Il impose, en effet, l’exercice des compétences de
l’agglomération bruxelloise par les futurs organes
régionaux, de même qu’il prévoit le dédoublement
fonctionnel dont ils feront l’objet aux fins d’exercer les compétences des anciennes commissions
de la culture de l’agglomération, enrichies de nouvelles compétences communautaires.
Un sénateur observe d’ailleurs que « l’on a repris
les idées essentielles de l’ancien article 108ter
pour les transformer dans le mécanisme actuel où
la Région succède à la fois à l’agglomération et
aux commissions culturelles »393.
Et il est vrai que telles qu’elles seront votées, les
dispositions de la Constitution et de la loi spéciale
du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises, certes complexes, constitueront d’évidentes
réminiscences du passé, qu’il s’agisse de la délimitation de l’aire territoriale de leur intervention,
de leur profil, ou encore de leurs attributions.
TITRE 2 – UN TERRITOIRE
97. L’article 2, § 1er, de la loi spéciale du
12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises prévoit que « le territoire de la Région
de Bruxelles-Capitale comprend le territoire de
l’arrondissement administratif de “BruxellesCapitale”, tel qu’il existe au moment de l’entrée
en vigueur de la présente loi ».
Le même article, en son paragraphe 2, supprime
le caractère provisoire de la délimitation des deux
autres régions – et, donc, implicitement, de celle
de la Région bruxelloise – que la loi spéciale du
8 août 1980 avait encore feint de garantir.
Et même, si d’aventure le législateur, spécial
qui plus est, devait avoir tout à coup une illumination dénuée de toute tension communautaire et
modifier les limites de l’arrondissement administratif de Bruxelles-Capitale au sens des lois sur
l’emploi des langues en matière administrative,
« cette décision ne pourrait emporter, du même
coup, une modification des limites de la Région
bruxelloise pour l’application de l’article 107quater que pour autant que le législateur en ait
exprimé la volonté de manière incontestable »394.
392
388
Rapport Moureaux et Baert, op. cit., p. 2.
389
Ibidem, p. 4.
390
M.B., 9 juillet 1988.
391
Ibidem, p. 3.
Ibidem, pp. 31-32.
Ibidem, p. 16.
Projet de loi spéciale relative aux institutions bruxelloises, avis de la
section de législation du Conseil d’État, Doc. parl., Sén., sess. 1988-1989,
no 514-1, p. 65.
393
394
147
ADMINISTRATION PUBLIQUE
98. Voilà donc les frontières de la Région de
Bruxelles-Capitale verrouillées à double tour, et
une raison pour les francophones de la périphérie
de crier à l’abandon395.
Fixées par le législateur spécial, elles sont
vouées à être immuables.
Cette exiguïté territoriale, cette limite des
limites, doit être considérée comme une donnée
intangible de l’équilibre belge, et ce même s’il a
pu être démontré que, paradoxalement, la représentation flamande serait nettement accrue au sein
d’une région élargie à l’ensemble des communes
de la périphérie dans lesquelles les francophones
correspondent à la définition de « minorité »396.
« Depuis 1963, en effet, quelles qu’aient été
les péripéties, toutes les occasions ont été saisies,
non sans polémiques, hésitations et aller-retour,
pour les conforter – les limites de l’arrondissement
administratif et, donc, celles de la région bilingue –
et aligner sur elles les autres réalités, et non le
contraire »397.
La loi spéciale du 12 janvier 1989 semble donc
consacrer la seule solution politiquement possible,
à l’instar, avant elle, de tous les projets gouvernementaux au travers desquels il a été tenté de
résoudre le problème bruxellois, tels les projets
461 et, ensuite, 261 : « la Région bruxelloise a
toujours été confinée aux limites de l’arrondissement administratif de Bruxelles-Capitale »398.
99. La Région bruxelloise devient dès lors, sous
la plume du constituant, auteur de l’article 108ter
nouveau de la Constitution, la Région de
Bruxelles-Capitale, son nom étant ramené, comme
par un raccourci, à sa signification administrative
et linguistique, en dépit des dénégations du gouvernement, qui a insisté sur l’absence de tout rapport entre la Région (de Bruxelles-Capitale) et la
région bilingue de Bruxelles-Capitale, désormais
consacrées toutes deux constitutionnellement.
La dénomination est également suspecte de refléter la vision flamande d’une région bruxelloise qui,
en raison du fait qu’elle abrite la capitale du pays,
requiert un sort différent des deux autres régions.
Il ne faut pourtant voir dans le choix de l’appellation « Bruxelles-Capitale » aucune « diminutio capitis de la Région bruxelloise visée à
l’article 107quater, car elle n’exerce aucune
395
Rapport Moureaux et Chabert, op. cit., Doc. parl., Sén., sess. 1988-1989,
no 514-2, p. 20.
396
N. LAGASSE, « Le statut de la Région de Bruxelles-Capitale – La position
des principaux acteurs politiques », C.H. CRISP 1999, no 1652, pp. 13-14.
397
A. DELCAMP, op. cit., p. 95, et pp. 100-102 pour un exposé de la valeur
symbolique que revêtent les limites territoriales de Bruxelles pour la Communauté flamande.
398
Projet de loi spéciale relative aux institutions bruxelloises, rapport fait
au nom de la commission de révision de la Constitution, des réformes institutionnelles et du règlement des conflits par MM. Tomas et Anciaux, Doc. parl.,
Ch., sess. 1988-1989, no 661/4, p. 53.
148
influence sur la nature et les compétences de ses
organes »399.
Tel n’a pas toutefois été l’avis de la section de
législation du Conseil d’État, qui – craignant la
révision implicite de l’article 107quater – a trouvé
que la notion de Région de Bruxelles-Capitale
était « en relation manifeste avec la restriction de
l’autonomie de la région bruxelloise en raison de
la fonction de capitale de la ville de Bruxelles » et
que l’article 108ter qui en consacrait l’existence
n’était donc pas tout à fait l’exécution annoncée
de l’article 107quater en question400.
TITRE 3 – DES INSTITUTIONS
Chapitre 1er – Le Conseil de la Région de BruxellesCapitale
100. De manière générale, les concepteurs de la
loi spéciale du 12 janvier 1989 ont été guidés par
le souci de suivre les principes et les règles qui,
pour les Communautés et Régions existantes, ont
été fixés dans la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980.
En témoigne le nombre de renvois à cette loi
spéciale opérés dans la loi spéciale relative aux
institutions bruxelloises.
Le fonctionnement du Conseil est donc calqué,
dans une très large mesure, sur celui des autres
conseils régionaux, « moyennant quelques adaptations rendues nécessaires afin d’assurer une pleine
association des représentants des deux Communautés au fonctionnement des institutions de la
Région de Bruxelles-Capitale »401.
101. En vertu de l’article 10 de la loi spéciale,
le Conseil est composé d’élus directs, ce qui a
offert l’occasion au gouvernement de fanfaronner
un peu402 :
« On a dit en 1980 que Bruxelles était à la traîne,
parce qu’on maintenait à son égard un statu quo
qui la laissait au stade de la régionalisation provisoire de la loi de juillet 1979, qui trouve en réalité
son origine dans la régionalisation provisoire de
399
Rapport Tomas et Anciaux, op. cit., p. 47. En ce sens, voy. P. VAN ORS« Brussel anno 1989 – Een derde gewest, een enige agglomeratie, drie
gemeenschapscommissies en… een vierde gemeenschap », R.W., 1989-1990,
no 14, p. 450.
400
Projet de loi spéciale relative aux institutions bruxelloises, avis de la
section de législation du Conseil d’État, Doc. parl., Sén., sess. 1988-1989,
o
n 514-1, pp. 60-61.
401
Rapport Moureaux et Chabert, op. cit., Doc. parl., Sén., sess. 1988-1989,
no 514-2, p. 6.
402
Ibidem, p. 13. Voy., sur le fait que l’élection directe, obtenue avant les
autres régions, pourrait favoriser l’émergence d’une véritable conscience régionale, Ph. DE BRUYCKER, « Bruxelles dans la réforme de l’État », C.H. CRISP
1989, no 1230-1231, p. 47 et idem, « Les nouvelles institutions bruxelloises »,
in M. UYTTENDAELE (coord.), À l’enseigne de la Belgique nouvelle, Rev. ULB,
1989, p. 107. On n’omettra pas le fait que la Communauté germanophone
dispose pour sa part d’un conseil élu directement au suffrage universel depuis
1973.
HOVEN,
ADMINISTRATION PUBLIQUE
1974, tandis que les Communautés flamande et
française et la Région wallonne se voyaient doter
d’un nouveau statut. Aujourd’hui, on devrait dire
que Bruxelles prend de l’avance, puisqu’elle bénéficie d’une solution ou du moins d’un statut qui va
plus loin que celui de la Communauté flamande,
de la Communauté française et de la Région wallonne, pour lesquelles un certain nombre de questions comme la suppression du double mandat et
l’élection directe des conseils devront encore être
réglées dans le cadre de la troisième phase ».
Ces élus directs bruxellois, renouvelés tous les
cinq ans, sont, en 1989, au nombre de 75403.
Les uns jugent ce chiffre insuffisant, tandis
que d’autres dénoncent une inflation de mandats.
Dans l’esprit des auteurs du projet de loi spéciale,
il s’agit de répondre à un double objectif : « assurer une représentation correcte des deux communautés présentes à Bruxelles, sans pour autant
conduire à un nombre exagéré de mandats »404.
102. Le Conseil régional présente des caractéristiques héritées du passé dont les institutions
provisoires n’avaient pour leur part pas bénéficié.
L’article 23 de la loi spéciale consacre ainsi la
division des membres du Conseil en deux groupes
linguistiques qui fondent ensuite largement l’organisation et le fonctionnement de l’assemblée, avec
des règles destinées à protéger « le groupe linguistique le moins nombreux ».
Il est, par exemple, requis que ce groupe soit
représenté dans toutes les commissions.
De même, le mécanisme de la sonnette d’alarme
est récupéré à l’article 30 de la loi spéciale, toujours dans la perspective de protéger les intérêts
de la minorité linguistique.
Il n’a à ce jour jamais connu d’application.
103. On le sait, l’enseignement majeur de
l’expérience de l’agglomération, avec les « faux
Flamands » du FDF, consiste à ce que les listes
bilingues, pour l’élection des membres du Conseil
régional bruxellois, soient interdites405.
Tel est l’objet de l’article 17, § 2, de la loi spéciale du 12 janvier 1989.
Certes, les candidats peuvent librement choisir de figurer sur une liste électorale française ou
néerlandaise, mais le choix est définitif : en vertu
de l’article 17, § 1er, de la loi spéciale, il ne pourra
plus être modifié en cas de participation à une
élection ultérieure406. Il s’agit là de l’unique, mais
non moins important, tempérament au principe qui
prévaut à ce jour à Bruxelles, et qui veut que ses
habitants n’aient pas à faire le choix d’une sousnationalité selon leur rôle linguistique407.
Chapitre 2 – L’Exécutif de la Région de BruxellesCapitale
104. Les règles de composition de l’exécutif
ménagent elles aussi une protection de la minorité
linguistique flamande, traduisant tout le poids que
les Flamands ont pu mettre dans la négociation
pour assurer à celle-ci l’équivalent de la protection
obtenue au niveau fédéral par les francophones408.
Ainsi, l’équipe appelée à former l’exécutif doit
rencontrer l’adhésion des deux groupes linguistiques, selon les modalités précisées à l’article 35
de la loi spéciale du 12 janvier 1989.
Le gouvernement régional est composé de cinq
membres et, son président excepté, les quatre autres
portefeuilles doivent être partagés dans le respect de
la parité entre les deux groupes linguistiques, par la
voie du consensus ou, à défaut, selon les règles de
dévolution précisées à l’article 37 de la loi spéciale.
Les membres de l’exécutif ne sont responsables
que devant leur propre groupe linguistique, ce
qui peut naturellement les conduire à faire de la
« musculation » politique devant leurs collègues
de l’autre rôle, sans craindre la mise en cause de
leur responsabilité. Ceci est de nature à crisper les
relations au sein de l’exécutif409.
105. Enfin, autre particularité qu’il est intéressant
de relever, en vertu de l’article 41 de la loi spéciale
du 12 janvier 1989, l’exécutif bruxellois associe à
ses travaux trois « secrétaires d’État régionaux »
– drôle de formule –, dont l’un au moins doit appartenir au groupe linguistique le moins nombreux.
Ils ne font pas partie de l’exécutif, mais sont
responsables devant le Conseil.
L’adjonction de ces secrétaires d’État aux
membres de l’exécutif, permet, comme tout bon
compromis à la belge, à la fois au francophones de
prétendre, avec trois ministres et deux secrétaires,
qu’ils sont majoritaires au sein d’un exécutif à
406
403
Ce nombre sera porté à 89 en 2001, pour des raisons que nous n’exposerons pas ici en détail, mais toujours liées à la question de la représentation
garantie – et démocratique – des formations politiques flamandes.
404
Rapport Moureaux et Chabert, op. cit., p. 44. Selon toute vraisemblance,
le chiffre de 75 devait donner l’assurance à la Volksunie d’être représentée au
Conseil (Ph. DE BRUYCKER et N. LAGASSE, « Bruxelles dans la réforme de l’État
belge », op. cit., p. 236).
405
À ce propos, voy. M. VERDUSSEN, « L’élection régionale et ses préliminaires », in R. ANDERSEN, G. BROUHNS, F. DELPÉRÉE, F. JONGEN, M.-F. RIGAUX,
H. SIMONART et M. VERDUSSEN, La Région de Bruxelles-Capitale, Bruxelles,
Bruylant, 1989, pp. 99 et s., spéc. p. 128.
Voy. l’article 17 de la loi spéciale du 12 janvier 1989 et M. VERDUS« L’élection régionale et ses préliminaires », op. cit., p. 130. Voy. aussi
P. VAN ORSHOVEN, « Brussel anno 1989 – Een derde gewest, een enige agglomeratie, drie gemeenschapscommissies en… een vierde gemeenschap », R.W.,
1989-1990, no 14, p. 454.
407
Ph. DE BRUYCKER et N. LAGASSE, « Bruxelles dans la réforme de l’État
belge », op. cit., p. 231. Voy. aussi H. DUMONT et S. VAN DROOGHENBROECK,
« L’interdiction des sous-nationalités à Bruxelles », A.P.T., 2011/3, pp. 201 et s.
408
N. LAGASSE, « Gouverner Bruxelles – Règles en vigueur et débat », C.H.
CRISP 1999, nos 1628-1629, pp. 22-23.
409
Ph. DE BRUYCKER et N. LAGASSE, « Bruxelles dans la réforme de l’État
belge », op. cit., p. 238.
SEN,
149
ADMINISTRATION PUBLIQUE
l’image de la population bruxelloise, tandis que les
Flamands, se focalisant sur la seule composition de
l’exécutif au sens strict, peuvent mettre en exergue
la parité obtenue au sein du gouvernement410.
Chapitre 3 – Les Commissions communautaires
106. L’article 60 de la loi spéciale du 12 janvier 1989 consacre l’existence des commissions
communautaires.
Il y a, donc, pour l’exercice des compétences
visées aux articles 59bis, § 4bis, alinéa 2411, et
108ter, § 3412, de la Constitution, trois institutions
dotées chacune de la personnalité juridique.
L’institution compétente pour les matières de
la Communauté française de Bruxelles-Capitale,
dénommée « la Commission communautaire
française », a pour organes, d’une part, le groupe
linguistique français du Conseil de la Région de
Bruxelles-Capitale, d’autre part, un collège composé des membres francophones de l’exécutif de
la Région de Bruxelles-Capitale.
L’institution compétente pour les matières de
la Communauté flamande de Bruxelles-Capitale,
dénommée « la Commission communautaire flamande », a pour organes le groupe linguistique
néerlandais du Conseil de la Région de BruxellesCapitale et un collège composé des membres
néerlandophones de l’Exécutif de la Région de
Bruxelles-Capitale.
Enfin, l’institution compétente pour les matières
communautaires communes aux deux Communautés de Bruxelles-Capitale, dénommée « la Commission communautaire commune », a pour organes
l’assemblée réunie composée des membres des
groupes linguistiques précités et le collège réuni,
composé des membres de l’exécutif régional.
Jusqu’en 1993, le président de l’exécutif et les
secrétaires d’État ne participeront pas aux travaux
de ces collèges.
107. Les commissions communautaires ont
été organisées afin de « permettre aux Bruxellois,
néerlandophones et francophones, d’intervenir
directement dans un certain nombre de matières
lorsque les actions menées par les autorités normalement compétentes ne les satisferaient pas »413.
Elles sont conçues, à ce stade encore éloigné de la
réforme de l’État de 1993, comme « des collectivités politiques décentralisées placées sous le contrôle
respectivement de la Communauté française et de
la Communauté flamande »414. L’article 83 de la loi
410
Ibidem, p. 237.
Devenu l’article 135 de la Constitution coordonnée.
Devenu l’article 166, § 3, de la Constitution coordonnée.
413
R. WITMEUR, La Commission communautaire française : une copie à
revoir pour un État fédéral achevé ?, Bruxelles, Bruylant, 1995, p. 4.
414
P. VANLEEMPUTTEN, op. cit., p. 71.
411
412
150
spéciale du 12 janvier 1989 habilite d’ailleurs chacune de ces deux entités à organiser la tutelle sur
leur commission et à l’appliquer.
Leur instauration paraît avant tout être la résultante de l’article 107quater, qui interdit de confier
aux organes régionaux des compétences dévolues
par ailleurs aux Communautés. Cette règle constitutionnelle permet, à la satisfaction des Flamands
sans doute, d’éviter que les compétences des communautés ne soient exercées par la Région de
Bruxelles-Capitale, ce qui accentuerait le schéma
d’un fédéralisme à trois, plutôt qu’à deux.
Les auteurs de la réforme, confrontés à l’article 107quater de la Constitution, et appelés à
régler le sort de l’agglomération bruxelloise, en ce
compris ses commissions de la culture, ont dégagé
une « solution originale »415, en récupérant le
schéma de ces commissions pour le transférer sur
la tête des mandataires régionaux avec, en prime,
des compétences communautaires élargies416.
Il s’est agi, en effet, d’utiliser les élus régionaux
pour composer les organes des commissions communautaires, mais en prévoyant qu’ils agissent, chaque
fois, sous couvert d’une personnalité juridique distincte : chaque groupe linguistique du Conseil régional formant ainsi les organes de la Commission
communautaire correspondante, les groupes réunis
étant appelés à former ensemble les organes de la
Commission communautaire commune417.
Ce sont donc les mêmes personnes que celles qui
composent déjà le Conseil régional qui, linguistiquement séparées, dans des institutions distinctes avec
des personnalités juridiques distinctes, exercent à
Bruxelles des compétences distinctes à des niveaux
de pouvoir distincts et par des normes distinctes418.
108. Les Commissions communautaires sont
donc bien les héritières des commissions de la
culture de l’agglomération bruxelloise, auxquelles
elles se substituent419, la loi spéciale du 12 janvier
1989 ayant d’ailleurs organisé le transfert entre
ces organes des biens, droits et obligations420.
Les commissions de la culture mises sur pied
par l’ancienne loi du 26 juillet 1971 ont, en effet,
415
Ph. DE BRUYCKER, « Les nouvelles institutions bruxelloises », op. cit.,
p. 117.
416
L’article 108ter, lu en combinaison avec l’article 61 de la loi spéciale
du 12 janvier 1989, qui définit les matières communautaires visées à l’article 108ter, § 3, comme étant celles qui « sont ou seront attribuées à la Communauté française et à la Communauté flamande », cette disposition implique
que les Commissions communautaires de la Région de Bruxelles-Capitale sont,
« à l’inverse des défuntes commissions de la culture, compétentes pour les
matières personnalisables » (R. WITMEUR, op. cit., p. 6).
417
Ph. DE BRUYCKER, « Les nouvelles institutions bruxelloises », in
M. UYTTENDAELE (coord.), À l’enseigne de la Belgique nouvelle, Rev. ULB,
1989, p. 119.
418
S. LOUMAYE, « Les nouvelles institutions bruxelloises », C.H. CRISP
1989, nos 1232-1233, p. 3.
419
Y. LEJEUNE, « Les nouvelles institutions bruxelloises », J.T., 1989, p. 209.
420
Voy. l’article 79, § 2, et l’article 80 de la loi spéciale du 12 janvier 1989,
ainsi que R. WITMEUR, op. cit., p. 5.
ADMINISTRATION PUBLIQUE
constitué la première expérience « qui allait servir
de base à la définition du volet purement communautaire des nouvelles institutions régionales »421,
en dépit des difficultés de fonctionnement qui ont
pu les scléroser422.
Le mode de désignation, la composition, le
fonctionnement de tous ces organes mis sur pied
en vertu de la loi spéciale du 12 janvier 1989
constituent le reflet de ce qui a été inventé pour
les instances de l’agglomération423.
Mieux encore, on peut dire que l’ensemble
des nouvelles institutions communautaires de
Bruxelles représentent un raffinement de la
construction imaginée en 1971424, 425.
109. Leur création, alors que les Communautés auraient pu remplir elles-mêmes l’essentiel des
tâches qui leur ont été confiées, et le fait qu’elles
soient les héritières des commissions de la culture,
satisfont apparemment tout le monde.
Leur maintien est, d’une part, dû à la volonté
flamande de ne pas consacrer la disparition de leur
commission culturelle qui avait jusqu’alors été
« la seule institution leur assurant une présence à
Bruxelles »426.
Mais, d’autre part, il est peut-être bien aussi le
signe que Bruxelles n’a pas été entièrement cogérée
par les deux communautés et le pouvoir national
depuis 1970427, ce qui soutient la vision francophone d’une région bruxelloise à part entière, dont
les institutions sont également autonomes lorsqu’il
s’agit de matières communautaires.
TITRE 4 – DES ATTRIBUTIONS
Chapitre 1er – Des compétences régionales
110. Par la grâce de l’article 4 de la loi spéciale du 12 janvier 1989, la Région de BruxellesCapitale dispose des mêmes compétences que ses
deux acolytes.
Toutes les matières régionales – bien connues –
énumérées à l’article 6 de la loi spéciale de
réformes institutionnelles du 8 août 1980 peuvent
donc être réglées par ses soins, avec les mêmes
prérogatives que les autres.
Il s’agit d’un acquis important au regard du fait
que les Flamands considéraient, après avoir mis le
421
A. DELCAMP, op. cit., p. 83.
Ibidem, p. 86.
A. DELCAMP, op. cit., p. 86.
424
A. DELCAMP, op. cit., p. 93. Voy. aussi P. VANLEEMPUTTEN, op. cit., p. 6.
425
Les conseils culturels en tant que tels, qui finiront par devenir les Communautés, ont des ancêtres plus âgés, à savoir les premiers conseils culturels créés en
1938 au sein du ministère de l’Instruction publique, un pour chaque rôle linguistique, avec une vocation purement consultative (voy. M. LEROY, op. cit., p. 27).
426
Ph. DE BRUYCKER, « Les nouvelles institutions bruxelloises », op. cit.,
p. 118.
427
Ph. DE BRUYCKER, « Bruxelles dans la réforme de l’État », C.H. CRISP
1989, nos 1230-1231, p. 30.
422
423
temps pour accepter de l’exécuter, qu’il convenait
d’appliquer l’article 107quater de la Constitution
en organisant la Région bruxelloise de manière
particulière, sans prendre pour modèle les régions
wallonne et flamande428.
111. Une réserve à cette identité de compétences doit être mentionnée.
À la différence des Régions wallonne et flamande, la Région bruxelloise est, en effet, privée du pouvoir d’interpréter ses ordonnances par
voie d’autorité, ce qui pourrait s’expliquer par les
incertitudes initiales quant à la valeur juridique
des ordonnances bruxelloises429.
112. Le statut juridique des ordonnances est,
en effet, ce qui a valu le plus de débats autour de
la question de savoir si la Région de BruxellesCapitale est bien une région qui ne diffère en rien
des Régions flamande et wallonne.
L’article 4 de la loi spéciale du 12 janvier 1989
prévoit que la Région de Bruxelles-Capitale règle
les matières régionales par la voie d’ordonnances
plutôt que par décret.
Le fait qu’en vertu de l’article 9 de la même
loi spéciale, les ordonnances bruxelloises puissent,
à l’exclusion des décrets adoptés par les autres
entités fédérées, faire l’objet d’un contrôle de
conformité aux dispositions de la loi spéciale du
12 janvier 1989 et aux dispositions constitutionnelles dont le contrôle ne serait pas déjà réservé à
la Cour d’arbitrage430 est, en effet, un élément mis
en avant pour distinguer la Région de BruxellesCapitale et attribuer aux normes qu’elle adopte
une valeur inférieure à la loi et aux décrets.
Un tel contrôle évoque, il est vrai, le contrôle
dont font par ailleurs l’objet les arrêtés et règlements généraux, provinciaux et locaux.
Cette possibilité ne concorde a priori pas avec
une vocation législative.
Pourtant, la controverse431 est, depuis longtemps maintenant, largement tranchée en faveur
428
Ph. DE BRUYCKER, « Intervention », in R. ANDERSEN, G. BROUHNS,
F. DELPÉRÉE, F. JONGEN, M.-F. RIGAUX, H. SIMONART et M. VERDUSSEN, La
Région de Bruxelles-Capitale, op. cit., p. 303.
429
À ce sujet, voy. p. VANLEEMPUTTEN, op. cit., pp. 59-60, qui relaye le
contenu d’un avis de la section de législation du Conseil d’État à ce propos.
430
Pour un exemple permettant de se rendre compte des conséquences
concrètes du mécanisme, sur le plan de la répartition des rôles entre la Cour
constitutionnelle et les juges de l’ordre judiciaire, voy. le rapport Moureaux et
Chabert, Doc. parl., Sén., sess. 1988-1989, no 514-2, p. 43. Une étude approfondie de la jurisprudence du Conseil d’État et des juridictions de l’ordre judiciaire
où il aurait été fait application de l’article 9 de la loi spéciale du 12 janvier
1989 sera réalisée par l’auteur dans le cadre de ses travaux de doctorat, qui a
connaissance d’une dizaine d’arrêts du Conseil d’État, relativement récents.
431
Débattue notamment dans R. ANDERSEN, G. BROUHNS, F. DELPÉRÉE, F. JONGEN, M.-F. RIGAUX, H. SIMONART et M. VERDUSSEN, La Région
de Bruxelles-Capitale, Bruxelles, Bruylant, 1989 : voy. la contribution de
H. SIMONART, spéc. pp. 181 et s., qui tranche pour le caractère réglementaire
de l’ordonnance, et les interventions subséquentes. Voy. aussi, toujours dans
le sens aujourd’hui oublié d’un caractère réglementaire, Y. LEJEUNE, op. cit.,
p. 211 ou F. DELPÉRÉE, « La Constitution la loi, le décret et l’ordonnance »,
J.T., 1990, pp. 107-110.
151
ADMINISTRATION PUBLIQUE
d’un classement des ordonnances dans la catégorie des normes de rang législatif, en premier lieu
parce qu’elles peuvent, suivant un mode d’adoption conforme à celui des normes législatives432,
abroger, compléter, modifier ou remplacer les
dispositions législatives en vigueur et que, ceci
fait, elles sont sujettes à l’éventuelle censure de la
seule Cour constitutionnelle433, et non du Conseil
d’État434. La Région de Bruxelles-Capitale est, en
ce sens, une entité fédérée souveraine, et non une
simple autorité administrative435.
Il reste vrai que l’ordonnance n’a pas le pouvoir
d’interpréter les ordonnances par voie d’autorité436
et que, dans certaines matières, les autorités fédérales peuvent exercer un contrôle politique sur les
ordonnances.
La différence entre l’ordonnance et les décrets
des autres entités fédérées n’en est pas moins symbolique, « destinée à calmer les susceptibilités des
Flamands soucieux de marquer la différence qui
existe, ne fût-ce même qu’en apparence, entre la
Région de Bruxelles-Capitale et les Régions wallonne et flamande »437.
En pratique, en effet, les contrôles spécifiques
dont peut faire l’objet l’ordonnance ne sont pas
mis en œuvre, et les seuls qui sont utilisés relativement fréquemment ne diffèrent guère de ceux
que subissent les décrets, puisqu’il ne s’agit de
rien d’autre, en réalité, que du contrôle de conformité aux dispositions pour lesquelles seule la Cour
constitutionnelle est compétente.
113. Il est vrai qu’à côté de ces contrôles juridictionnels, les ordonnances bruxelloises peuvent
encore faire l’objet d’une intervention politique de
la part de l’autorité fédérale, ce qui les distingue
également des décrets régionaux adoptés par les
deux autres Régions.
Cette intervention est organisée aux articles 45
et 46 de la loi spéciale du 6 janvier 1989.
Ainsi, en vue de préserver le rôle international
et la fonction de capitale de Bruxelles, le Roi peut,
432
Initiative de membres du conseil ou de l’exécutif, sanction et promulgation par l’exécutif.
433
La Cour constitutionnelle ne s’est appelée ainsi qu’à compter de la
révision constitutionnelle du 7 mai 2007. Jusqu’alors, il fallait dire « Cour
d’arbitrage ».
434
Sur la contradiction mise en évidence par la section de législation du Conseil
d’État entre le fait que les cours et tribunaux pouvaient refuser d’appliquer une
ordonnance contraire à la Constitution et à la loi spéciale du 12 janvier 1989,
et l’incompétence de la section du contentieux administratif du Conseil d’État
pour annuler une telle ordonnance, voy. J. VELAERS, De Grondwet en de Raad
van State, afdeling wetgeving, Anvers, Maklu, 1999, pp. 30-31, ainsi que l’avis
lui-même (Doc. parl., Sén., sess. 1988-1989, no 514-1, p. 68). Voy. aussi Ph. DE
BRUYCKER, « Les nouvelles institutions bruxelloises », op. cit., pp. 111-112.
435
P. VAN ORSHOVEN, « Brussel anno 1989 – Een derde gewest, een enige
agglomeratie, drie gemeenschapscommissies en… een vierde gemeenschap »,
R.W., 1989-1990, no 14, p. 452.
436
Voy. les explications de P. VANLEEMPUTTEN, op. cit., p. 59, lui-même
évoquant un avis de la section de législation du Conseil d’État.
437
Ph. DE BRUYCKER, « Les nouvelles institutions bruxelloises », op. cit.,
p. 112.
152
par arrêté délibéré en conseil des ministres, suspendre les ordonnances bruxelloises réglant les
matières visées à l’article 6, § 1er, I, 1°, et X, de
la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, à savoir l’aménagement du territoire,
les travaux publics et le transport.
Il peut en aller également ainsi des arrêtés adoptés par l’exécutif bruxellois dans ces domaines.
En cas de persistance du désaccord entre les
deux entités, le débat peut se solder par une annulation de l’ordonnance bruxelloise.
Quant à l’article 46 de la même loi spéciale, il
confère à l’autorité fédérale le pouvoir d’imposer
– mais à sa charge – l’adoption de mesures qui,
toujours dans les matières visées à l’article 6, § 1er,
I, 1°, et X, de la loi spéciale du 8 août 1980, lui
paraissent devoir être adoptées en vue de développer le rôle international ou la fonction de capitale
de Bruxelles.
Ces dispositifs « intrusifs » qui s’apparentent
aux procédés de tutelle pesant sur les pouvoirs
subordonnés438, sont appelés à être mis en œuvre
si les initiatives à prendre ne sont pas convenues
entre la Région et l’autorité fédérale dans le cadre
du comité de coopération installé en application de
l’article 43 de la loi spéciale du 12 janvier 1989.
Mais ici encore, la différence de statut que les
dispositions précitées instaurent par rapport aux
deux autres régions doit être relativisée. Elle a été
présentée comme « relativement mineure » par
le gouvernement lui-même, au même titre que le
contrôle dont peuvent faire l’objet les ordonnances
bruxelloises à l’intervention des juridictions439.
Les pouvoirs attribués à l’autorité fédérale sont
limités, tant quant aux objectifs que celle-ci peut
poursuivre que quant aux matières concernées.
Il doit s’agir de favoriser, de promouvoir, de
développer ou, le cas échéant, de préserver le
rôle international ou la fonction de capitale de
Bruxelles.
Pour cette raison, les matières qui peuvent faire
l’objet de l’intervention fédérale sont l’aménagement du territoire, les travaux publics et les transports.
114. En réalité, ces dispositions semblent
avoir été instaurées non pas en raison d’éventuels
conflits communautaires ou pour brider la nouvelle
Région, « mais pour garantir que la promotion des
intérêts régionaux de Bruxelles se fasse dans le
respect des intérêts de toutes les composantes du
pays en ce qui concerne son rôle de capitale »440.
438
Ph. DE BRUYCKER, « Bruxelles dans la réforme de l’État », op. cit., p. 39.
Rapport Moureaux et Baert, op. cit., Doc. parl., Sén., sess. extr. 1988,
n 100-6/2, p. 2.
440
Rapport Tomas et Anciaux, op. cit., Doc. parl., Ch., sess. 1988-1989,
no 661/4, p. 47.
439
o
ADMINISTRATION PUBLIQUE
Alors que d’aucuns y voyaient, en cas d’interprétation large de ses termes, un risque d’empiètement incompatible avec le principe d’autonomie
qui a présidé à l’aménagement des institutions
bruxelloises441, le caractère symbolique et préventif de l’article 45 en particulier a été démontré par
la pratique, la tutelle qu’il implique n’ayant jamais
été mise en œuvre, en sorte que, tout comme la
sonnette d’alarme au niveau strictement régional,
il a pu être comparé à une épée de Damoclès, ou à
un « stok achter de deur »442.
Pour certains, les « atteintes » à l’autonomie bruxelloise organisées par les articles 45 et
46 s’expliquent davantage par le fait que désormais, même si, formellement, l’article 194 de la
Constitution attribue toujours à la seule de ville de
Bruxelles la qualité de capitale du pays, les institutions régionales sont en réalité considérées, plus
que les autorités de la ville, comme l’interlocuteur
du gouvernement fédéral pour les questions relatives à la capitale443.
Il est vrai que même si seule la ville de
Bruxelles est la capitale du pays, ceci emporte
des effets qui se font sentir dans l’ensemble de la
Région et même au-delà, dans les communes périphériques444, ce qui justifie à tout le moins que les
questions régionales d’aménagement du territoire,
de travaux publics et de transport soient examinées en tenant compte de ce paramètre spécifique.
Chapitre 2 – Des compétences d’agglomération
115. Avec la modification de l’article 108ter,
les compétences de l’agglomération, ou en tout
cas leur principe, ne disparaissent pas.
Les organes de la Région de Bruxelles-Capitale,
créés en application de l’article 107quater, devenu
article 39 de la Constitution, sont chargés depuis
lors d’exercer les compétences du conseil et du
collège d’agglomération, tandis que les groupes
linguistiques et les collèges, visés à l’actuel
article 136 de la Constitution, exercent les compétences des commissions de la culture créées au
sein de l’agglomération ainsi que celles que les
Communautés peuvent leur déléguer.
Les articles 48 et suivants de la loi spéciale
du 12 janvier 1989 formalisent ce transfert et la
tutelle du Roi est supprimée par l’article 59 dans
441
A. ALEN, « Intervention », in R. ANDERSEN, G. BROUHNS, F. DELPÉF. JONGEN, M.-F. RIGAUX, H. SIMONART et M. VERDUSSEN, La Région de
Bruxelles-Capitale, Bruxelles, Bruylant, 1989, p. 78.
442
M. VAN DER HULST, « Brussel als hoofdstad van de federale staat en van
de Vlaamse Gemeenschap », in E. WITTE, A. ALEN, H. DUMONT et R. ERGEC
(réd.), Het statuut van Brussel/Bruxelles et son statut, Bruxelles, De Boeck et
Larcier, 1999, p. 638.
443
Ibidem, p. 632.
444
Ph. DE BRUYCKER et N. LAGASSE, « Bruxelles dans la réforme de l’État
belge », op. cit., p. 235.
RÉE,
la mesure où elle serait devenue tutelle de l’exécutif bruxellois sur son propre conseil445.
En vertu de l’article 5 de la loi spéciale du
12 janvier 1989, toutefois, la Région peut confier
l’exercice d’attributions de l’Agglomération
bruxelloise aux organismes d’intérêt public,
qu’elle crée ou désigne.
Ceci s’est produit dès 1990, deux ordonnances
ayant porté création de deux organismes d’intérêt public de type A, chargés l’un de l’enlèvement et du traitement des immondices446, l’autre
de la lutte contre l’incendie et de l’aide médicale
urgente447, laissant la matière du transport rémunéré des personnes dans le giron des organes de
la Région448.
116. Le maintien de l’agglomération, qui
conserve la personnalité juridique mais dont toutes
les compétences sont exercées par des organes
tiers, à savoir ceux de la région ou, en vérité, ceux
des organismes d’intérêt public créés ou désignés
par ceux-ci, n’a pas manqué de susciter des réactions perplexes449.
« Sans que l’on connaisse les raisons de cette
curiosité, la personnalité juridique de l’agglomération se perpétue donc, telle une coquille de noix
que l’on aurait vidée de son contenu. »450
L’Agglomération, fût-elle démantelée, existe
donc encore, constituant, au sein d’un modèle
en soi complexe parce qu’il réalise de nombreux
objectifs, une complication apparemment inutile451.
Une explication avancée du côté du gouvernement serait que, si l’on avait supprimé l’agglomération, il aurait fallu régler de façon plus complexe
le sort de son patrimoine et de son personnel, « ce
qui requiert toujours de nombreuses mesures d’application »452.
Une autre serait plus avouable. « Des organes
régionaux ne pouvant pas exercer des compétences communautaires, il s’indiquait, a-t-on
cru453, de confier la gestion des matières personnalisables bicommunautaires à des organes que
445
P. VAN ORSHOVEN, op. cit., p. 460.
Voy. l’ordonnance du 19 juillet 1990 portant création de l’Agence régionale pour la propreté (Mon. b., 25 septembre 1990).
447
Voy. l’ordonnance du 19 juillet 1990 portant création d’un service d’incendie et d’aide médicale urgente de la Région de Bruxelles-Capitale (M.B.,
5 octobre 1990).
448
Pour plus de détails, voy. S. LOUMAYE, « Les finances régionales bruxelloises », C.H. CRISP 1992, nos 1354-1355, pp. 45-47.
449
A. DELCAMP, op. cit., p. 65, et les références citées. Voy. aussi P. VANLEEMPUTTEN, op. cit., p. 53.
450
Ph. DE BRUYCKER, « Les nouvelles institutions bruxelloises », op. cit.,
p. 105.
451
A. ALEN, « Intervention », op. cit., p. 77. Voy. aussi F. DELPÉRÉE,
« Intervention », in R. ANDERSEN, G. BROUHNS, F. DELPÉRÉE, F. JONGEN, M.F. RIGAUX, H. SIMONART et M. VERDUSSEN, La Région de Bruxelles-Capitale,
Bruxelles, Bruylant, 1989, p. 96.
452
Rapport Tomas et Anciaux, op. cit., p. 51.
453
Car le même résultat aurait pu être obtenu, sans maintien de l’agglomération bruxelloise, par la révision de l’article 59bis, §§ 4 et 4bis, de la Constitution (A. ALEN, « Intervention », op. cit., p. 73).
446
153
ADMINISTRATION PUBLIQUE
l’ancien article 108ter, devenu les articles 136
et 166 de la Constitution coordonnée, présente
comme juridiquement distincts. »454 La formule
était d’autant plus requise qu’« il n’existe pas de
Communauté bilingue de Bruxelles-Capitale qui,
constitutionnellement, puisse se voir attribuer des
compétences communautaires dans les limites des
dix-neuf communes »455.
La solution retenue devait également permettre
« de rencontrer les exigences d’une gestion efficiente des différentes compétences qui présentent
souvent un lien évident de connexité et de complémentarité, lien encore renforcé par la parfaite
coïncidence du territoire de la Région de BruxellesCapitale et de l’Agglomération bruxelloise »456.
En bref, le législateur s’était déjà rendu compte
en 1987 que nombre des compétences dévolues
à l’agglomération recoupaient celles des régions,
fixées dans la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980 : le mouvement du « tout à
la Région » consacré par la loi spéciale du 12 janvier 1989 n’est donc guère étonnant457.
117. Certes, la formule, qui ne se traduit que
par un dédoublement fonctionnel devenu courant
en droit public belge, peut avoir pour mérite, audelà de la rationalité que représente le recours à
un nombre limité de mandataires bruxellois, de
distinguer compétences régionales, communes
avec les autres régions, des compétences propres
à l’agglomération, d’ordre supracommunal458.
Elle donnerait également un certain cachet à
la Région, qui prendrait ainsi « l’allure d’une
communauté urbaine lui permettant de gérer à
un niveau adéquat certains problèmes dépassant
l’exiguïté du cadre des dix-neuf communes qui la
composent aujourd’hui »459.
Il semble en tout cas que les francophones
auraient refusé que l’agglomération serve de point
d’appui pour le futur statut de Bruxelles460, ce qui
se comprend dans la mesure où l’agglomération
est symboliquement très importante pour les Fla454
Y. LEJEUNE et W. PAS, « Le fonctionnement des institutions/De werking
van de instellingen », in E. WITTE, A. ALEN, H. DUMONT et R. ERGEC (réd.), Het
statuut van Brussel/Bruxelles et son statut, op. cit., p. 498. Voy. aussi P. VAN
ORSHOVEN, op. cit., p. 459.
455
Y. LEJEUNE, op. cit., p. 212.
456
R. ANDERSEN, « Les compétences des institutions bruxelloises », in
R. ANDERSEN, G. BROUHNS, F. DELPÉRÉE, F. JONGEN, M.-F. RIGAUX, H. SIMONART et M. VERDUSSEN, La Région de Bruxelles-Capitale, Bruxelles, Bruylant,
1989, p. 268, et les références aux travaux parlementaires citées. Il serait en
revanche inimaginable de faire exercer des compétences d’agglomération à
une Région dont le territoire ne correspondrait pas avec celui de ladite agglomération. En ce sens, voy. Ph. DE BRUYCKER, « Intervention », op. cit., p. 296.
457
En ce sens, voy. Ph. DE BRUYCKER, « Intervention », op. cit., pp. 295-296,
qui rappelle que le projet 461 prévoyait déjà la suppression de l’agglomération
bruxelloise.
458
En ce sens, voy. A. DELCAMP, op. cit., p. 66.
459
Ph. DE BRUYCKER et N. LAGASSE, « Bruxelles dans la réforme de l’État
belge », op. cit., p. 234.
460
En ce sens, voy. A. DELCAMP, op. cit., p. 57.
154
mands, étant le seul organe de la capitale où ceuxci bénéficient de la parité au niveau de l’organe
exécutif, et qui a l’avantage de disposer d’un territoire limité aux dix-neuf communes461.
Dans la mesure où les garanties prévues en
1970 pour la Communauté flamande – sonnette
d’alarme et parité au sein du gouvernement – se
retrouvent dans les organes de la Région, le maintien de l’agglomération n’a pourtant que peu d’intérêt de ce point de vue462.
En revanche, il existe un risque – qui semble
aujourd’hui effectivement réalisé – de voir les
matières d’intérêt local être « quelque peu délaissées dans l’ensemble des compétences dévolues à
la Région de Bruxelles-Capitale »463.
La tentation pour les organes régionaux de privilégier leur compétence principale est d’autant
plus grande que de nombreuses compétences
d’agglomération sont en même temps des compétences régionales et que, en utilisant la casquette
régionale – et donc l’instrument de la norme législative – ils se mettent à l’abri d’une annulation par
le Conseil d’État464.
118. Quoi qu’il en soit, lorsque le conseil et
l’exécutif exercent des attributions de l’agglomération qu’ils n’auraient pas confiées à des organismes d’intérêt public, ils le font selon le mode
de fonctionnement régional, certes, mais par voie
de règlements et d’arrêtés, dans le respect de l’article 52 de la loi spéciale du 12 janvier 1989.
Dans ce cas, les projets ne doivent pas être soumis à la section de législation du Conseil d’État,
les lois coordonnées excluant qu’un avis soit rendu
à propos de textes émanant de pouvoirs subordonnés, ce qu’était l’Agglomération, ce qu’est donc la
Région lorsqu’elle agit en lieu et place de l’agglomération465.
Ces actes sont soumis pleinement au contrôle
de légalité tant des juridictions de l’ordre judiciaire, qui peuvent en écarter l’application, que du
Conseil d’État, qui peut en outre les annuler466.
Chapitre 3 – Des compétences communautaires
119. L’article 64 de la loi spéciale du 12 janvier 1989 prévoit que :
« Chaque commission communautaire exerce
les mêmes compétences que les autres pouvoirs
461
Ph. DE BRUYCKER, « Bruxelles dans la réforme de l’État », C.H. CRISP
1989, nos 1230-1231, p. 25.
462
En ce sens, voy. A. ALEN, « Intervention », op. cit., p. 72.
463
Ph. DE BRUYCKER, « Bruxelles dans la réforme de l’État », op. cit., p. 43.
464
En ce sens, voy. P. VAN ORSHOVEN, op. cit., p. 460.
465
Voy., au sujet des difficultés qui peuvent surgir lorsqu’il s’agit de déterminer si une disposition réglementaire adoptée par l’exécutif bruxellois relève
de sa compétence régionale ou de sa compétence d’agglomération, Y. LEJEUNE
et W. PAS, op. cit., p. 497.
466
P. VANLEEMPUTTEN, op. cit., pp. 63-64.
ADMINISTRATION PUBLIQUE
organisateurs dans les matières visées à l’article 61
de la présente loi467.
En particulier, chacune d’elles a pour mission :
1° d’élaborer et d’exécuter une programmation
de l’infrastructure relative à ces matières ;
2° de créer les institutions nécessaires, de les gérer, et d’accorder des subsides dans les conditions
fixées notamment par la loi du 29 mai 1959 modifiant la législation relative à l’enseignement gardien,
primaire, moyen, normal, technique et artistique ;
3° d’adresser des recommandations aux autorités intéressées ainsi que des avis, soit d’initiative
soit à leur demande ;
4° de prendre et d’encourager les initiatives prises
dans les matières culturelles et personnalisables ».
La parenté avec le libellé des compétences
dévolues antérieurement aux commissions de la
culture de l’agglomération est flagrante.
Sont toutefois visés l’enseignement, la culture
et les matières personnalisables.
Les compétences reprises des commissions de la
culture de l’Agglomération bruxelloise sont donc
élargies aux matières personnalisables et couvrent
ainsi l’ensemble des matières communautaires.
« Spécifique à la première d’entre elles, l’utilisation de l’expression “pouvoir organisateur” à propos
des matières culturelles, et plus encore à propos des
matières personnalisables, paraît inappropriée. »468
Si, toutefois, l’on se souvient que, s’agissant des
Commissions communautaires, la loi spéciale est
inspirée de la loi du 26 juillet 1971 organisant les
agglomérations et les fédérations de communes, l’on
comprend alors que, dans les trois domaines précités, les Commissions communautaires flamande et
française sont autorisées à intervenir concurremment avec les autres autorités normalement compétentes, proprio motu, pour le cas où les actions
menées par ces dernières ne les satisferaient pas469.
120. En vertu des articles 64 et 65 de la loi
spéciale du 12 janvier 1989, les Commissions
communautaires peuvent encore exercer les compétences que leur délèguent respectivement les
conseils flamand et de la Communauté française.
Les compétences déléguées ne peuvent pas être
normatives, sachant que la délégation de compétences réglementaires peut susciter des interrogations en termes d’utilité, les commissions
communautaires étant déjà, comme cela vient
d’être exposé, habilitées directement par la Constitution à prendre des initiatives dans les matières
communautaires470.
467
Pour rappel, cette disposition renvoie aux matières confiées aux Communautés.
468
M. DONY et B. BLERO, op. cit., p. 40.
469
Ibidem, pp. 40-41.
470
Ph. DE BRUYCKER, « Bruxelles dans la réforme de l’État », C.H. CRISP
1989, nos 1230-1231, p. 44.
Malgré tout, couplée à l’attribution de compétences communautaires aux Commissions
communautaires, « la possibilité accordée aux Communautés de leur déléguer certaines matières, permettra peut-être d’observer à terme l’émergence
d’une véritable Communauté bruxelloise qui reprendrait l’ensemble des compétences exercées par les
Communautés française et flamande à Bruxelles »471.
121. Pour sa part, la Commission communautaire commune peut être qualifiée d’« entité souveraine supplémentaire de l’État belge »472, voire
de « quatrième Communauté »473 dans la mesure
où, loin de constituer un organe subordonné aux
Communautés, son assemblée réunie est habilitée à adopter des ordonnances, à la condition de
rassembler la double majorité dans chacun des
groupes linguistiques qui la composent.
Un tel pouvoir lui est dévolu dans les matières
bipersonnalisables en vertu des articles 63 et 69 de
la loi spéciale du 12 janvier 1989.
En application de l’article 64, § 2, elle est dotée
des mêmes compétences que les commissions
communautaires lorsque les objets traités sont
d’intérêt commun.
Dans ce cas, elle retrouve sa qualité subordonnée, agissant par la seule voie de simples règlements et d’arrêtés. Elle est supposée jouer le rôle
d’organe de concertation et de coordination entre
les deux Commissions ce qui, apparemment « ne
correspond jusqu’à présent à aucune réalité »474.
TITRE 5 – QUATRIÈME CONCLUSION
PART (ENTIÈRE)
– UN STATUT À
122. Le 12 janvier 1989, la troisième Région
est enfin dotée d’un statut, fruit d’un compromis
politique atteint lentement qui lui vaut un territoire, des institutions et des attributions.
Le territoire est limité aux dix-neuf communes,
en guise de concession faite par les francophones,
qui doivent renoncer à étendre la Région, que ce
soit pour des motifs linguistiques ou économiques.
Ceux-ci acceptent également de garantir une repré471
Ph. DE BRUYCKER, « Intervention », in R. ANDERSEN, G. BROUHNS,
F. DELPÉRÉE, F. JONGEN, M.-F. RIGAUX, H. SIMONART et M. VERDUSSEN, La
Région de Bruxelles-Capitale, op. cit., p. 302. Cet auteur se déclare intéressé
à l’idée d’observer l’ampleur des délégations accordées par les Communautés
aux Commissions communautaires en matière unicommunautaire, et ajoute
que se dégagerait ainsi la possibilité de fusionner les institutions régionales
et communautaires, ce qui aurait pour effet de simplifier considérablement
le fédéralisme belge en l’organisant sur une base territoriale. L’examen de
l’ampleur (ou du défaut d’ampleur) des délégations survenues, et de l’impact
sur la question de l’adoption de l’actuel article 138 de la Constitution seront
réalisés par l’auteur de ce mémoire à l’occasion d’une phase ultérieure de ses
travaux de recherche. Entre-temps, voy. déjà R. WITMEUR, op. cit., p. 9.
472
J.-P. NASSAUX, « Les relations communautaires à l’Assemblée réunie de la
Commission communautaire commune », C.H. CRISP 1999, nos 1633-1634, p. 14.
473
P. VAN ORSHOVEN, op. cit., pp. 449 et s., spéc. pp. 464-465.
474
Ph. DE BRUYCKER et N. LAGASSE, « Bruxelles dans la réforme de l’État
belge », op. cit., p. 232.
155
ADMINISTRATION PUBLIQUE
sentation à la minorité flamande dans les nouvelles
institutions bruxelloises et de lui faire bénéficier
de mécanismes de protection tels que ceux qui
existent pour eux-mêmes au niveau fédéral.
123. Mais les Flamands acceptent pour leur
part qu’il y ait une Région, dotées d’institutions et
d’attributions propres.
Si l’on se rappelle que la création de trois
régions suscite depuis toujours la crainte d’une
minorisation de la région flamande par rapport aux
Régions wallonne et bruxelloise475, la concession
apparaît historique.
Au modèle défendu par la classe politique francophone, celui de Bruxelles en tant que Région « à part
entière »476, s’est en effet toujours opposée la vision
flamande477, laquelle a d’ailleurs été officiellement
confirmée, dix ans après la création des institutions
bruxelloises, dans l’une des cinq résolutions adoptées par le Parlement flamand le 3 mars 1999478.
Cette résolution peut se résumer par le recours
à la formule simplifiée « 1 + 1 » ou « 2 + 2 », et
non « 2 + 1 »479.
C’est la formule du fédéralisme à deux, basé
sur la Flandre et la Wallonie, Bruxelles recevant
un statut particulier mais ne constituant pas une
région à part entière. Il faudrait ainsi distinguer, au
sein de la Belgique, deux États fédérés, la Flandre
et l’État fédéré francophone (les deelstaten) et
deux territoires (les deelgebieden), à savoir la
Région de Bruxelles-Capitale – dont les frontières
sont définitives – et la Communauté germanophone, disposant de prérogatives moins importantes, et qui feraient l’objet d’un droit de regard
commun de la part des deux deelstaten.
Pour d’aucuns, ce système de cogestion pourrait
se traduire par la création d’un district – fédéral ou
européen – en remplacement de la Région actuelle480.
Le slogan « Vlaanderen laat Brussel niet los »
résumerait pour sa part la vision flamande à propos de la capitale, dont le point de départ est qu’un
lien étroit unit ces deux entités. Les Flamands de
475
Rapport M. Calewaert, op. cit., Doc. parl., Sén., sess. 1969-1970, no 458,
pp. 7-8.
476
Pour un résumé de cette conception, voy. N. LAGASSE, « Le statut de la
Région de Bruxelles-Capitale – La position des principaux acteurs politiques »,
C.H. CRISP 1999, no 1652, pp. 33-35.
477
M. VAN DER HULST, op. cit., pp. 642-647.
478
À leur sujet, voy. G. PAGANO, « Les résolutions du Parlement flamand
pour une réforme de l’État », C.H. CRISP 2000, nos 1670-1671 et, spécialement
les pp. 27-32 s’agissant de la troisième résolution, relative à Bruxelles.
479
Le modèle « 2 + 2 » est né sous la plume des auteurs de l’Essai de
Constitution pour la Flandre (J. CLÉMENT e.a., Proeve van Grondwet voor
Vlaanderen, Bruges, die Keure, 1996), dont le travail a été commenté par
J. BRASSINNE, « “La Constitution flamande” – Essai de constitution pour la
Flandre », C.H.CRISP 1997, nos 1569-1570. Voy aussi N. LAGASSE, « Gouverner Bruxelles – Règles en vigueur et débat », C.H. CRISP 1999, nos 1628-1629,
p. 11, et idem, « Le statut de la Région de Bruxelles-Capitale – La position des
principaux acteurs politiques », C.H. CRISP 1999, no 1652, pp. 20 et s. Voy.
également P. VANLEEMPUTTEN, op. cit., pp. 12-13.
480
À ce propos, voy. N. LAGASSE, « Le statut de la Région de BruxellesCapitale – La position des principaux acteurs politiques », op. cit., pp. 28 et 39.
156
Bruxelles sont des Flamands à part entière et font
partie de l’État fédéré flamand. La frontière entre
la Flandre et Bruxelles est donc uniquement une
frontière entre régions mais non entre communautés481. Il n’existe d’ailleurs pas, pour le mouvement
flamand, de communauté bruxelloise autonome, la
capitale étant exclusivement le point de rencontre
entre les deux communautés, celles-ci étant habilitées à la gérer conjointement.
« La persistance d’une remise en cause de
l’actuel statut de Bruxelles dix ans après l’organisation de la Région montre à quel point la loi
spéciale du 12 janvier 1989 a constitué à l’époque
un remarquable compromis entre les conceptions
extrêmement divergentes des Francophones et des
Flamands. »482
124. L’acquis paraît d’autant plus important
qu’en réalité, « aucune des spécificités (bruxelloises) ne correspond à l’objectif des parties
flamandes de conférer à la région de BruxellesCapitale des compétences “différentes” ou “non
comparables” à celles des deux autres régions »483.
Ces spécificités « correspondent à celle d’une
ville-région, qui plus est capitale d’un État, et
répondent plus à des différences objectives qu’à
une volonté de brider la nouvelle collectivité ».
Elles n’affectent pas véritablement « la substance
régionale de Bruxelles »484.
Elles ne suffisent certainement pas à refuser de
reconnaître qu’elle jouit d’une autonomie et qu’à
ce titre, elle est une région « à part entière », tout
autant que les autres.
De ce point de vue, la réforme fait office de
trompe-l’œil dont les Flamands seraient les victimes.
125. Des entraves existent pourtant.
L’interdiction des listes bilingues peut ainsi être
vue comme « un frein à l’autonomie », en raison
de la polarisation de l’attention des électeurs sur
l’appartenance linguistique des candidats, empêchant ainsi l’émergence d’une réalité et d’une
identité bruxelloises autonomes485.
Cet exemple peut paraître anecdotique lorsqu’il
est confronté à l’amoncellement d’autorités
publiques qui se partagent le pouvoir sur ce territoire dont l’exiguïté est une caractéristique fondamentale.
481
J. VELAERS, « “Vlaanderen laat Brussel niet los” : de Vlaamse invulling
van de gemeenschapsautonomie in het tweetalig gebied Brussel-Hoofdstad »,
in E. WITTE, A. ALEN, H. DUMONT et R. ERGEC (réd.), Het statuut van Brussel/
Bruxelles et son statut, op. cit., p. 595. À ce sujet, voy. aussi F. PERIN, op.
cit., p. 283.
482
Ph. DE BRUYCKER et N. LAGASSE, « Bruxelles dans la réforme de l’État
belge », op. cit., p. 247.
483
A. DELCAMP, op. cit., p. 58.
484
Ph. DE BRUYCKER et N. LAGASSE, « Bruxelles dans la réforme de l’État
belge », op. cit., p. 229.
485
Ph. DE BRUYCKER, « Bruxelles dans la réforme de l’État », op. cit., p. 50.
ADMINISTRATION PUBLIQUE
À la veille de la création des institutions bruxelloises, en 1989, treize niveaux institutionnels différents pouvaient être identifiés sur le territoire des
dix-neuf communes : « le ministre des Affaires
bruxelloises, les gouverneur et vice-gouverneur
de la province de Brabant, le conseil provincial,
la députation permanente, le conseil d’agglomération, son collège exécutif, les Commissions
française et néerlandaise de la culture, les Commissions réunies, conseils et collèges communaux,
le Conseil économique régional pour le Brabant,
la Société de développement régional »486.
126. Il n’est pas certain que la technique mise en
œuvre au travers de la révision de l’article 108ter
de la Constitution et de la loi spéciale du 12 janvier
1989 ait porté remède à cette situation.
Certes, le dédoublement fonctionnel qui caractérise les organes de la Région de Bruxelles-Capitale
s’est avéré justifié par la nécessité de ne pas
confier à des organes régionaux des compétences
réservées au communautés, comme l’ont exigé les
concepteurs de l’article 107quater, certes encore
ce dédoublement fonctionnel s’est-il à l’évidence
inspiré de la formule déjà mise sur pied pour les
organes de l’agglomération, mais il y a mieux.
À ce jour, en effet, les organes de la Région de
Bruxelles-Capitale cumulent au moins trois qualités : la régionale, la communautaire487, mais aussi
celle de l’agglomération.
D’un point de vue organique, on peut voir
huit institutions différentes créées au terme de la
réforme de 1988-1989 : le conseil régional et son
exécutif, quatre institutions pour les matières unicommunautaires (les deux groupes linguistiques
du conseil et deux collèges issus de l’exécutif) et
deux pour les matières bicommunautaires (assemblée réunie et collège réuni)488.
Quant aux élus bruxellois, ils peuvent revêtir
dix casquettes différentes – dont certaines sont
heureusement incompatibles entre elles : conseiller régional, membre de l’exécutif régional,
conseiller de l’agglomération exerçant sa compétence au sein du conseil régional, membre du
collège d’agglomération exerçant sa compétence
au sein de l’exécutif régional, membre du groupe
linguistique néerlandais ou membre du groupe
linguistique français, membre du collège la Commission communautaire française ou de celui de la
486
Voy. A. DELCAMP, op. cit., p. 52. Voy. aussi : X, « Bruxelles et la réforme
des institutions », C.H. CRISP, no 613 du 14 septembre 1973, pp. 14-20.
487
Sans parler encore, à ce stade, de l’exercice par la Commission communautaire française de compétences revenant en principe à la Communauté
française, et qui lui a été transféré en 1993-1994 en application de l’article 138
de la Constitution.
488
En ce sens, voy. l’intervention de Mme Spaak (Doc. parl., Ch., sess.
1988-1989, no 661/4, p. 17), pour qui le slogan du gouvernement (« des structures simples, efficaces et transparentes ») ne manque pas d’ironie (ibidem,
p. 18).
Commission communautaire flamande, membre
de l’assemblée réunie et membre du collège réuni
de la Commission communautaire commune489.
127. L’on comprend que le système ainsi envisagé ait, dès son adoption, été jugé compliqué et
susceptible d’interprétations divergentes.
L’espace institutionnel bruxellois, tel que
façonné en 1989, tient du labyrinthe. Ses concepteurs, à l’instar de Dédale, l’ont-ils inventé pour
mieux cacher le Minotaure, ce monstre fabuleux
qu’est Bruxelles dans la Belgique d’aujourd’hui ?
Y a-t-il un sens, autre que le sens de l’histoire
juridique que ce mémoire dévoile, à une telle complexité ?
Surtout, y a-t-il un but ?
Et s’il s’agissait d’un autre trompe-l’œil finalement, au détriment de ceux qui ont cru à tort voir
s’opérer une simplification des institutions bruxelloises, rationalisation purement apparente qui
pourrait paradoxalement s’avérer paralysante ?
COCLUSIO GÉÉRALE
128. Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se
transforme.
La maxime attribuée à Lavoisier caractérise
parfaitement les grandes étapes de la réforme de
l’État unitaire belge en un État fédéral.
« Chaque vague de réformes a consisté en la
création de nouvelles institutions ou la transformation d’institutions existantes ; presque jamais
ce qui avait été créé n’a été supprimé »490.
Bruxelles n’échappe pas à cette règle.
Avec M.-Fr. Rigaux, il est permis de constater
que « la loi spéciale du 12 janvier 1989 marque
des ruptures, certes, puisqu’elle crée des institutions nouvelles, en supprime d’anciennes, accorde
des compétences ou en retire. Cependant, la loi
s’inscrit aussi dans une continuité. Continuité et
rupture des institutions (…) »491.
En effet, l’agglomération bruxelloise n’est pas
supprimée, « mais ses organes disparaissent et
ses attributions sont désarticulées »492, le système
nouveau s’inspirant encore de certains principes
qui avaient conduit à la création de l’institution de
1970 et des modifications qui y ont été apportées
en 1987.
Les normes constitutives des organes de l’agglomération permettent aussi, par leurs vertus historiques, de mieux comprendre l’existence, les
origines et la structuration des commissions commu489
P. VAN ORSHOVEN, op. cit., R.W., 1989-1990, no 14, p. 465.
M. LEROY, op. cit., p. 44.
491
M.-Fr. RIGAUX, op. cit., p. 19.
492
Ibidem, p. 19.
490
157
ADMINISTRATION PUBLIQUE
nautaires bruxelloises, dont l’étude, « une des parties
les plus ardues et les plus curieuses du droit public
belge », est ainsi rendue un peu plus simple493.
De même, on peut observer une continuité,
malgré les ruptures, entre la région bruxelloise
née de la volonté du constituant de 1970 et la
Région de Bruxelles-Capitale, en passant par les
institutions régionales provisoires, antérieurement
qualifiées de « préparatoires » à l’application de
l’article 107quater de la Constitution494.
De solution transitoire en solution provisoire,
certains traits définitifs se sont malgré tout imposés : « le territoire, la population, le mode de composition de certains organes, les enjeux tout à la
fois régionaux, nationaux voire internationaux,
l’allégeance, partant, avec les institutions nationales d’une collectivité politique réputée autonome »495.
Territoire, institutions et attributions, tels qu’ils
seront décidés en 1989, constitueront la preuve
que, depuis l’indépendance de la Belgique, des
éléments du statut de Bruxelles ont été fixés progressivement, et qu’il n’y a donc pas eu de silence
qui, à ce propos, puisse être qualifié d’assourdissant.
129. L’évolution n’appelle-t-elle que des
louanges ?
Présentée comme étant le « fruit de la lente
décrispation communautaire intervenue à
Bruxelles et de la conviction qu’on ne pourrait
transformer l’État belge en un véritable système
fédéral tout en laissant entre parenthèses la troisième région », la concrétisation des institutions
bruxelloises devait constituer le gage d’une « gestion plus cohérente », d’une « meilleure transparence dans le fonctionnement de la Région
bruxelloise, ainsi qu’une plus grande efficacité
dans le processus de décision ».
Mieux encore, « les mécanismes institués en
vue de maintenir et de développer (les) fonctions
particulières de Bruxelles », soit le rôle de capitale et de siège des institutions de cette « villeRégion », devaient préserver l’autonomie de la
Région et de ses élus496.
La réalité est plutôt que le statut des institutions
bruxelloises est le fruit d’un compromis et repose
dans une large mesure sur la technique du dédoublement, voire de la démultiplication fonctionnelle497.
Si, pour d’aucuns, cette technique, « clé de
voûte »498 des institutions bruxelloises, est le fruit
d’un effort méritoire de rationalisation499 et le
gage d’une simplification visuelle pour la population bruxelloise, qui peut ainsi identifier ses
élus « sans trop se préoccuper du niveau de compétences auquel ils agissent »500, la question se
pose de savoir si les élus en question n’y perdent
pas pour leur part leur latin, et ne confondent ou
n’oublient pas certaines de leurs casquettes501.
La simplification des institutions bruxelloises
n’est acquise qu’au travers de l’économie du
nombre de mandataires, mais cela s’arrête là.
Cette rationalité paraît trompeuse, et la simplification vantée à l’époque pourrait avoir asphyxié
les élus bruxellois sous leurs multiples casquettes.
130. En outre, « en raison de l’exiguïté de son
territoire, Bruxelles a besoin d’une concertation
interrégionale »502 pour exercer adéquatement les
compétences qui lui sont dévolues, ce que le seul
exemple concret de la construction d’un nouveau
stade national suffit à démontrer.
En réalité, la Région de Bruxelles-Capitale ne
peut rien seule503…
131. Les premiers jalons de l’histoire de la
Région de Bruxelles-Capitale apportent déjà un
premier éclairage utile pour dresser, au travers du
cas bruxellois, un bilan du fédéralisme belge et
des enjeux cachés qu’il peut receler.
L’analyse de ceux-ci, et la poursuite de la chronique, à l’occasion de travaux ultérieurs, pourraient s’avérer plus instructifs encore, surtout
lorsque seront examinés les enjeux financiers.
Les premiers mouvements de son histoire
laissent en tout cas déjà penser que la Région
de Bruxelles-Capitale est, en raison même de la
manière dont ses institutions ont été conçues, privée de l’autonomie qu’elle croyait avoir obtenue,
mais pour des raisons autres que celles qui ont été
officiellement négociées.
Il en résulte qu’elle est, en fait sinon en droit,
sujette à la léthargie ou à la dépendance à l’égard
de pouvoirs tiers, qualités qui ne paraissent pas
être celles d’une entité fédérée à part entière.
497
P. VANLEEMPUTTEN, op. cit., pp. 14-15.
Ph. DE BRUYCKER, « Bruxelles dans la réforme de l’État », op. cit., p. 34.
499
Rapport TOMAS et ANCIAUX, op. cit., Doc. parl., Ch., sess. 1988-1989,
no 661/4, p. 50.
500
P. VANLEEMPUTTEN, op. cit., p. 15.
501
En ce sens, voy. P. VAN ORSHOVEN, op. cit., p. 465.
502
G. CEREXHE, op. cit., p. 63.
503
A. DELCAMP, op. cit., p. 343.
498
493
Ph. DE BRUYCKER, « Les nouvelles institutions bruxelloises », op. cit.,
p. 105.
494
M.-Fr. RIGAUX, op. cit., p. 19.
495
Ibidem, p. 40.
496
Ph. MOUREAUX, Bruxelles, ses institutions et son financement, 1990,
pp. 4-5.
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