la régio de bruxelles
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ADMINISTRATION PUBLIQUE LA RÉGIO DE BRUXELLES-CAPITALE CHROIQUE DE LA AISSACE D’UE RÉGIO À PART* par Joëlle SAUTOIS Chercheuse au Centre de droit public de l’Université libre de Bruxelles Avocate au barreau de Bruxelles « Le statut de Bruxelles n’est pas le résultat d’un choix délibéré. Il ressemble en cela à celui de la Belgique en général : personne ne l’a voulu tel qu’il est, personne ne trouve qu’il représente une solution souhaitable »1. INTRODUCTION GÉNÉRALE ..................................................................................................................... 109 PREMIÈRE PARTIE – BRUXELLES AVANT LA PREMIÈRE RÉFORME DE L’ÉTAT .......................................... 111 111 113 114 119 er Titre 1 – Bruxelles à la naissance du pays ..................................................................................................... Titre 2 – Le Grand-Bruxelles pendant les deux guerres mondiales, ou le traumatisme ................................. Titre 3 – Les lois linguistiques ........................................................................................................................ Titre 4 – Première conclusion – Un territoire.................................................................................................. DEUXIÈME PARTIE – BRUXELLES ET LA PREMIÈRE RÉFORME DE L’ÉTAT (1970)......................................... er Titre 1 – Les perspectives au 18 février 1970 ............................................................................................... Titre 2 – La virtuelle Région ........................................................................................................................... Titre 3 – Le substitut de l’Agglomération ....................................................................................................... Titre 4 – Les Commissions de la culture ......................................................................................................... Titre 5 – Deuxième conclusion – Des institutions et des attributions supracommunales .................................. TROISIÈME PARTIE – BRUXELLES JUSQU’À LA DEUXIÈME RÉFORME DE L’ÉTAT (1980) .......................... er Titre 1 – Les lois de régionalisation « préparatoires » .................................................................................. Titre 2 – L’échec du Pacte d’Egmont et de l’accord du Stuyvenberg............................................................. Titre 3 – La « mise au frigo » de 1980 ............................................................................................................ Titre 4 – Troisième conclusion – Des institutions régionales préparatoires ou provisoires… durables ........... QUATRIÈME PARTIE – LE TROMPE-L’ŒIL DE LA TROISIÈME RÉFORME DE L’ÉTAT (1988-1989) .............. 120 120 123 127 134 136 137 137 141 143 145 Titre 1 – Le contexte de la réforme ............................................................................................................... Titre 2 – Un territoire....................................................................................................................................... Titre 3 – Des institutions ................................................................................................................................. Titre 4 – Des attributions ................................................................................................................................. Titre 5 – Quatrième conclusion – Un statut à part (entière) ............................................................................ 146 146 147 148 151 155 CONCLUSION GÉNÉRALE........................................................................................................................ 157 er * Cet article correspond, à quelques corrections et adaptations près, au mémoire déposé par son auteur le 1er août 2013 en vue de l’obtention du certificat de formation à la recherche (directeur : Prof. Michel LEROY ; lecteur : Prof. Annemie SCHAUS). Il ne devrait être isolé par ses lecteurs de la thèse de doctorat que l’auteur a entamée début 2014 à la suite de la délivrance du certificat précité. Il n’en constitue en réalité qu’une première partie, introductive, rédigée sous réserve d’amélioration et d’approfondissement dans le cadre des travaux envisagés pour la thèse. 1 P. DELWIT et K. DESCHOUWER, « États généraux de Bruxelles – Les institutions bruxelloises », Brussels Studies, note de synthèse no 14 du 24 février 2009, p. 1. 108 ADMINISTRATION PUBLIQUE ITRODUCTIO GÉÉRALE 1. Bruxelles est devenue, au fil de son histoire, « un lieu politique complexe à raison de l’amoncellement, sur son territoire, d’un ensemble d’autorités publiques »2. Encore faut-il s’entendre sur ce que signifient « Bruxelles » et son « territoire ». Un exemple récent suffit à apporter une éclairante démonstration de la polysémie de ces termes. À la fin du mois de mai 2013, les membres du gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale, sous l’impulsion du nouveau ministre-président, Rudi Vervoort, se rendent en séminaire à Ostende pour débattre d’un certain nombre de questions essentielles et trancher les priorités à régler d’ici la fin de la législature. Parmi les dossiers à traiter, revient la question de la localisation du futur stade national, en vue de l’Euro 2020. Cela fait des mois, sinon des années, que la question agite le Landerneau politique bruxellois. Enfin, une solution est proposée. Le stade sera installé sur le parking C du Heysel, sur un terrain appartenant à la ville de Bruxelles. L’option retenue suscite les interrogations, et le débat s’anime, spécialement le 14 juin 2013, en séance plénière du Parlement bruxellois. C’est que le choix du gouvernement « illustre parfaitement une situation de grand écart, typiquement belge et bruxelloise, puisque le site se trouve à quelques mètres de la Région de Bruxelles, en Région flamande. Par ailleurs, il appartient au plus grand propriétaire terrien de (la) Région, qui est la ville de Bruxelles, de concert avec son CPAS »3. Pour mener à bien ce projet, la Région doit donc se concerter non seulement avec la ville de Bruxelles, mais également avec la commune de Grimbergen, la province du Brabant flamand et la Région flamande4. Les interpellations fusent. L’attention du ministre-président est notamment attirée sur les questions suivantes : « Le nouveau stade se trouvera en Flandre. Que sera-t-il prévu pour assurer une gestion respectant les intérêts bruxellois ? Comment sera-t-il tenu compte des obligations en matière d’usage des langues ? (…) La Région flamande est unilingue, je le rappelle »5. 2 F. DELPÉRÉE, F.-X. DUBOIS et C. FRÉMAULT-DE CRAYENCOUR, « La Région bruxelloise, son ressort et ses institutions », A.P.T., 1998/4, p. 258. 3 Interpellation du ministre-président par V. De Wolf, Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, C.R.I., séance plénière du vendredi 14 juin 2013, séance du matin, p. 71. 4 Interpellation du ministre-président par A. Maes, ibidem, p. 33. 5 Interpellation du ministre-président par M. Nagy, ibidem, pp. 26-27. Voy. aussi l’interpellation du même jour de D. Lootens-Stael (p. 37) : « Ensuite s’ajoute le problème de la législation linguistique. Toutes les indications aux 2. Le gouvernement bruxellois ignore-t-il donc le droit constitutionnel et les règles de répartition des compétences, tant matérielles que territoriales, qui gouvernent à ce jour les relations entre partenaires de la Belgique fédérale ? Sur le plan des compétences territoriales d’abord, une première question a dû l’inquiéter. En vertu de l’article 2, § 1er, de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises, le territoire de la Région centrale du pays est limité à l’arrondissement administratif de Bruxelles-Capitale, lequel, depuis 1963, n’excède pas les frontières des dix-neuf communes. Grimbergen, quoique très proche, n’en fait pas partie. Le parking C du Heysel se trouve sur le territoire de la région de langue néerlandaise, et plus particulièrement dans le Brabant flamand. Or la Région de Bruxelles-Capitale ne peut exercer ses compétences sur le territoire de cette province, qui est incluse dans le territoire de la Région flamande6. 3. Sur le plan des compétences matérielles ensuite, l’implantation et la gestion d’un stade national concernent différentes matières : l’aménagement du territoire, le sport, et éventuellement la culture, si, par exemple, l’infrastructure est utilisée pour accueillir des grands spectacles, sans parler de l’emploi des langues. En vertu des limites territoriales de sa compétence, la Région de Bruxelles-Capitale n’est pas habilitée à régler les questions urbanistiques et d’environnement que suscitera immanquablement la construction du stade. C’est au droit de l’urbanisme et de l’environnement flamand que les demandes de permis devront satisfaire. Quant au sport, il s’agit d’une compétence communautaire, et non régionale. Si le futur stade national était situé sur le territoire bruxellois, la détermination de l’autorité compétente pour régler la question ne serait pas évidente, dès lors qu’à Bruxelles les compétences communautaires obéissent à des règles d’une rare complexité. En vertu de l’article 127 de la Constitution, en effet, les Communautés n’ont de compétence sur le territoire bruxellois qu’à l’égard des institutions qui, en raison de leurs activités culturelles, relèvent exclusivement de la Communauté concernée. Or, le stade national est notamment destiné à accueillir des manifestations sportives impliquant l’équipe nationale belge de football. Il s’agit là d’une activité qui n’est ni exclusivement francophone, ni exclusivement flamande. abords du stade seront uniquement en néerlandais. Le gouvernement bruxellois en a-t-il tenu compte ? ». 6 L’existence de la Région flamande est consacrée à l’article 3 de la Constitution, mais elle s’est dissoute dès 1980 dans la Communauté flamande, dont les institutions ont été chargées, en vertu de l’article 1er, § 1er, alinéa 2, de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980, d’exercer ses compétences. 109 ADMINISTRATION PUBLIQUE Lorsque le ministre-président répond aux interpellations du 14 juin 2013 en indiquant que la Région n’est pas compétente en matière de sport, il expose, certes, que les Communautés française et flamande pourraient cofinancer le projet, mais émet immédiatement un doute quant au fait qu’un tel financement puisse être obtenu de leur part pour la construction d’un stade national situé en Région bruxelloise7. Il est, exact, en effet, que dès lors que le stade est national, cette matière ne relève ni des compétences des communautés, ni de celle de la Région de Bruxelles-Capitale, mais bien, à titre résiduaire, de l’autorité fédérale. Cette dernière ne paraît pourtant pas se préoccuper du sport à Bruxelles, à tel point que cette matière semble en déshérence sur le territoire bruxellois. L’autorité fédérale aurait pourtant un rôle à jouer, dès lors que le projet de construction d’un stade national permettrait normalement de favoriser et de promouvoir le rôle international de Bruxelles. Or, par son article 43, la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises permet à la Région de Bruxelles-Capitale et à l’autorité fédérale de prendre des initiatives en commun dans cette perspective, à charge du budget fédéral8. Le même raisonnement conduit à écarter toute compétence régionale en matière culturelle. 4. Le constat est, à première vue, saisissant. La Région de Bruxelles-Capitale ne dispose a priori d’aucun titre – et encore moins des finances – pour engager et développer intégralement seule le projet de stade national évoqué à Ostende, alors pourtant qu’elle abrite la capitale du pays et est amenée à entretenir son image internationale. Sont en réalité concernés, la ville de Bruxelles – voire son CPAS – en qualité de propriétaire privé – la zone concernée étant sa propriété, mais ne faisant pas partie de son territoire –, la Région flamande, compétente pour délivrer les permis d’urbanisme et d’environnement, voire l’autorité fédérale pour les parties du site qui seraient malgré tout incluses sur le territoire bruxellois et qui sont destinées à accueillir des activités culturelles et sportives. À défaut d’une telle emprise territoriale, et faute d’une exception parmi les règles de répartition de compétences, à l’instar de ce qui fut fait pour l’aéroport de Bruxelles-National, l’interlocuteur premier en ce domaine est la Communauté flamande… 7 Intervention du ministre-président, Parlement de la Région de BruxellesCapitale, C.R.I., séance plénière du vendredi 14 juin 2013, séance de l’aprèsmidi, p. 28. 8 L’accord de coopération du 15 septembre 1993 (M.B., 30 novembre 1993), conclu entre l’État fédéral et la Région de Bruxelles-Capitale, et relatif à certaines initiatives destinées à promouvoir le rôle international et la fonction de capitale de Bruxelles, consacrait d’ailleurs une disposition au financement du stade du Heysel, qualifié de stade national. 110 5. La question du stade national est passionnante en ce qu’elle révèle, en éprouvette, toutes les ambiguïtés de la réforme de l’État en ce qui concerne Bruxelles. Tout d’abord, il faut avoir égard à la ville de Bruxelles, simple pouvoir local, mais qui, enraciné dans l’histoire, constitue la capitale du Royaume. La ville de Bruxelles fait partie de la Région et peut être le relais de certaines de ses initiatives. Elle peut aussi la suppléer lorsque le paysage des compétences atrophie les initiatives régionales. Elle peut, enfin, en termes de puissance et de visibilité, se trouver en concurrence avec la Région. Ensuite, il se confirme que la Région de Bruxelles-Capitale est manifestement à l’étroit dans ses limites territoriales et que le champ de ses activités et préoccupations l’amène à devoir s’étendre audelà des dix-neuf communes qui lui sont assignées. Enfin, et là est l’essentiel, la Région de Bruxelles-Capitale est constamment bridée ou à tout le moins entravée, dans la mise en œuvre de politiques cohérentes tant en raison de l’exiguïté de son territoire que par l’éclatement des compétences à l’intérieur, voire à l’extérieur, de celui-ci. 6. Pour cet exemple, comme pour bien d’autres encore, « Bruxelles », cette « métaphore de la complexité belge »9 ce « point d’intersection du fédéralisme belge »10, attise la curiosité du publiciste, à défaut de susciter l’intérêt du citoyen. Elle est obligatoirement « au cœur de toute réflexion institutionnelle sur la Belgique »11, ce pays dans lequel « beaucoup de solutions provisoires deviennent définitives et (où) des compromis obtenus souvent à l’arraché se transforment après sédimentation en terres volcaniques… »12. C’est la raison pour laquelle le présent mémoire lui est consacré. Et comme, pour comprendre un fait d’actualité tel que celui qui vient d’être relaté s’agissant du futur stade national, il est souvent utile de le replacer dans un contexte historique, c’est dans cette perspective que son auteur l’a conçu. Ce travail se donne donc pour unique vocation de dresser une chronique de la naissance de la Région de Bruxelles-Capitale, depuis la veille de la première réforme de l’État jusqu’à la troisième réforme, en ce compris l’adoption de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises. 9 M. UYTTENDAELE, « Bruxelles, capitale de l’altérité », Pouvoirs, no 136, « La Belgique », janvier 2011, p. 137. 10 M. REUCHAMPS, « La parité linguistique au sein des “gouvernements” bruxellois », Rev. dr. ULg., 2008, livr. 2, p. 183. 11 F. DELPÉRÉE, F.-X. DUBOIS et C. FRÉMAULT-DE CRAYENCOUR, op. cit., p. 257. 12 M.-Fr. RIGAUX, « Annales bruxelloises (décembre 1970-janvier 1989) », in R. ANDERSEN, G. BROUHNS, F. DELPÉRÉE, F. JONGEN, M.-F. RIGAUX, H. SIMONART et M. VERDUSSEN, La Région de Bruxelles-Capitale, Bruxelles, Bruylant, 1989, p. 20. ADMINISTRATION PUBLIQUE Le tableau est, à ce stade, purement clinique. Autrement dit, il ne s’agit pas de procéder à une lecture déjà trop critique de l’histoire des institutions régionales bruxelloises, cette œuvre étant projetée dans le cadre de travaux ultérieurs, liés à la thèse de doctorat de l’auteur. Ceux-ci seront l’occasion de se pencher davantage sur les questions de financement, en sorte que, pour l’instant, seront laissées de côté les quelques dispositions de la loi du 12 janvier 1989, précitée, qui sont consacrées au statut financier de la Région de Bruxelles-Capitale13, de même que la loi spéciale de financement du 16 janvier 198914. Il ne s’agit pas non plus, sous réserve de quelques traits esquissés, de prétendre décrire toutes les dimensions du débat qui a pu accompagner l’histoire des institutions bruxelloises, « où la passion et la science, le rêve et le réalisme, l’idéologie et la raison se mêlent ou croisent parfois le fer »15. Tout au plus sera-t-il tenté d’expliquer le silence observé par le législateur spécial pendant près de vingt ans, jusqu’à l’adoption de la loi spéciale du 12 janvier 1989 et de répondre, peut-être, aux questions que posait F. Delpérée à cette même époque : « Ce silence a-t-il été absolu ? Des solutions ne se dessinent-elles pas, de manière imperceptible, sur quelques dossiers qui sont au cœur du dossier bruxellois : quel territoire ? quelles attributions ? quelles institutions ? »16. En d’autres termes, est-il permis d’affirmer que la concrétisation de la Région de BruxellesCapitale, en 1989, repose sur des règles « dont la nouveauté ne s’inscrit jamais totalement en rupture avec le passé »17 ? PREMIÈRE PARTIE – BRUXELLES AVAT LA PREMIÈRE RÉFORME DE L’ÉTAT TITRE 1ER – BRUXELLES À LA NAISSANCE DU PAYS Chapitre 1er – Une capitale et ses faubourgs 7. Le mot « Bruxelles » n’a pas toujours été polysémique. À la naissance du pays, Bruxelles est simplement une ville originellement flamande, une entité 13 Pour quelques premiers constats à propos du financement de Bruxelles, voy. Ph. DE BRUYCKER et N. LAGASSE, « Bruxelles dans la réforme de l’État belge », in A. LETON (coord. et dir.), La Belgique : un État fédéral en évolution, Bruxelles, Bruylant, Paris, L.G.D.J., 2001, pp. 241-242. 14 M.B., 17 janvier 1989. 15 M.-Fr. RIGAUX, op. cit., p. 41. 16 F. DELPÉRÉE, « Introduction », in R. ANDERSEN, G. BROUHNS, F. DELPÉRÉE, F. JONGEN, M.-F. RIGAUX, H. SIMONART et M. VERDUSSEN, La Région de Bruxelles-Capitale, Bruxelles, Bruylant, 1989, p. 13. 17 M.-Fr. RIGAUX, op. cit., p. 49. communale formant un pentagone18, au centre de la province de Brabant. Elle cherche, depuis déjà plusieurs décennies, à annexer ses huit anciens faubourgs médiévaux, dont elle a été séparée en 1795, dans la foulée de la Révolution française19. Ce sont donc l’histoire et la géographie qui, de fait, regroupent quelques communes autour d’une plus grande ville du cœur de la Belgique, lorsque celle-ci devient indépendante. Seule la ville de Bruxelles – et non les communes qui l’avoisinent – est toutefois honorée du titre de capitale du nouveau royaume indépendant, en récompense pour l’attitude de ses habitants pendant la Révolution20 : l’article 126 de la Constitution21, datant de 1831, prévoit qu’elle est la capitale de la Belgique et le siège du gouvernement. Pour le surplus, Bruxelles n’est gratifiée à l’époque d’aucun statut particulier qui la distingue des autres villes du pays22. 8. L’élargissement de la ville de Bruxelles fait l’objet de nombreux projets politiques dès l’indépendance de la Belgique23, le leitmotiv étant à tout le moins le retour aux frontières médiévales24, au point de causer des bras de fer tendus entre les autorités de la ville et le gouvernement national25. Ces projets ne se restreindront pas éternellement aux seuls faubourgs historiques de la ville, ni aux communes qui formeront ensuite avec elle les « dix-neuf communes », mais se fonderont sur une vision plus large de l’espace bruxellois26, jusqu’à 18 Cette forme correspond au tracé de la seconde enceinte de la ville, construite au XIVe siècle. Voy. G. DES MAREZ, Guide illustré de Bruxelles – Monuments civils et religieux, Bruxelles, Touring Club Royal de Belgique, 1979, p. 328. 19 Les huit villages de Saint-Josse-ten-Noode, Schaerbeek, Ixelles, SaintGilles, Forest, Anderlecht, Laeken et Molenbeek étaient, jusqu’en 1795, assujettis à l’autorité de la ville de Bruxelles, avec laquelle ils formaient une entité économique, politique et juridique (R. DE GROOF, « De kwestie Groot-Brussel en de politieke metropolisering van de hoofdstad (1830-1940) – Een analyse van de besluitvorming en de politiek-institutionele aspecten van de voorstellen tot hereniging, annexatie, fusie, federatie en districtvorming van Brussel en zijn voorsteden », in E. WITTE, A. ALEN, H. DUMONT, P. VANDERNOOT et R. DE GROOF (réd.), De Brusselse negentien gemeenten en het Brussels model / Les 19 communes bruxelloises et le modèle bruxellois, Bruxelles, De Boeck et Larcier, 2003, p. 14). 20 Th. BOMBOIS, « Article 194 », in M. VERDUSSEN, La Constitution belge – Lignes & Entrelignes, Bruxelles, Le Cri Éditions, p. 441. Voy aussi M. VAN DER HULST, « Brussel als hoofdstad van de federale staat en van de Vlaamse Gemeenschap », in E. WITTE, A. ALEN, H. DUMONT et R. ERGEC (réd.), Het statuut van Brussel / Bruxelles et son statut, op. cit., p. 629, et les références à HUYTENS et THONISSEN citées, ainsi que M.-Fr. RIGAUX, op. cit., p. 17. 21 Devenu l’article 194 lors de la coordination de la Constitution le 17 février 1994. 22 R. DE GROOF, op. cit., p. 17. 23 Ibidem, p. 7. Voy. aussi, pour un relevé d’initiatives prises entre 1853 et 1922, l’exposé des motifs du premier projet de loi sur les agglomérations et les fédérations de communes déposé après la révision constitutionnelle de 1970, Doc. parl., Ch., sess. 1970-1971, no 868/1, pp. 4-5. Ou encore Doc. parl., Ch., sess. 1970-1971, no 973/1, pp. 7-8. 24 R. DE GROOF, op. cit., p. 17. 25 Ibidem, p. 18. 26 R. DE GROOF, op. cit., p. 11. Voy. aussi A. DELCAMP, Les institutions de Bruxelles – De la commune à l’agglomération, de la Région-Capitale à l’État fédéré, Bruxelles, Bruylant, 1993, pp. 9-36, spéc. p. 27, où l’auteur met en évidence l’étendue de l’agglomération bruxelloise proprement dite, au sens de « zone urbanisée de manière continue », laquelle englobe des parties 111 ADMINISTRATION PUBLIQUE structurer les réflexions actuelles sur la notion d’hinterland socioéconomique de Bruxelles27. Il faut également reconnaître que la référence faite par l’article 126 de la Constitution28 à la seule commune de Bruxelles comme siège des institutions nationales, fait rapidement l’objet d’interprétations extensives, « bien au-delà de la lettre du texte constitutionnel »29 : de nombreuses institutions gouvernementales sont établies en dehors du territoire de la ville de Bruxelles stricto sensu. Dans la déclaration publiée au Moniteur belge du 17 avril 1965, cette disposition constitutionnelle sera déclarée ouverte à révision, aux fins d’en préciser le sens, « d’une part pour faire apparaître clairement que les services gouvernementaux peuvent tout aussi bien être établis dans d’autres communes de l’agglomération bruxelloise que la commune de Bruxelles elle-même, d’autre part, pour préciser sur certains points le statut de Bruxelles elle-même »30. Reprise dans la déclaration du 1er mars 196831, la révision ne sera finalement pas concrétisée sur ce point, au motif officiel que l’extension du rôle de capitale à d’autres communes aurait « provoqué des rivalités et imposé des choix difficiles »32. Le siège du gouvernement belge demeure donc, sur le papier, et depuis 1831, la seule ville de Bruxelles, laquelle cherche à étendre son assise territoriale. Chapitre 2 – Une structuration informelle – La Conférence des bourgmestres 9. Ne parvenant qu’à engranger de partielles annexions33, la ville adopte, à partir de 1854, une nouvelle stratégie : abandonnant l’idée d’une réunification, elle table désormais sur l’instauration d’une fédération de communes. Les premières intercommunales sont ainsi créées, qui amorcent et annoncent une rationalisation des services de l’agglomération. Une autre structure politique voit également le jour. Sous la houlette du bourgmestre Jules-Victor Anspach, en effet, un organe informel et consulimportantes de vingt-neuf communes de l’arrondissement de Hal-Vilvorde, Tervuren, et trois communes de l’arrondissement de Nivelles, dont Waterloo et Braine-l’Alleud. 27 Voy. à ce propos, Bruxelles et son hinterland socio-économique, actes du colloque organisé le 18 juin 2008 par le Conseil économique et social de la Région de Bruxelles-Capitale, disponible sur le site http://www.briobrussel.be (dernière consultation le 5 juillet 2013). 28 Devenu, pour rappel, l’article 194. 29 F. DELPÉRÉE, F.-X. DUBOIS et C. FRÉMAULT-DE CRAYENCOUR, op. cit., p. 261. 30 Doc. parl., Ch., sess. 1964-1965, no 993/1, p. 23. 31 Doc. parl., sess. extr. 1968, no 10-1/1, p. 26. 32 P. WIGNY, La troisième révision de la Constitution, Bruxelles, Bruylant, 1972, p. 212. Voy. aussi X. MABILLE, « Les projets de statut pour Bruxelles », in X, Le problème de Bruxelles depuis Val-Duchesse (1963), actes du colloque VUB-CRISP des 20 et 21 octobre 1988, t. 2, Bruxelles, VUB Press, 1989, p. 78. 33 Du bois de la Cambre, annexé en 1864, à l’absorption de Laeken, Nederover-Heembeek et Haren en 1921 (voy. R. DE GROOF, op. cit., p. 35). 112 tatif est créé en 1874. C’est la « Conférence des bourgmestres de l’agglomération », qui se réunit encore toujours actuellement. Sont d’abord invités les bourgmestres de Schaerbeek, Ixelles, Molenbeek-Saint-Jean, Saint-Gilles, Anderlecht, Saint-Josse et Etterbeek, aux fins d’évoquer la fréquentation de l’athénée royal de Bruxelles par tous les enfants de l’agglomération bruxelloise. Aux huit bourgmestres s’ajouteront par la suite ceux de Laeken34, Uccle, Watermael-Boitsfort, Forest, Jette, Koekelberg, Woluwe-Saint-Lambert, Auderghem, WoluweSaint-Pierre, Evere, Berchem-Sainte-Agathe et Ganshoren35. « La Conférence des bourgmestres rassemble donc les bourgmestres des dix-neuf communes de l’agglomération bruxelloise dans le but de mettre en commun leur expérience, d’exposer les problèmes rencontrés dans leurs communes et de trouver ensemble une solution, au profit de la population de l’ensemble de l’agglomération bruxelloise. Il s’agit d’une institution bruxelloise ne possédant pas d’existence légale, mais reconnue comme interlocuteur privilégié par les autorités36. Elle n’a aucun pouvoir légal ou décisionnel : ses membres expriment leur opinion lors des réunions, sans jamais voter. Les conclusions des réunions ne forment pas des résolutions auxquelles les membres doivent impérativement obéir, au contraire, ce sont des avis ou des suggestions »37. Chapitre 3 – Les germes du problème communautaire 10. Dès le XIXe siècle, donc, est opérée la structuration, certes informelle, d’une agglomération autour de la ville de Bruxelles. Elle semble correspondre à une vision naturelle de ce que représente cette zone. Sur cette base, elle regroupe seize communes avant la Première Guerre mondiale. Les trois communes de Berchem-Sainte-Agathe, Evere et Ganshoren la rejoindront en 1933. La zone qui entoure ainsi la capitale du pays attise tout à la fois hostilité et convoitise, sentiments contrastés que partagent tant les Flamands que les Wallons. 34 Commune intégrée à la ville de Bruxelles en 1921, avec Haren et Nederover-Heembeek. Voy. la note précédente. 35 Les trois dernières communes citées participent à la Conférence des bourgmestres à partir de 1933. 36 Voy. d’ailleurs les propos du ministre de l’Intérieur au moment de l’élaboration de la loi portant organisation des agglomérations et fédérations de communes, au début des années 1970 (projet de loi organisant les agglomérations et les fédérations de communes, rapport fait au nom de la commission spéciale par MM. Deruelles et VerroKEN, Doc. parl., Ch., sess. 1970-1971, no 973/20, p. 23). 37 V. COUMANS, « Archives de la Conférence des bourgmestres », note disponible sur http://www.bruxelles.be/dwnld/86620712/conf%5Fbourg%2D2011%2DV1%2Epdf (dernière consultation le 5 juillet 2013), p. 1. ADMINISTRATION PUBLIQUE Tous y voient le lieu d’influence, celui que les effets de la centralisation privilégient, où il est bon de mener sa carrière lorsqu’on en a les moyens. S’y côtoient davantage les gouvernants, les fonctionnaires et autres élites, que les agriculteurs du nord ou les ouvriers du sud. « Tandis qu’elles fournissent à la capitale un appoint constant de sang nouveau, les deux régions du pays subissent l’influence de la région bruxelloise. Elles perdent constamment à son profit des éléments actifs et elles sont en quelque sorte vidées de leur substance par l’absorption bruxelloise. Cette situation doit être considérée comme très grave et pourrait, à elle seule, permettre de condamner les excès de la centralisation bruxelloise »38. C’est en effet la capitale, qui monopolise la direction de la vie économique39, le carrefour où se rencontrent Flamands et Wallons, mais où les premiers doivent, s’ils veulent y évoluer et s’y faire comprendre, se plier à l’usage du français dans les hautes sphères, tandis que les seconds abandonnent volontiers leur patois wallon éventuel pour une langue qu’ils maîtrisent au demeurant. Bruxelles est le lieu où le français domine et où la discrimination linguistique envers les Flamands va bon train. Largement francisée, certes, Bruxelles n’est pourtant pas considérée comme comprise dans la notion de « Wallonie » qui commence à être utilisée en réaction à l’éveil du mouvement flamand40. La vision qu’elle suscite au sud du pays est traduite dans l’un des premiers slogans du mouvement wallon en 1897 : « La Wallonie aux Wallons, la Flandre aux Flamands et Bruxelles aux Belges ! »41. Les Belges en question, ce sont les titulaires d’emplois publics ou les hommes politiques, ainsi que les habitants de la capitale, ces « métis », parlant un « jargon innommable »42, ces « endormis 38 Rapport final du Centre Harmel, du nom du « Centre de recherche pour la solution nationale des problèmes sociaux, politiques et juridiques en régions wallonnes et flamandes », créé par une loi du 3 mai 1948, Doc. parl., Ch., sess. 1957-1958, no 940, p. 77. 39 Ibidem, p. 208. 40 Voy. ci-dessous, le titre 3, relatif aux lois linguistiques et, notamment E. WITTE et J. CRAEYBECKX, La Belgique politique de 1830 à nos jours, Bruxelles, éd. Labor, 1987, pp. 135-141, pour une évocation du flamingantisme culturel. 41 Cité par F. PERIN, Histoire d’une nation introuvable, Bruxelles, éd. Paul Legrain, 1988, p. 103. 42 « Une seconde espèce de Belges s’est formée dans le pays, et principalement à Bruxelles. Mais elle est vraiment peu intéressante. Elle semble avoir additionné les défauts de deux races, en perdant leurs qualités. Elle a pour moyen d’expression, un jargon innommable dont les familles Beulemans et Kakebroek ont popularisé la drôlerie imprévue. Elle est ignorante et sceptique. Elle a pour idéal un confortable médiocre. Elle ne croit à rien, est incapable de générosité ou d’enthousiasme, soupçonne toujours chez autrui le mobile bas et intéressé, abaisse par la “zwanze” toute idée qui la dépasse. Certains laudateurs de cette platitude en ont voulu faire une vertu : le “middelmatisme”, mot aussi laid que l’état d’esprit signifié. Le patriotisme de ces “middelmates” est nul, ils accepteraient bénévolement toute domination qui ne dérangerait point leurs aises coutumières. Cette population de la capitale, dont quelques échantillons épars existent en province, n’est point un peuple : c’est un agglomérat de métis » (J. DESTRÉE, qui prêchent la soumission » – aux Flamands – « au nom de la fraternité »43. En réalité, « les trois composantes du problème “communautaire” (sont) présentes en germe dans les années qui précèdent immédiatement la Première Guerre mondiale : un mouvement flamand combatif, les débuts d’un courant wallon fédéraliste et la région de Bruxelles, source de nombreux problèmes ultérieurs »44. « Des origines à nos jours, les problèmes communautaires se résument, en effet, toujours au même schéma : l’opposition entre deux peuples de langue et de culture différentes, aux évolutions économiques souvent divergentes, et la lutte pour une grande ville, située dans la partie flamande du pays, mais dont la population, dans sa grande majorité, est aujourd’hui francophone »45. TITRE 2 – LE GRAND-BRUXELLES PENDANT LES DEUX GUERRES MONDIALES, OU LE TRAUMATISME Chapitre 1er – La Flamenpolitik 11. Alors que, jusqu’à la Première Guerre mondiale, le concept de « Grand-Bruxelles » caractérise la formation d’une agglomération urbaine, « l’extension somme toute naturelle de la ville de Bruxelles vers ses faubourgs », il prend une autre connotation et devient « antipathique » en raison des initiatives de l’occupant46. Pendant la guerre de 1914-1918, en effet, les Allemands divisent pour régner en appliquant une Flamenpolitik : « pour flatter le mouvement flamand, le gouverneur von Bissing (ouvre) une université flamande à Gand, en 1916 et, peu de temps après, (procède) à la séparation administrative du pays en le divisant en deux régions : la Flandre (dotée d’un “Raad van Vlaanderen”) et la Wallonie »47, 48. À Bruxelles, s’il est vrai qu’ils ne touchent pas aux institutions communales des seize com« Lettre au roi Albert Ier », 1912, disponible en version intégrale sur le site http:// www.histoire-des-belges.be, dernière consultation le 16 juillet 2013). 43 F. PERIN, op. cit., p. 114, citant un discours de Jules Destrée. Les Bruxellois ne seront plus, dans ce discours, les Belges de l’ancien slogan, puisque, selon les termes bien connus utilisés par Jules Destrée dans sa lettre à Albert Ier (voy. note précédente), le Roi règne sur deux peuples : « Il y a en Belgique des Wallons et des Flamands, il n’y a pas de Belges ». 44 E. WITTE et J. CRAEYBECKX, op. cit., p. 141. 45 A. MÉAN, La Belgique de papa – 1970 : le commencement de la fin, Bruxelles, Pol-His, 1989, p. 20. 46 Ch. KESTELOOT, « Le Grand-Bruxelles et les après-guerres », in E. WITTE, A. ALEN, H. DUMONT, P. VANDERNOOT et R. DE GROOF, De Brusselse negentien gemeenten en het Brussels model / Les dix-neuf communes bruxelloises et le modèle bruxellois, Bruxelles, De Boeck et Larcier, 2003, p. 84. 47 A. MÉAN, op. cit., p. 38. Voy. aussi E. WITTE et J. CRAEYBECKX, op. cit., 1987, p. 146, ou encore M. LEROY, De la Belgique unitaire à l’État fédéral, Bruxelles, Bruylant, 1996, pp. 15-19. 48 Il faut « tuer définitivement le mythe belge selon lequel le mouvement flamand est une création maléfique de l’occupant allemand de 1914-1918 dans l’intention de détruire la Belgique. Les Allemands ne créèrent rien, mais ils utilisèrent un mouvement, né plus d’un demi-siècle avant leur arrivée ! » (F. PERIN, op. cit., p. 96). Voy. aussi, ibidem, pp. 121 et s. 113 ADMINISTRATION PUBLIQUE munes concernées49, ils décident de ne plus traiter qu’avec le bourgmestre de la ville de Bruxelles, à charge pour lui de centraliser toutes les correspondances émanant des autres communes. Chapitre 2 – La fusion forcée 12. La Seconde Guerre mondiale constitue à nouveau l’occasion pour l’occupant d’instaurer un « Grand-Bruxelles », de manière plus drastique que précédemment. Le 27 septembre 1942, en effet, les dix-huit communes avoisinantes sont supprimées et incorporées au territoire et à l’administration de la ville de Bruxelles, aux mains d’un nouveau collège des bourgmestre et échevins. Celui-ci est favorable à l’occupant et à l’ordre nouveau, mais également préoccupé par la volonté de « flamandiser » Bruxelles50, ou à tout le moins, selon la position officielle, de faire appliquer strictement la législation sur l’emploi des langues au sein de l’administration et dans l’enseignement51. À la libération, en septembre 1944, un comité provisoire de l’agglomération bruxelloise est installé aux fins d’organiser la défusion des communes. Ce comité demeurera en place jusque fin mai 1945. Il y sera décidé de restituer aux communes leurs prérogatives d’origine, « à l’exception de celles formellement réservées par le comité provisoire », parmi lesquelles les compétences de police et l’aide sociale, dans une pure dynamique de gestion technique52, sans que même la Conférence des bourgmestres ne retrouve le souffle politique nécessaire pour fonder le moindre projet de refonte de l’institution communale53. L’expérience est, il est vrai, vécue comme un traumatisme, qui étouffera le mouvement flamand jusqu’au milieu des années 1950. Elle fait office de contre-modèle, propice à la manipulation. En effet, l’association d’idées entre le « GrandBruxelles » et l’ennemi aura pour effet pervers de légitimer le rejet subséquent, par les francophones, et notamment par le FDF des années 1960, de toute tentative de rationalisation du territoire bruxellois, 49 Il s’agit d’Anderlecht, Auderghem, Bruxelles, Etterbeek, Forest, Ixelles, Jette, Koekelberg, Laeken – non encore intégrée à la ville de Bruxelles –, Molenbeek, Saint-Gilles, Saint-Josse, Schaerbeek, Uccle, Watermael-Boitsfort et Woluwe-Saint-Lambert. Woluwe-Saint-Pierre n’a pas encore, à ce moment, rejoint la Conférence des bourgmestres (ce sera le cas en 1929). BerchemSainte-Agathe, Evere et Ganshoren s’ajouteront en 1933. 50 N. WOUTERS, « Groot-Brussel tijdens WO II (1940-1944) », in E. WITTE, A. ALEN, H. DUMONT, P. VANDERNOOT et R. DE GROOF (réd.), De Brusselse negentien gemeenten en het Brussels model / Les 19 communes bruxelloises et le modèle bruxellois, op. cit., p. 69. 51 Ibidem, p. 75. À propos des lois sur l’emploi des langues, voy. infra, titre 3. 52 Ch. KESTELOOT, op. cit., p. 99 et p. 102. 53 Ibidem, p. 103. 114 comme de toute revendication tendant à faire respecter la législation linguistique54. « Le souvenir négatif du “Grand-Bruxelles” (…) leur permet de faire l’amalgame entre l’occupant nazi et le mouvement flamand et d’utiliser ce spectre chaque fois que le statut de Bruxelles est abordé »55. 13. Dans le grand débat relatif aux projets de fusions qui animera les années 1950 et 1960, la question des grandes agglomérations sera toutefois à nouveau posée, le sort de Bruxelles y étant discuté au même titre que celui des quatre autres grandes agglomérations du pays, à savoir Anvers, Gand, Liège et Charleroi56. En dépit de cette volonté d’uniformité, plusieurs paramètres contribueront à faire de la situation bruxelloise un cas à part. Il en ira particulièrement ainsi du statut linguistique de cette agglomération, qui abrite en outre la capitale du pays. TITRE 3 – LES LOIS LINGUISTIQUES Chapitre 1er – Le contexte 14. De 1945 au début des années 1960, des opinions publiques divergentes se cristallisent en Flandre et en Wallonie, autour de trois grands débats : la poursuite de ceux qui ont collaboré avec les Allemands, la question royale et la guerre scolaire des années 1950. En outre, la « grève spectaculaire »57 de 1960-1961, contre la loi unique, suivie en Wallonie, mais peu en Flandre, met en évidence l’inversion des rapports de force économiques entre les régions. « Le pacte scolaire de 1958 débouche sur une pacification idéologique, tandis que la croissance économique des sixties atténue les antagonismes de classe. Les tensions communautaires peuvent alors dominer l’agenda politique »58. Les conclusions du Centre Harmel59 sont désormais publiées et prônent notamment la réalisation de l’autonomie culturelle et de la décentralisation économique, l’organisation des pouvoirs administratifs devant être adaptée à la réalisation de ce but. Les membres de la section culturelle du Centre expliquent qu’au sein de la nation belge il existe deux communautés culturelles, la communauté wallonne et la communauté flamande. L’agglomé54 Ibidem, p. 81. Ibidem, p. 103. 56 À ce propos, voy. infra, deuxième partie, titre 3. 57 E. WITTE et J. CRAEYBECKX, op. cit., p. 261. 58 P. WYNANTS, « Origines, caractères et évaporation du fédéralisme en Belgique », Liber Amicorum Jean-Pierre de Bandt, Bruxelles, Bruylant, 2004, p. 1011. 59 Voy. supra, note 38. Dans son rapport final, déposé le 24 avril 1958, « le centre préconisa plusieurs réformes qui apparaissent comme une timide préfiguration des mutations que l’État belge allait connaître à partir de 1970 » (M. LEROY, op. cit., p. 32). 55 ADMINISTRATION PUBLIQUE ration bruxelloise ne forme pas, comme telle, une communauté culturelle : « en réalité, Bruxelles et ses faubourgs appartiennent à la fois à la communauté wallonne et à la communauté flamande, dont ils constituent le bien commun »60. Ce n’est d’ailleurs pas à un détriplement des ministères de l’Éducation nationale et de la culture que la population belge assistera quelques années plus tard, en 1969, mais à un dédoublement61. En revanche, en matière économique et sociale, les conclusions du Centre reposent sur la création de trois conseils consultatifs, l’un wallon, l’autre flamand et le troisième, bruxellois62. Y est aussi – largement – à l’honneur la question linguistique63. 15. À Bruxelles, la situation est, de ce point de vue, bigarrée : « Si l’agglomération bruxelloise est, en majeure partie, d’expression française, l’origine de bon nombre de ses habitants francophones et le bilinguisme qu’ils pratiquent, comme aussi la présence d’une importante minorité de langue néerlandaise, confèrent à la capitale un caractère hybride qui ne la qualifie pas pour jouer un rôle directeur dans le développement de la culture française de la Wallonie. (…). D’autre part, la présence à Bruxelles d’une majorité de francophones et la tendance qui s’y manifeste de résorber aussitôt que possible les habitants d’expression néerlandaise dans un bilinguisme hybride ou même dans un unilinguisme français font que la capitale n’est pas qualifiée actuellement pour jouer un rôle directeur dans le développement de la culture néerlandaise de la Flandre »64. La prégnance du français dans la capitale n’est guère surprenante. Comme on le sait, en effet, le français est historiquement la langue d’une minorité bourgeoise francophone aux mains de qui se trouve le pouvoir politique65 et, jusqu’en 189866, il sera la seule langue officielle du pays. Les querelles linguistiques en Belgique, « élément central du modèle belge de conflit et de paci60 Rapport final du Centre Harmel, Doc. parl., Ch., sess. 1957-1958, no 940, p. 344. 61 Arrêté royal du 25 septembre 1969 portant dédoublement du ministère de l’Éducation nationale et de la Culture, M.B., 30 septembre 1969. 62 Rapport final du Centre Harmel, op. cit., p. 304. 63 Voy., au sein du rapport final, les rapports des sections politique et culturelle, pp. 212 et s. 64 Rapport final du Centre HARMEL, op. cit., p. 345. 65 Voy. F. PERIN, op. cit., p. 92 : « L’unité du royaume fut également scellée par l’usage officiel de la langue française pratiquée par une bourgeoisie homogène, qui avait adopté cette langue depuis des générations. La Révolution et l’Empire n’avaient fait qu’accentuer un fait largement accompli ». 66 Année d’adoption de la loi du 18 avril 1898 relative à l’emploi de la langue flamande dans les publications officielles, dite « loi d’égalité » ou loi « Coremans-De Vriendt », publiée au Moniteur belge le 15 mai 1898, et dont l’article 1er prévoit que « les lois sont votées, sanctionnées, promulguées et publiées en langue française et en langue flamande ». fication »67, tracent donc l’évolution de la capitale comme de toute la nation. 16. De manière générale, dans tout le pays, la majorité flamande doit lutter longuement pour asseoir ses droits économiques, sociaux et linguistiques. Numériquement majoritaires, les Flamands revêtent, longtemps, et paradoxalement, les traits d’une « minorité nationale » largement méprisée par l’élite francophone, à tous points de vue, y compris s’agissant de sa langue, par ailleurs non homogène68. Mais l’histoire de Belgique est notamment celle de « la progressive affirmation d’une Flandre démographiquement majoritaire, économiquement et socialement en retard, linguistiquement brimée et qui peu à peu prendra, de la fin du XIXe siècle à la fin du XXe siècle une place prépondérante dans le pays, et exigera une autonomie correspondante »69. Chapitre 2 – L’article 30 de la Constitution et les premières lois linguistiques 17. Juridiquement, l’histoire de la lutte du mouvement flamand pour la défense de sa culture est d’abord illustrée par la liberté linguistique inscrite dans la Constitution et les diverses législations linguistiques. Consacrant dès le départ la naissance d’un État composé de plusieurs communautés linguistiques, la Constitution belge ne confère pourtant aucun droit collectif au profit de celles-ci. Elle garantit en revanche des droits fondamentaux individuels à portée universelle, qui peuvent donc être exercés collectivement s’il échet. Aux côtés du droit à l’égalité et à la nondiscrimination et du droit à l’épanouissement culturel, on trouve ainsi, surtout, la liberté de l’emploi des langues consacrée dès 1831 par l’article 30 : « L’emploi des langues usitées en Belgique est facultatif ; il ne peut être réglé que par la loi, et seulement pour les actes de l’autorité publique et pour les affaires judiciaires ». C’est toutefois « peu dire que cette disposition ne traduisait pas la volonté d’assurer une position équivalente au français et au néerlandais dans l’État ». Il fallait plutôt y voir « le souci de garantir la liberté et l’égalité linguistiques dans les relations personnelles tout en réservant le français à 67 E. WITTE, « La question linguistique en Belgique dans une perspective historique », Pouvoirs, no 136, « La Belgique », janvier 2011, p. 37. 68 Sur le fait que, de leur côté, « les Wallons estimaient avoir un droit inaliénable de ne connaître que le français sans que cela entrave leur carrière administrative ni les empêche de revendiquer un contingent équivalent dans la fonction publique », voy. E. WITTE et J. CRAEYBECKX, op. cit., pp. 140-141. 69 A. MOLITOR, « La première phase des nouvelles réformes », A.P.T., 1988, p. 269. 115 ADMINISTRATION PUBLIQUE la sphère publique, en réaction à la politique des Hollandais »70. En outre, l’article 30 a été interprété comme pouvant bénéficier également aux fonctionnaires publics, et non exclusivement aux particuliers, ce qui revenait à garantir, de fait, aux fonctionnaires publics appartenant à l’élite francophone le droit constitutionnellement protégé d’être unilingues. Or, « lorsque non seulement le citoyen, mais aussi le fonctionnaire public peuvent invoquer à leur profit la liberté dans l’emploi des langues, le citoyen qui entre en relation avec l’autorité aura toujours le dessous »71 ; il aura seulement le droit de s’exprimer dans sa langue sans pour autant avoir le droit d’être compris72. Cet unilinguisme officiel français des débuts de l’État belge couvrira les quarante premières années de son existence73. 18. Les Flamands, qui pouvaient légitimement soutenir que, « dans un contexte de discrimination sociale, la liberté dans l’emploi des langues aggravait les disparités »74, devront donc lutter encore pour obtenir des lois spécifiques permettant de préserver plus collectivement leurs droits linguistiques. C’est seulement avec la loi de 1873 réglant l’emploi du flamand en matière répressive que « la courbe de l’histoire commencera à s’infléchir lentement (…) vers l’égalité de statut du néerlandais »75. Faut-il le dire, ce n’est que le 4 juin 1959 que la Chambre approuvera le texte néerlandais de la Constitution, rédigée exclusivement en français en 183176. Le néerlandais mettra en réalité plusieurs décennies avant de pouvoir s’introduire dans tous les secteurs clés que peuvent être l’armée, les institutions judiciaires, l’administration et l’enseignement77. 70 B. DEJEMEPPE, « Mise en perspective historique et grandes orientations de la loi du 15 juin 1935 concernant l’emploi des langues en matière judiciaire », in X, La langue du procès, Anvers, Intersentia, 2011, p. 2. 71 J. CLÉMENT, « L’emploi des langues en matière administrative, les facilités et la résolution Nabholz du Conseil de l’Europe – Pas de langue, pas de liberté ? », A.P.T., 2003, livr. 3-4, p. 191. Voy. aussi A. MAST, « De grondwetsherziening van 1980 », R.W., 1981-1982, p. 1106, qui évoque la naissance d’un État unitaire « waarvan het Frans, onder de vlag van de vrijheid, in feite, de officiële taal was ». 72 N. BONBLED et S. WEERTS, « La liberté linguistique », in M. VERDUSSEN et N. BONBLED (dir.), Les droits constitutionnels en Belgique – Les enseignements jurisprudentiels de la Cour constitutionnelle, du Conseil d’État et de la Cour de cassation, vol. 2, Bruxelles, Bruylant, 2011, p. 1107. 73 Ibidem, p. 1105. 74 L. DOMENICHELLI, Constitution et régime linguistique en Belgique et au Canada, Bruxelles, Bruylant, 1999, p. 27. 75 N. BONBLED et S. WEERTS, op. cit., p. 1105. 76 Elle n’aura force de loi dans les deux langues qu’en 1967, une fois adopté l’article 140 de la Constitution (M.B., 3 mai 1967), devenu l’article 189. Voy., à ce propos, P. DE STEXHE, La révision de la Constitution belge 1968-1971, Bruxelles, Larcier, Namur, Société d’études morales, sociales et juridiques, 1972, pp. 335-337. Le Code civil a obtenu force de loi dans les deux langues en 1961. Le Code pénal ne sera traduit qu’en 1963. 77 À propos de la législation linguistique en matière d’enseignement, non abordée dans le cadre du présent mémoire, il est permis de renvoyer à l’étude de 116 Chapitre 3 – Les lois linguistiques de 1921 et 1932 19. La première série de lois linguistiques obtenue à la fin du XIXe siècle a simplement pour vocation de faire reconnaître le néerlandais à côté du français dans les domaines de la justice pénale, de l’administration et de l’enseignement officiel secondaire, et ce uniquement en Flandre, qui devient donc bilingue, tandis que la Wallonie demeure unilingue et rétive à toute perspective de connaissance du néerlandais dans l’exercice des charges publiques78. Il a été précisé que le jour où, enfin, les administrations seraient flamandes, les Flamands seraient les premiers à demander que la liberté des citoyens soit respectée et que ceux qui désireraient employer le français dans leurs rapports avec l’administration voient leurs droits garantis79. L’état d’esprit est alors à la protection des droits linguistiques de chacun, où qu’il se trouve en Belgique, sans exclure qu’il soit « fait montre d’indulgence »80 à l’égard des particuliers d’expression française en Flandre81. C’est d’un pays bilingue partout que rêvent les Flamands dits « minimalistes »82, « loyaux envers la Belgique unitaire »83. Ce rêve n’est pas partagé par les francophones. 20. Dans ce contexte, la loi du 31 juillet 1921 établit un statut linguistique en matière administrative, dont le gouvernement exposera plus tard qu’il présente lacunes et imperfections84. Y. HOUYET, « La législation linguistique régissant la matière de l’enseignement dans le contexte constitutionnel fédéral belge », R.B.D.C., 2002/4, pp. 379-423. Il faut savoir, néanmoins, que la néerlandisation de l’enseignement moyen, technique et universitaire est devenue un enjeu crucial du flamingantisme de la fin du e XIX siècle (E. WITTE et J. CRAEYBECKX, op. cit., p. 137). On signalera également que la restauration de la liberté du chef de famille d’inscrire son enfant dans une école de l’une des dix-neuf communes sans que l’inspection ne vérifie la conformité de ce choix avec la langue maternelle ou usuelle de l’enfant, constituera un élément dans la négociation d’une solution globale pour la réforme de l’État de 1970 et pour la création consécutive de l’agglomération bruxelloise (P. WIGNY, op. cit., p. 194, pp. 214-215). Voy. infra, deuxième partie, titre 3. 78 A. ALEN et K. MUYLLE, Handboek van het Belgisch staatsrecht, Malines, Kluwer, 2011, pp. 304-305. 79 J. CLEMENT, op. cit., p. 192, et les références citées. 80 Ibidem, p. 192. 81 Voy. A. MÉAN, op. cit., p. 28 : « Il n’y a donc pas, à l’origine du mouvement flamand, de sentiment anti-belge. Les Flamands demandent simplement que leur langue soit placée, en Flandre, sur pied d’égalité avec le français ». 82 Par opposition aux « activistes » qui, par opportunisme, se sont engagés auprès des Allemands, et aux « frontistes », « ainsi appelés parce qu’ils combattaient sur le front de l’Yser (et qui) se rendirent populaires en prêchant la révolte contre les officiers de l’armée belge qui continuaient à donner leurs ordres en français aux soldats flamands » (A. MÉAN, op. cit., pp. 38-40 ; voy. aussi M. LEROY, De la Belgique unitaire à l’État fédéral, Bruxelles, Bruylant, 1996, p. 20). « Heureusement pour le mouvement flamand, tous les flamingants n’avaient pas collaboré avec les Allemands. Le groupe qui refusa de collaborer avec l’occupant et qui ne souhaitait pas subordonner les intérêts flamands à l’Allemagne était même numériquement plus important (…). L’action de ceux-ci au sein du gouvernement et des partis (…) fit en sorte que l’establishment patriotique fransquillon ne put, après 1918, discréditer l’ensemble du mouvement flamand » (E. WITTE et J. CRAEYBECKX, op. cit., p. 147). 83 P. WYNANTS, op. cit., p. 1009. 84 Projet de loi relatif à l’emploi des langues en matière administrative, exposé des motifs, Doc. parl., Ch., sess. 1930-1931, no 197, p. 1. ADMINISTRATION PUBLIQUE Dans les administrations centrales, comme dans celles de la province de Brabant et de l’agglomération bruxelloise, la connaissance élémentaire du néerlandais est désormais exigée dans le chef des agents francophones. Les avis des administrations de l’État et des provinces doivent être rédigés dans les deux langues. Au niveau local, la loi de 1921 introduit le principe de territorialité linguistique, les droits linguistiques des particuliers étant légalement liés au choix, par l’administration locale, de la langue de ses services, permettant ainsi le maintien d’une Wallonie unilingue et d’une Flandre où les autorités acceptent de communiquer en néerlandais. 21. Qu’en est-il de Bruxelles ? « Bruxelles était une ville flamande à l’origine. Avec le temps, elle est devenue une ville francophone. Mais la géographie, elle, n’a pas changé – Bruxelles n’a pas changé de place ! Elle est devenue francophone à cause de la primauté accordée au français, la seule langue officielle en Belgique pendant longtemps. Bruxelles est donc devenue francophone de fait. Parce que le français était la langue officielle et parce que, plus tard, les lois linguistiques ne seront pas toujours appliquées de façon très correcte par certaines communes bruxelloises »85. En outre, « les Bruxellois d’expression néerlandaise n’étaient pas pour autant des flamingants. Lors des élections, ils portaient leur voix sur des candidats connus des différents partis, qui n’étaient que rarement favorables à la cause flamande. Dans les écoles, les administrations communales menaient une véritable politique de francisation. (…) Il est exact, d’autre part, que les Flamands – indépendamment de la pression économique et sociale – n’étaient pas convaincus de l’importance de leur propre langue et de leur propre culture »86. 22. À la veille de la mise en œuvre de la loi de 1921, la ville de Bruxelles, comme telle, vient de s’étendre aux communes flamandes de Laeken, Haren et Neder-over-Heembeek. Avec la loi de 1921, l’agglomération bruxelloise compte dix-sept communes, dont deux flamandes, celles de Woluwe-Saint-Pierre et de Woluwe-Saint-Étienne. Ce nombre peut encore être revu par arrêté royal, en fonction du résultat du recensement décennal87, et du « choix » consécutif éventuel du conseil communal concerné de changer de rôle 85 X. MABILLE, « La crise des cent jours », propos recueillis par P. BOUILLON, in Chronique de la Belgique – Du néolithique à l’époque contemporaine, Paris, éd. Chronique, 2012, pp. 427-428. 86 E. WITTE et J. CRAEYBECKX, op. cit., pp. 192-193. 87 Qui a lieu depuis 1889. linguistique pour ses services intérieurs et pour sa correspondance administrative88, 89. Sous le bénéfice de cette faculté, l’agglomération bruxelloise est donc gratifiée d’un statut où le français conserve en pratique un rôle dominant et peut donner lieu à changement de langue dans le chef de l’administration, entérinant ainsi une francisation de la région. 23. La loi du 28 juin 1932 relative à l’emploi des langues en matière administrative90 sédimente le principe de territorialité en posant le principe de l’emploi, par l’administration, de la langue de la région. Elle instaure le bilinguisme des administrations locales à Bruxelles91. En vue de l’application de la loi, il est prévu que l’agglomération bruxelloise comprend les seize communes d’Anderlecht, Auderghem, Bruxelles, Etterbeek, Forest, Ixelles, Jette-SaintPierre, Koekelberg, Molenbeek-Saint-Jean, SaintGilles, Saint-Josse-ten-Noode, Schaerbeek, Uccle, Watermael-Boitsfort, Woluwe-Saint-Lambert et Woluwe-Saint-Pierre92. Cependant, une fois encore, le recensement décennal peut avoir pour conséquence de faire changer le statut linguistique des autorités locales en fonction de la langue de la majorité ainsi décelée. La loi lie désormais directement l’octroi de droits linguistiques aux particuliers au volet linguistique du questionnaire à compléter à l’occasion du recensement décennal – et non plus au choix de l’administration en fonction du résultat de ce recensement. Conséquence, en 1954, l’agglomération bruxelloise s’étend aux communes de Berchem-SainteAgathe, Evere et Ganshoren – encore que celles-ci auraient dû légalement passer sous statut intégralement francophone93 –, en correspondance, 88 À ce sujet, voy. R. DE GROOF, op. cit., in E. WITTE, A. ALEN, H. DUMONT, P. VANDERNOOT et R. DE GROOF (réd.), De Brusselse negentien gemeenten en het Brussels model / Les 19 communes bruxelloises et le modèle bruxellois, op. cit., p. 54. 89 « Hieruit besluiten wij dat in het Brusselse de taalvrijheid van het individu aan de gemeentelijke autonomie werd ondergeschikt gemaakt » (L. SIEBEN, « De Brusselse problematiek tijdens het interbellum – Een schets aan de hand van de taalwetgeving », in X, Le problème de Bruxelles depuis Val-Duchesse (1963), t. 1, Bruxelles, VUB Press, 1989, p. 34). 90 M.B., 29 juin 1932. 91 Pour une comparaison entre le régime de 1921 et celui de 1932, voy., par exemple, L. SIEBEN, op. cit., p. 37. 92 Woluwe-Saint-Étienne n’en fait plus partie, étant francophone à moins de 30 %. 93 Voy. A. MÉAN, op. cit., p. 63, où sont reproduits les propos du ministre de l’Intérieur de l’époque, Pierre VERMEYLEN : « La loi prescrivait à l’époque, explique M. Vermeylen, que la langue de la commune devait être exclusivement le français ou le néerlandais si plus de cinquante pour cent de la population déclaraient parler la première ou la seconde de ces langues. Un certain bilinguisme externe n’était prévu que si la minorité linguistique de la commune atteignait trente pour cent. Or le recensement de 1947 avait révélé que, dans trois communes du Brabant flamand – Ganshoren, Evere et Berchem-Saint-Agathe –, les francophones avaient dépassé la barre des cinquante pour cent. Toute l’administration flamande de ces communes aurait donc dû être remplacée par une administration exclusivement francophone… 117 ADMINISTRATION PUBLIQUE finalement, avec les communes membres de la Conférence des bourgmestres de l’agglomération bruxelloise. Par peur des réactions dans le mouvement flamand, pour qui la francisation emporte l’expansionnisme et l’expansion emporte à son tour la francisation94, le gouvernement retarde jusqu’en 1954 la publication des résultats du recensement de 194795, 96. À partir de cette date, le mouvement flamand s’oppose radicalement au principe d’une frontière évolutive et réclame la fin du volet linguistique du recensement. Ce sera chose faite avec le vote de la loi du 24 juillet 196197, dont l’article 3 prévoit que « par dérogation aux dispositions de la loi du 28 juin 1932 sur l’emploi des langues en matière administrative, le recensement général de la population de 1961 ne comporte aucune question relative à l’emploi des langues ; les effets du recensement linguistique, effectué le 31 décembre 1947, sont prorogés jusqu’à ce qu’une loi y mette fin ». Chapitre 4 – Les lois linguistiques de 1962-1963 24. L’expression « frontière linguistique » est employée pour la première fois à l’occasion de l’adoption de la loi du 8 novembre 1962 modifiant les limites des provinces, arrondissements et communes98, avec l’accueil froid de la section de législation du Conseil d’État, qui y voit l’instauration d’une division non prévue par la Constitution99. Cette loi se donne pour objet de stabiliser les limites des régions linguistiques par une adaptation des limites des ressorts administratifs à celles des régions linguistiques, en prenant comme point C’est pourquoi j’ai proposé au Parlement de rattacher ces trois communes à l’agglomération bruxelloise afin de leur appliquer un régime bilingue (…). Et voilà comment l’agglomération bruxelloise est passée de seize à dix-neuf communes ». 94 Voy. not. L. SIEBEN, op. cit., p. 39. 95 Dont le résultat continue d’être contesté. Voy. par exemple une proposition de loi spéciale visant à fixer définitivement la frontière entre la Flandre et la Wallonie, déposée le 24 novembre 2008 par des sénateurs issus du Vlaams Belang (Doc. parl., sess. 2008-2009, no 4-1018/1) : « Le recensement linguistique de 1947 a eu lieu deux ans après la fin de la Deuxième Guerre mondiale, à un moment où l’establishment belge avait réussi à stigmatiser le mouvement flamand. En de nombreux endroits, les autorités locales ont exercé des pressions illicites sur la population. Beaucoup de citoyens se sont crus obligés, par crainte de représailles ou poussés par un “patriotisme” déplacé, de renier leur identité flamande. Les résultats de ce recensement ont dès lors donné une image faussée de la réalité ». 96 Voy., à propos du recensement de 1947, M. DE MESTENAERE, « De talentelling van 1947 », in X, Le problème de Bruxelles depuis Val Duchesse (1963), t. 1, Bruxelles, VUB Press, 1989, pp. 175 et s. 97 M.B., 1er août 1961. 98 Et modifiant la loi du 28 juin 1932 sur l’emploi des langues en matière administrative et la loi du 14 juillet 1932 concernant le régime linguistique de l’enseignement primaire et de l’enseignement moyen (M.B., 22 novembre 1962). Elle sera coordonnée avec la loi du 8 novembre 1962 par arrêté royal du 18 juillet 1966 portant coordination des lois sur l’emploi des langues en matière administrative (M.B., 2 août 1966). 99 Avis joint au projet de loi, Doc. parl., Ch., sess. 1961-1962, no 194/1, p. 5. 118 de départ les conclusions adoptées par le Centre Harmel100. En revanche, elle ne concerne pas le régime de l’agglomération bruxelloise et des communes de la périphérie, pas plus que la région de langue allemande. S’agissant de la seule frontière linguistique néerlandaise-française, la référence aux résultats des recensements décennaux est supprimée au bénéfice du maintien ou de l’introduction d’un régime de facilités. Ainsi vient le temps de l’unilinguisme de droit des régions et de l’instauration d’une frontière linguistique fixe. 25. Pour Bruxelles et la périphérie, la solution sera apportée par la loi du 2 août 1963 sur l’emploi des langues en matière administrative101, qui se veut « une loi de principe qui doit être appliquée avec bonne volonté et le désir de ne pas en énerver l’économie par des interprétations restrictives »102. L’acquis, en 1954, des trois communes issues du Brabant flamand (Evere, Ganshoren et BerchemSainte-Agathe) est préservé, mais l’extension est arrêtée : « Au sud de la région de langue néerlandaise, l’agglomération bruxelloise forme avec ses dix-neuf communes, dont la capitale, une région qui, en raison de la composition de sa population et du rôle qu’elle doit jouer dans le pays, est destinée à être bilingue. Dans l’économie du projet le régime linguistique dont l’administration est dotée n’est pas susceptible d’être étendu aux communes limitrophes »103, 104. Seules six communes de la périphérie105 sont dotées d’un statut distinct, sur la base d’un compromis dégagé au cours d’un « conclave » à ValDuchesse, accord qui comporte l’obtention de facilités administratives pour les francophones de ces communes, ainsi qu’un enseignement maternel et primaire disponible en français106. 26. On le voit, le gouvernement de l’époque perçoit dans « la réglementation équitable de l’emploi des langues en matière administrative dans l’agglomération bruxelloise », un problème « essentiel » qui ne se limite pas à respecter la population qui y vit : « en tant que capitale et siège des administrations centrales, Bruxelles doit être 100 Projet de loi, exposé des motifs, Doc. parl., Ch., sess. 1961-1962, no 194/1, p. 1. Voy. aussi supra, note 38. 101 M.B., 22 août 1963. 102 Projet de loi, exposé des motifs, Doc. parl., sess. 1961-1962, no 331/1, p. 2. 103 Ibidem, p. 3. 104 Nous soulignons. 105 Kraainem, Wezembeek-Oppem, Rhode-Saint-Genèse, Linkebeek, Drogenbos et Wemmel. 106 Sur la vision distincte à propos de ces mesures – destinées à faciliter l’adaptation des francophones en milieu flamand ou, au contraire, incitants à revendiquer plus de droits, par exemple, un statut identique aux Flamands de la capitale – voy. E. WITTE et J. CRAEYBECKX, op. cit., pp. 425-426. ADMINISTRATION PUBLIQUE le trait de liaison entre la Wallonie et la Flandre, ouverte à la fois aux deux cultures nationales. Elle ne pourra conserver cette position privilégiée que si elle est disposée à faire l’effort voulu pour que les deux communautés linguistiques puissent y vivre en harmonie et sur un pied d’égalité parfaite »107. Il n’en demeure pas moins que c’est une loi ordinaire à finalité purement linguistique qui fixe les contours géographiques de Bruxelles108, sans qu’il soit tenu compte de considérations économiques, sociales ou culturelles qui auraient pourtant pu donner au territoire bruxellois « les dimensions qui permettent l’élaboration de politiques cohérentes, rationnelles et équilibrées »109. Même d’un point de vue purement linguistique, il est question, sans doute davantage dans les milieux francophones, d’un découpage « arbitraire »110, qui ne s’entend pas en fonction de la langue usitée en fait, mais en fonction de celle qui doit être utilisée en droit111. Les lois de 1962-1963 contrarient singulièrement les francophones de Bruxelles, dans la mesure où elles sont contraignantes et les enserrent dans un « carcan »112 géographique. « En réalité, ces dispositions vont approfondir le fossé entre le Nord et le Sud »113. Elles expliquent la naissance, en 1964, du FDF, à l’époque Front démocratique des Bruxellois francophones114 et contribuent à créer « un début d’attachement à une région bruxelloise spécifique puisque, jusqu’alors, vu son rôle de capitale, Bruxelles s’était surtout identifiée à l’État belge »115. TITRE 4 – PREMIÈRE CONCLUSION – UN TERRITOIRE 27. La naissance de l’agglomération bruxelloise au sens des lois sur l’emploi des langues en matière administrative, qui consolide le développement factuel de la ville de Bruxelles en une entité administrative, est donc le résultat d’une lente et longue évolution116. Spontanément portée à seize communes, légalement portée à dix-neuf à la suite du recensement 107 Projet de loi, exposé des motifs, Doc. parl., sess. 1961-1962, no 331/1, p. 5. 108 F. DELPÉRÉE, F.-X. DUBOIS et C. FRÉMAULT-DE CRAYENCOUR, op. cit., p. 262. 109 Ibidem., p. 264. 110 M.-Fr. RIGAUX, op. cit., p. 18, note de bas de page 1. 111 En ce sens, à propos des régions linguistiques consacrées constitutionnellement en 1970 par l’adoption de l’article 3bis devenu l’article 4 de la Constitution, voy. F. GOSSELIN, L’emploi des langues en matière administrative, Bruxelles, Kluwer, 2003, p. 16, et les références citées. 112 Slogan du FDF (E. WITTE et J. CRAEYBECKX, op. cit., p. 437). 113 P. WYNANTS, op. cit., p. 1011. 114 Aujourd’hui Fédéralistes démocrates francophones (depuis le 24 janvier 2010). 115 A. MÉAN, op. cit., p. 74. 116 R. DE GROOF, op. cit., p. 7. de 1947, son extension est arrêtée par l’effet de la loi du 2 août 1963 sur l’emploi des langues en matière administrative, sur la base de considérations d’ordre purement linguistique, reposant sur des préoccupations communautaires : il s’agit, très clairement, d’enrayer la francisation du trait de liaison entre la Wallonie et la Flandre ou, mieux encore, d’éviter que ce trait ne s’épaississe et vienne empiéter sur le territoire linguistiquement homogène en droit de la Flandre. La question linguistique est à l’origine du problème bruxellois, comme de beaucoup d’autres problèmes en Belgique. « Après une phase purement linguistique, le problème déborde rapidement pour toucher à tous les aspects de la vie de la collectivité. L’arrière-fond linguistique doit donc toujours être présent à l’esprit, d’autant plus que la résurgence du problème du statut de Bruxelles correspond avec la préparation et la publication des arrêtés d’exécution des lois linguistiques (de 1962-1963) »117. Bruxelles s’attire en réalité les récriminations de toutes parts. Les Flamands se plaignent d’une représentation insuffisante dans les organes et administrations des communes de l’agglomération, ainsi que d’une discrimination de fait dans les divers domaines de l’activité culturelle, économique ou sociale, et craignent subir cette situation davantage encore à mesure de la francisation croissante de la région centrale du pays118. D’autre part, Bruxelles, siège de toutes les institutions publiques et privées importantes, suscite la frustration des provinciaux, Wallons compris, qui ont soif de décentralisation. L’analyse des « mille et une causes, vraies ou fausses » de ces griefs en tous sens, constitue « un immense sujet de dissertation et d’analyse dont l’examen se poursuivra longtemps encore »119. À la veille de la première réforme de l’État de 1970, l’enjeu communautaire que représente la région centrale du pays, appelée, déjà, « BruxellesCapitale »120, est donc déjà bien vivace, et sa prise en compte a déjà conduit les autorités nationales à 117 X, « Les projets de statut pour Bruxelles », C.H. CRISP, no 343-344 du 9 décembre 1966. 118 En ce sens, voy. P. DE STEXHE, op. cit., p. 309. 119 Ibidem, p. 310. 120 Voy. les articles 2 et 6 des lois sur l’emploi des langues en matière administrative, coordonnées le 18 juillet 1966 : « Art. 2. Le pays comprend quatre régions linguistiques : la région de langue néerlandaise, la région de langue française, la région de langue allemande et Bruxelles-Capitale. (…) Art. 6. Il est constitué un arrondissement administratif dénommé “BruxellesCapitale” comprenant les communes de : Anderlecht, Auderghem, BerchemSainte-Agathe, Bruxelles, Etterbeek, Evere, Forest, Ganshoren, Ixelles, Jette, Koekelberg, Molenbeek-Saint-Jean, Saint-Gilles, Saint-Josse-ten-Noode, Schaerbeek, Uccle, Watermael-Boitsfort, Woluwe-Saint-Lambert et WoluweSaint-Pierre. Cet arrondissement administratif a Bruxelles comme chef-lieu ». 119 ADMINISTRATION PUBLIQUE ne lui attribuer qu’une aire territoriale limitée aux dix-neuf communes. Il reste à vérifier si ce territoire restera inchangé par la suite, de quelle manière il se verra doter d’institutions propres, et quelles seront les attributions de celles-ci. DEUXIÈME PARTIE – BRUXELLES ET LA PREMIÈRE RÉFORME DE L’ÉTAT (1970)121 TITRE 1ER – LES PERSPECTIVES AU 18 FÉVRIER 1970 Chapitre 1er – Le contexte 28. Avant la communication faite par le premier ministre Gaston Eyskens à la Chambre le 18 février 1970122, il n’avait jamais été officiellement question d’inscrire une quelconque organisation régionale dans la Constitution123. Certes, le gouvernement envisage déjà de mettre en œuvre une importante décentralisation économique, notamment au travers de la création de sociétés de développement régional. C’est là le deuxième volet de son programme, dont le premier est axé sur la révision de la Constitution destinée à concrétiser l’autonomie culturelle réclamée par la partie flamande du pays. La réforme « n’a pas pour objectif d’instaurer le fédéralisme, terme qui fait encore peur à beaucoup, mais d’édifier, dans une logique somme toute néo-unitariste, une Belgique communautaire et régionale »124. Les politiques n’envisagent donc que les voies et structures administratives traditionnelles de la déconcentration et de la décentralisation pour faire tendre le système belge vers plus d’autonomie dans le domaine économique comme dans le domaine culturel125. Le choix des mesures est toutefois différent en fonction de la nature des problèmes, la déconcentration et la décentralisation étant abordées différemment selon qu’il s’agisse des matières 121 On parle de la première réforme de l’État, mais il s’agit en revanche de la troisième révision de la Constitution belge, les deux premières ayant eu lieu en 1892-1893 et en 1919-1921 pour introduire, en deux étapes, le suffrage universel. P. WIGNY a d’ailleurs intitulé son ouvrage sur la première réforme de l’État La troisième révision de la Constitution (Bruxelles, Bruylant, 1972). 122 Ann. parl., Ch., no 41, séance du mercredi 18 février 1970. 123 La création de régions en Belgique, projet de texte d’un article 107ter nouveau de la Constitution, rapport fait au nom de la commission de la révision de la Constitution par M. Calewaert, Doc. parl., Sén., sess. 1969-1970, no 458, p. 1. 124 P. WYNANTS, op. cit., p. 1013. 125 Voy. la synthèse des travaux du groupe de travail, établie le 24 octobre 1963, annexe A, au projet de déclaration relatif à la révision de la Constitution, Doc. parl., Ch., sess. 1964-1965, no 993/1, p. 4 : « Les deux communautés désirent que les pouvoirs législatif et exécutif, renonçant à une centralisation qu’elles jugent excessives, accordent aux institutions décentralisées ainsi qu’aux organes déconcentrés une plus grande liberté de décision et de gestion, spécialement dans les domaines culturel et économique ». 120 culturelles, d’une part, des matières économiques et sociales, d’autre part126. S’il avait été ainsi facilement et unanimement admis, par le « groupe de travail » réuni en 1962 par le premier ministre Théo Lefèvre, « qu’en matière culturelle, la création d’institutions régionales propres à chacune des communautés se justifie par la dualité linguistique et culturelle » et que devraient être créés rapidement un Conseil culturel pour la Flandre et un Conseil culturel pour la Wallonie, les opinions s’étaient avérées bien plus diverses s’agissant des matières économiques et sociales127. Il importait néanmoins « de procéder à une large décentralisation, permettant de gérer et de régler dans le cadre régional tout ce qui est d’intérêt régional, sans mettre en péril l’intérêt général de la nation »128. 29. Le concept de région s’inscrit donc, à l’origine, dans la seule perspective d’une réforme destinée à répondre aux problèmes relatifs à la décentralisation et à la déconcentration, les uns préférant l’usage des institutions existantes, dans le cadre des ressorts territoriaux existants – provinces et communes – les autres favorisant, pour des matières relevant essentiellement de la politique économique, l’utilisation des provinces ou la constitution de régions, pourvues seulement d’un pouvoir réglementaire129. Toutes les conceptions défendues comportent en tout cas un dénominateur commun : il s’agit de transférer des compétences dans les matières administratives et socioéconomiques de l’autorité centrale aux composantes – existantes ou à créer – du Royaume130. L’accroissement d’une autonomie dans la gestion des intérêts régionaux, à travers une décharge des institutions centrales de tous les problèmes qui peuvent être réglés à d’autres niveaux, ne requerraient pas, selon les premières opinions, de révision de la Constitution131. Quoi qu’il en soit, « il n’est pas question de régions ni dans la liste des dispositions constitutionnelles susceptibles d’être révisées, ni dans la déclaration de 1965, ni dans celle de 1968, étant 126 Doc. parl., Ch., sess. 1964-1965, no 993/1, p. 11. Ibidem, pp. 11-12. 128 Ibidem, p. 5. 129 Ibidem, p. 19. Toutefois, l’étude de la suggestion consistant à décentraliser vers des régions « ne fut pas poussée » (P. DE STEXHE, op. cit., p. 173). 130 Voy. R. SENELLE, Commentaar op de Belgische Grondwet, Bruxelles, ministère des Affaires étrangères, 1974, p. 380 : « Onder verschillende, rechtsterminologisch niet altijd juiste benamingen, zoals decentralisatie, regionalisatie en federalisatie, vertoont die beweging sterk variërende aspecten, die echter alle onder een gemeenschappelijke noemer en doelstelling te brengen zijn : de overdracht van sociaaleconomische en administratieve bevoegdheden van het centraal gezag naar de componenten van het Rijk ». 131 Voy. les propos du premier ministre Théo Lefèvre, relayés dans l’exposé des motifs du projet de déclaration de révision de la Constitution, Doc. parl., Ch., sess. 1964-1965, no 993/1, p. 3. 127 ADMINISTRATION PUBLIQUE donné qu’il avait été admis que la décentralisation économique pouvait être réalisée par des lois ordinaires »132. 30. Lorsqu’il a voté ces déclarations, le préconstituant « ne soupçonnait pas l’ampleur des réformes qui allaient en naître »133. Ceci étant, « le gouvernement savait bien qu’il devait aller assez loin dans le sens d’une décentralisation régionale pour prévenir de cette façon une solution fédéraliste ou, pire encore, autonomiste du problème communautaire. La régionalisation à trois plutôt que le fédéralisme à deux, bien qu’il fût absurde aux yeux de nombreux Flamands que la capitale devienne une région à part »134. En effet, Wallons et Bruxellois, outre qu’ils n’ont pas la conviction d’appartenir réellement à la même communauté politique, craignent que la création des communautés culturelles marque le pas vers le fédéralisme à deux, sans tenir compte de l’agglomération bruxelloise et de la réalité de la région wallonne. Les Flamands, de leur côté, ne veulent reconnaître que leur communauté, Flamands de Bruxelles inclus : la création de la région bruxelloise risque des les couper de leurs pairs135. 31. C’est dans ce contexte qu’est déposé, le 22 octobre 1968, un projet de loi-cadre portant organisation de la planification et de la décentralisation économique, autrement appelé « projet 125 »136, 137. Fondée sur la volonté de réagir aux distorsions existantes dans le développement des différentes régions du pays, cette législation en projet repose sur la conception de divers instruments de politique économique destinés à éclairer l’État, dont le Plan et le Bureau du Plan. Tout en conservant à cette politique économique son caractère global et national, il est prévu d’associer plus étroitement « les régions » à l’action du gouvernement : sont visées alors la Flandre, la Wallonie et le Brabant138. Et le législateur d’instituer des Conseils économiques régionaux pour chacune de ces trois « régions », instances purement consultatives – composées de parlementaires et de représentants des milieux économiques et sociaux – appelées à 132 Rapport M. Calewaert, op. cit., Doc. parl., Sén., sess. 1969-1970, no 458, p. 8. 133 M. LEROY, op. cit., p. 40. E. WITTE et J. CRAEYBECKX, op. cit., p. 431. Voy. aussi A. DELCAMP, op. cit., p. 47. 135 F. PERIN, op. cit., pp. 211-212. 136 Appellation liée au numéro du projet de loi déposé à la Chambre (Doc. parl., sess. extr. 1968, no 125). 137 Pour les précédentes lois d’expansion régionale, qui tenaient, donc, déjà compte des régions pour réagir à la crise de 1958, voy. E. WITTE et J. CRAEYBECKX, op. cit., pp. 408-409. 138 Doc. parl., sess. extr. 1968, no 125/1, p. 4. 134 être complétées par les sociétés de développement régional. L’adoption de ce texte avance bien à la Chambre, mais est freinée par le blocage, au Sénat, des réformes constitutionnelles annoncées dans la déclaration de révision de la Constitution de 1965, reprise en grande partie avant la dissolution de 1968139. Chapitre 2 – L’idée 32. L’idée de prévoir, dans la Constitution, la création de régions – entendues au sens d’entités dotées d’une véritable compétence normative – germe à l’occasion des travaux d’un groupe de travail informel mis en place par le premier ministre Gaston Eyskens en 1969140, chargé de plancher sur « les problèmes communautaires », et dénommé le « groupe des 28 »141. « François Perin, au nom du FDF-RW142, expose la thèse la plus en pointe. Les conseils régionaux doivent être composés de parlementaires et Bruxelles doit avoir son propre conseil. La compétence de ces conseils peut être, selon lui, aussi bien de nature législative que réglementaire. À l’avenir, en tout cas, des décrets régionaux doivent pouvoir changer la loi nationale. Perin devine, cependant, que le fruit n’est pas encore mûr et propose simplement d’inscrire dans la Constitution la possibilité pour le législateur de transférer une partie de sa compétence normative aux régions. C’est le principe qui est fondamental. La réalisation concrète peut encore prendre quelque temps »143. Sur Bruxelles, néanmoins, aucun accord n’est dégagé144, pas même dans le cadre des travaux de la « Commission des vingt-quatre », réunie en novembre 1969, exclusivement autour de la problématique bruxelloise, qu’il s’agisse de délimiter la région bilingue de Bruxelles ou la région économique bruxelloise, ou encore de définir le statut des communes périphériques145. Le problème est que les Flamands excluent toute idée d’extension des limites de l’agglomé139 À ce sujet, voy. P. WIGNY, La troisième révision de la Constitution, Bruxelles, Bruylant, 1972, pp. 30-33. 140 Elle ne figurait pas dans la liste en 161 points annexée à la déclaration gouvernementale lue par le même Gaston Eyskens le 25 juin 1968 (Ann. parl., Ch., séance du mardi 25 juin 1968, Sén., séance du mardi 25 juin 1968). 141 Ce groupe a lui-même tenu compte « des travaux entrepris au sein du Centre d’études pour la réforme de l’État en 1936, des conclusions du Centre Harmel (1948-1953), du groupe de travail politique (1963), de la Conférence de la Table ronde (1964-1965) et de la commission Meyers-Vanderpoorten (1966-1968) » (X, « Bruxelles et la réforme des institutions », C.H. CRISP, no 613 du 14 septembre 1973, p. 2). 142 RW pour Rassemblement wallon. 143 A. MÉAN, op. cit., p. 127. Voy. aussi P. DE STEXHE, op. cit., p. 173. 144 Voy. P. DE STEXHE, op. cit., pp. 176-177. 145 P. WIGNY, op. cit., p. 35. Voy. aussi A. MÉAN, op. cit., p. 130. 121 ADMINISTRATION PUBLIQUE ration au-delà des dix-neuf communes. Un accord politique n’est trouvé qu’au sein du gouvernement lui-même, à la mi-février de l’année 1970 : en font partie, la création d’un organe de concertation entre l’agglomération de Bruxelles (dix-neuf communes) et les fédérations à créer autour de la capitale, de même que la parité linguistique au collège d’agglomération bruxellois146. 33. Le 18 février 1970, le premier ministre Gaston Eyskens propose donc à la Chambre d’amorcer les débats utiles pour apporter une solution globale aux problèmes communautaires. La réforme de la Constitution proposée contient de nombreux dispositifs majeurs pour l’avenir des institutions nationales, tels que le principe de la sonnette d’alarme, la parité linguistique au conseil des ministres et la création des groupes linguistiques à la Chambre et au Sénat. Le plan du gouvernement comporte précisément trente-cinq points, dont les dix-sept premiers appellent une révision constitutionnelle147 et, qui, en nombre, concernent directement Bruxelles. Ainsi, au chapitre des dispositions constitutionnelles concernant l’autonomie culturelle, il est prévu que la Belgique comprendra quatre régions linguistiques, dont les frontières ne pourront être modifiées que moyennant l’adoption d’une loi à majorité spéciale. Parmi ces quatre régions, la région bilingue de Bruxelles-Capitale s’étend sur le territoire des dix-neuf communes. Il est donc proposé de « constitutionnaliser le carcan »148. Ce sera chose faite avec l’adoption de l’article 3bis de la Constitution149. Aux côtés des trois communautés culturelles néerlandaise, française et allemande – les deux premières étant appelées à être dotées immédiatement du pouvoir d’adopter des décrets, actes de nature législative de force juridique égale à une loi – il est prévu, au titre des dispositions constitutionnelles relatives à l’organisation régionale, que le pays « comprendra » trois régions : la région flamande, la région wallonne et la « région bruxelloise »150. À cet égard, une loi, adoptée à la majorité spéciale151, attribuera aux organes régionaux qu’elle créera et qui seront composés de mandataires élus la compétence de « régler » les matières qu’elle détermine, « dans le ressort » et selon le mode qu’elle établira. Enfin, au chapitre provincial et local, il est annoncé qu’en vertu de la future Constitution révisée, la loi établira des agglomérations et fédérations de communes sur tout le territoire et qu’elle déterminera leurs limites. Ces associations de communes disposeront, comme leurs membres, d’une compétence fiscale en matière d’impôts et de redevances. Plus tard dans sa communication, Gaston Eyskens précisera que la loi qui, pour la première fois, fixera les limites des agglomérations, décidera que l’agglomération bruxelloise se compose des dix-neuf communes actuellement prévues par la législation. En miroir de la parité au niveau du conseil des ministres, une telle parité est prévue pour le collège de la future agglomération bruxelloise dans toutes ses attributions, alors pourtant que, dans le cadre des négociations, elle n’avait été envisagée que pour les matières culturelles et pour autant que l’agglomération soit suffisamment grande pour compter suffisamment d’habitants néerlandophones152. 34. Annonçant le contenu des lois à venir concernant l’autonomie culturelle, le premier ministre Eyskens, qui vient, donc, d’évoquer l’agglomération bruxelloise dans le chapitre constitutionnel relatif aux pouvoirs locaux, expose ce qui suit : « 21. Une loi, à adopter à une majorité spéciale, créera pour l’agglomération bruxelloise deux commissions culturelles, ayant pour mission de favoriser l’épanouissement des deux cultures dans l’agglomération et de mettre celle-ci en mesure de tenir son rôle de capitale, de métropole européenne et de grande ville internationale. Leur compétence s’étendra aux dix-neuf communes de la région bilingue de Bruxelles-Capitale. Leur composition, leurs attributions (en ce compris réglementaires) et leurs moyens financiers seront déterminés conformément à la déclaration gouvernementale et aux conclusions du groupe des vingt-huit ». 35. Revenant à l’organisation régionale, sous l’angle des lois à adopter, le premier ministre annonce le vote du « projet 125 », laissé en suspens 146 A. MÉAN, op. cit., pp. 132-133. Pour le comité de concertation, voy. l’article 57 de la loi du 26 juillet 1971 organisant les agglomérations et les fédérations de communes, M.B., 24 août 1971. Pour l’agglomération, voy. infra, chapitre 3, ainsi que le titre 3. 147 Ann. parl., Ch., no 41, séance du mercredi 18 février 1970, spéc. pp. 3 à 5. 148 A. MÉAN, op. cit., p. 146. 149 Adopté le 24 décembre 1970, devenu l’article 4 de la Constitution. 150 Voy. le point 6 du plan annoncé par Gaston Eyskens en néerlandais : « België omvat drie gewesten : het Vlaamse, het Waalse en het Brusselse gewest ». 151 Une telle loi doit, on le sait, être adoptée à la majorité des suffrages dans chaque groupe linguistique de chacune des Chambres, à la condition que la majorité des membres de chaque groupe linguistique se trouve réunie et pour autant que le total des votes positifs émis dans les deux groupes linguistiques atteigne les deux tiers des suffrages exprimés. 152 « À un membre qui a également parlé de la parité au sein de l’organe exécutif de l’agglomération bruxelloise, le ministre a répondu qu’il existe actuellement deux “écoles” : la première estime que c’est le pendant de ce qui est demandé au niveau national, la deuxième qu’il s’agit simplement d’une question de dignité nationale, à savoir que, dans la capitale d’un pays où l’on tend à une coexistence pacifique de deux communautés culturelles, il faut donner la preuve que ces deux communautés sont traitées sur un pied d’égalité » (révision de la Constitution, révision de l’article 126, article 108ter nouveau, rapport fait au nom de la commission de révision de la Constitution par M. LINDEMANS, Doc. parl., Ch., sess. extr. 1968, no 10-33/1, p. 22. Voy. aussi pp. 33, 37, 38). Chapitre 3 – Le discours 122 ADMINISTRATION PUBLIQUE au Sénat, ceci n’excluant pas que des délégations nouvelles puissent être opérées ultérieurement au profit des organes mis en place en vertu de ce projet, ou au profit, par exemple, des provinces. Quant à la loi spéciale qui créera les régions wallonne, flamande et bruxelloise, annonce-t-il, elle mettra en place des organes composés de mandataires politiques élus. Elle fixera également les limites des régions, après que le ressort géographique des sociétés de développement régional aura été fixé, en application de la future loi-cadre de décentralisation économique. En recul par rapport à l’idée de François Perin, mais conformément à l’option retenue par le groupe des vinft-huit, la loi spéciale à venir, est-il indiqué, ne confiera à ces organes régionaux élus que des compétences réglementaires, et non normatives, dans certaines matières retenues comme étant susceptibles de décentralisation par le groupe des vingt-huit. La même loi spéciale leur attribuera des dotations annuelles ou des ristournes du produit de certains impôts de l’État. 36. Le programme est dense. Fixation de la frontière linguistique, autonomie culturelle pour les Flamands et les francophones, perspectives de régionalisation, rationalisation des pouvoirs locaux au travers de la création d’agglomérations et de fédérations de communes. Pour Bruxelles, qui n’est pas une communauté culturelle en soi, c’est le projet d’agglomération qui est le plus précis, au chapitre local. Son ressort est déjà annoncé : il n’excèdera pas les dix-neuf communes. Le gouvernement y mêle néanmoins des considérations communautaires, en prévoyant d’appliquer aux organes de cette future entité supracommunale des protections institutionnelles en faveur de la minorité flamande. Chaque communauté culturelle à créer au terme de la réforme annoncée est également appelée à y faire valoir, au travers des futures commissions culturelles, non seulement ses intérêts propres dans les matières préscolaire, scolaire, parascolaire et culturelle, mais aussi l’intérêt commun, consistant à mettre l’agglomération en mesure de tenir son rôle de capitale, de métropole européenne et de grande ville internationale… Au travers de la déclaration de Gaston Eyskens sur les commissions culturelles, c’est donc l’agglomération tout entière, soit les dix-neuf communes qui la composent, et non plus la seule ville de Bruxelles, qui se destine au rôle majeur qui vient d’être décrit. Même si, formellement, la ville de Bruxelles restera la seule capitale du pays, le glissement annoncé ici se concrétisera tant dans les attribu- tions de la future agglomération bruxelloise que lorsque, enfin, la Région bruxelloise sera créée153. Ce dernier volet de la proposition exposée par Gaston Eyskens ne sera cependant pas réalisé immédiatement, loin s’en faut. TITRE 2 – LA VIRTUELLE RÉGION Chapitre 1er – La pénible rédaction de l’article 107quater de la Constitution 37. L’exécution de l’accord rendu public le 18 février 1970 n’est, en effet, pas exempte de difficultés, et c’est là une litote. Certes, « les Chambres manifestent leur intérêt et le débat est relancé »154. Mais « les méfiances sont grandes parce que les partis n’interprètent pas de la même façon l’importance des réformes. Les Flamands veulent, en majorité, une autonomie culturelle accentuée pour leur région et une flamandisation suffisante de Bruxelles. Pour le surplus ils s’accommodent parfaitement d’un État unitaire, où les décisions sont prises à la majorité simple. À eux seuls, ils constituent cette majorité, et peuvent s’opposer à toute décision qui leur est défavorable. Les socialistes wallons sont en principe fédéralistes, mais se contentent d’une décentralisation économique, donnant aux organes régionaux une autonomie suffisante. Pour le parti social-chrétien, le budget national, et la politique régionale sera fortement influencée par la politique gouvernementale ; il exige une parité au gouvernement et une protection de la minorité dans les deux Chambres »155. Le compromis politique conclu en 1970 se désagrège littéralement156. 38. Dans le cadre des débats au Sénat à propos du futur article 107quater, appelé à consacrer l’existence des régions, le sort de Bruxelles est abordé par un membre de la Commission de révision de la Constitution en ces termes157 : « Bruxelles est une réalité et représente un million et demi de compatriotes. On ne peut organiser une décentralisation économique constitutionnelle sans reconnaître l’existence des régions réelles : la Wallonie, la Flandre et une région centrale. En matière d’autonomie culturelle, la compétence conjointe des conseils culturels français et néerlandais est prévue pour la capitale. Une solution identique serait inacceptable sur le plan économique ou socioéconomique ». 153 Voy. infra, quatrième partie, titre 4, chapitre 1er. P. WIGNY, op. cit., p. 36. 155 Ibidem, p. 37. 156 En ce sens, voy. Ph. DE BRUYCKER, « Bruxelles dans la réforme de l’État », op. cit., p. 55. 157 Rapport M. Calewaert, op. cit., p. 6. 154 123 ADMINISTRATION PUBLIQUE L’orateur met ainsi en exergue l’enjeu bruxellois. Carrefour des communautés culturelles flamande et française, pourquoi pas. Mais s’il s’agit d’autre chose, et en tout cas d’une décentralisation économique, la région centrale constitue un pôle à part entière qui peut exister à égalité avec la Wallonie et la Flandre. Il est réagi à cette réflexion en soulignant que le terme « régions » ne renvoie pas à une notion purement économique ou socioéconomique, mais recouvre les matières « autres que culturelles »158. La nuance ne paraît toutefois pas résister au constat de l’existence d’un pôle bruxellois qui, dans ces matières qui seraient « autres », pourrait se passer de l’intervention conjointe des communautés culturelles. Dans le même cénacle, au même moment, et bien à propos compte tenu de l’enjeu, un sénateur néerlandophone fait état de ce qu’un fédéralisme à trois n’est pas souhaitable, faisant ainsi part de ce qui est et sera l’éternelle crainte de la Flandre, soit celle d’une minorisation de la région flamande par rapport aux régions wallonne et bruxelloise, formant ensemble un bloc francophone qui serait trop puissant159. Du point de vue flamand, on ne peut, en effet, oublier que « Bruxelles reste le symbole d’une ville néerlandophone victime d’un mouvement de francisation »160. Le débat entre les tenants d’un fédéralisme à deux et ceux d’un fédéralisme à trois est donc vivifié. Il n’est, à ce jour, pas clôturé161. 39. L’exécution du programme annoncé par Gaston Eyskens n’est pas seulement délicate d’un point de vue politique, elle l’est aussi d’un point de vue technique. En effet, le Sénat se montre pointilleux. Il bloque sur l’adoption du futur article 107quater, compte tenu de l’absence de la notion de régions dans la déclaration de révision, laquelle n’ouvre à révision que l’article 108, dans une perspective de décentralisation et de déconcentration, et aux fins de fixer les pouvoirs du législateur en matière d’agglomérations et de fédérations de communes162. Le premier ministre doit une fois encore procéder à une clarification quant à l’objectif du gouvernement et lever la confusion qui règne tant par rapport à l’articulation entre les perspectives de régionalisation et le « projet 125 » que par rapport aux projets d’agglomération163 : 158 Ibidem, p. 6. Ibidem, pp. 7 et 8. 160 Ph. DE BRUYCKER, « Bruxelles dans la réforme de l’État », op. cit., p. 5 et la référence citée à l’historique dressé par H. Hasquin au Sénat, Ann. parl., 1er juillet 1988, p. 805. 161 Voy. infra, quatrième partie, titre 5. 162 Rapport M. Calewaert, op. cit., p. 13, notamment. Voy. aussi W. VAN ASSCHE, « De grondwetgever van 24 december 1970 en het dilemma preconstituante – volkswil », T.B.P., 1971, pp. 368-372. 163 Rapport M. Calewaert, op. cit., p. 13. 159 124 « Il ne s’agit pas ici de l’organisation économique régionale ni de la décentralisation. C’est ce qui résulte à l’évidence des travaux du Groupe des vingt-huit. Une énumération des matières a été donnée, à titre d’exemple. C’est ainsi que le rapport contient les mentions suivantes : — l’urbanisme, l’aménagement du territoire et la politique foncière ; — la politique d’expansion économique régionale et de l’emploi ; — certains aspects de la législation industrielle et de la politique énergétique ; — la politique du logement ; — la politique familiale et démographique ; — l’hygiène et la santé publique ; — la formation et la reconversion professionnelles ; — le tourisme et la politique d’accueil ; — la pêche, la chasse et les forêts. (Rapport du groupe de travail pour les problèmes communautaires, p. 12)164 Le gouvernement a donc l’intention de transférer, dans un État décentralisé, toute une série d’attributions à des régions dont les organes, composés de délégués élus directement ou non par les citoyens, se verront confier une compétence réelle. Ainsi donc, un pouvoir de réglementation serait transféré aux régions. L’on est parti de l’intention de créer un système sui generis, une sorte de fédéralisme. Mais tout dépend de ce que l’on entend par là. Si de larges pouvoirs sont attribués aux régions, on sera confronté à ce problème ». 40. La plupart des attributions régionales envisagées s’éloignent, il est vrai, du domaine économique, mais elles le recoupent en revanche clairement lorsque sont visées la politique d’expansion économique régionale et celle de l’emploi. La différence avec un projet limité à de la décentralisation ne se retrouve pas non plus dans le fait que les matières concernées seront confiées à des organes composés de délégués élus, puisque tel est déjà le cas des pouvoirs locaux existants, lesquels peuvent également prendre des règlements dans le champ de leur compétence. 164 À propos de cette liste, voy. le commentaire de P. DE STEXHE, op. cit., p. 187 : « Il suffit d’analyser la liste exemplative donnée ci-dessus pour constater que plusieurs des matières envisagées présentent des aspect nationaux et régionaux et certaines compétences seront “étagées”. D’autres – le tourisme, par exemple – pourraient relever tantôt de l’État, tantôt d’institutions régionales, provinciales ou communales, tantôt des Conseils culturels. La sécurité sociale et la prévoyance sociale relèvent fondamentalement du Parlement, mais la loi pourrait permettre aux institutions régionales d’accorder, à titre complémentaire, des allocations familiales, des aides familiales, etc. »… Voy. d’ailleurs infra, titre 3, chapitre 3, où le tourisme est une préoccupation communale qui peut être transférée à l’agglomération, et titre 4, chapitre 1er, où le tourisme devient une matière culturelle dont peuvent s’occuper les commissions de la culture de l’agglomération. Il restera rangé parmi les matières culturelles, de la compétence des Communautés, lors de l’adoption de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980. ADMINISTRATION PUBLIQUE L’intention du gouvernement reste donc peu claire, si ce n’est qu’il assume une intention, celle de créer « un système sui generis, une sorte de fédéralisme »… Le seul pouvoir réglementaire envisagé à ce stade fournit au gouvernement l’argument destiné à dissiper les craintes d’un commissaire qui redoute un éparpillement excessif des compétences165. En revanche, il ne suffit pas à rassurer un autre sénateur qui détecte bel et bien dans les projets flous du gouvernement la mise en place d’un fédéralisme à trois, qui, on le sait, alimente l’hostilité de la Flandre166. En commission du Sénat, le texte qui est adopté dans un premier temps167 prévoit en substance que la loi, adoptée à la majorité des deux tiers, attribue, au regret de certains parlementaires168, une compétence exclusivement réglementaire169 à des organes régionaux, existants ou à créer – dont le nombre n’est pas précisé – pour les matières autres que celles accordées aux conseils culturels. Seuls des mandataires élus peuvent faire partie de ces organes. La loi doit encore déterminer l’étendue matérielle et territoriale de cette compétence régionale ainsi que la manière dont elle s’exerce. Enfin, financièrement, il est prévu une alternative : la loi accorde des moyens financiers aux organes régionaux ou leur reconnaît le droit de lever des impositions régionales. 41. Après une « véritable averse d’amendements »170, le texte est considérablement remanié171 avant d’être présenté à la Chambre, qui ne le votera que le 24 décembre 1970, après l’adoption de l’article 108ter172, dont il sera question plus loin. Chapitre 2 – Le choix du flou 42. L’article 107quater est finalement libellé comme suit : « La Belgique comprend trois régions : la région wallonne, la région flamande et la région bruxelloise. La loi attribue aux organes régionaux qu’elle crée et qui sont composés de mandataires élus, la compétence de régler les matières qu’elle détermine, à l’exception de celles visées aux articles 23 et 59bis, dans le ressort et selon le mode qu’elle établit. Cette loi doit être adoptée à la majorité des suffrages dans chaque groupe linguistique de cha165 Rapport M. Calewaert, op. cit., p. 14. Ibidem, p. 17. Voy. également, à propos des craintes flamandes s’agissant de Bruxelles, troisième région, A. MÉAN, op. cit, p. 182. 167 Rapport M. Calewaert, op. cit., p. 19. 168 Rapport M. Calewaert, op. cit., p. 3 et p. 14, ainsi que la référence faite, en pages 15 et 16, au rapport du groupe de travail pour les problèmes communautaires, dit « groupe des vingt-huit ». Voy. aussi, ibidem, p. 18. 169 De même nature que celle des règlements pris par les conseils provinciaux et les conseils communaux (P. DE STEXHE, op. cit., p. 189). 170 P. WIGNY, op. cit., p. 170. 171 Doc. parl., Sénat, sess. extr. 1968, no 36/1. 172 Devenu les articles 136 et 166 de la Constitution coordonnée. 166 cune des Chambres, à la condition que la majorité des membres de chaque groupe se trouve réunie et pour autant que le total des votes positifs émis dans les deux groupes linguistiques atteigne les deux tiers des suffrages exprimés ». La formulation est – volontairement – très vague. François Perin livrera les explications suivantes à cet égard : « L’important était la reconnaissance du principe des trois régions. Pour le reste, nous savions que les temps n’étaient pas encore mûrs. C’est pour cette raison que l’application concrète de la régionalisation a été laissée à une loi à majorité spéciale. Il fallait prendre le temps et permettre aux esprits d’évoluer. À vouloir trop, on n’aurait rien eu. La loi, dit l’article 107quater, attribue aux organes régionaux qu’elle crée la compétence de régler les matières qu’elle détermine. C’est à dessein qu’on a utilisé le verbe “régler”. Il était très général et permettait donc de donner aux normes régionales aussi bien une force réglementaire, comme les règlements des provinces et des communes, qu’une force législative, comme les décrets des conseils culturels »173. 43. Le principe des trois régions est donc adopté, certes, de même que le fait que les organes des régions seront composés de mandataires élus, excluant la qualification de simple autorité administrative déconcentrée. C’est là le plus petit dénominateur commun qui, sous une forme qui plus est ambiguë, permet d’emporter le suffrage des différentes tendances composant la coalition gouvernementale174. Mais pour le reste, point d’accord à traduire dans la Constitution. Les esprits prendront bien des années pour évoluer et s’accorder sur la concrétisation des régions, tout spécialement à cause de l’impossibilité de trouver une formule pour la troisième région qui agrée les deux grandes communautés. « La concrétisation de l’article 107quater allait être longue, particulièrement pour Bruxelles, où se posait le problème de la composition linguistique des organes de la future région, qui constituait une pierre d’achoppement entre partis flamands et francophones »175. En outre, le constituant n’a pas précisé l’étendue de la compétence déléguée aux organes régionaux, sous réserve du fait que sont exclues les matières linguistiques et culturelles confiées aux Conseils culturels en vertu des articles 23 et 59bis de la 173 Explications de F. PERIN, reprises dans A. MÉAN, op. cit., p. 181. Ph. DE BRUYCKER, « Bruxelles dans la réforme de l’État », op. cit., p. 8. 175 C. SÄGESSER, Les pouvoirs à Bruxelles, Bruxelles, CRISP, 2002, fascicule 1er, p. 9. 174 125 ADMINISTRATION PUBLIQUE Constitution176, précision vraisemblablement voulue par les Flamands « pour s’assurer que les compétences des communautés ne soient ultérieurement exercées par la région de Bruxelles, ce qui aurait coupé les Flamands de Bruxelles de la Flandre »177. « À ce stade, les régions n’ont ni limites géographiques, ni organes de gestion, ni compétences : ces éléments doivent être déterminés ultérieurement par une loi spéciale »178. De même, le pouvoir fiscal propre n’est plus envisagé : le financement des institutions régionales devra se faire par des subventions à charge du budget général de l’État179. Chapitre 3 – L’éternel problème des limites du territoire bruxellois 44. Plus fondamentalement encore, se pose la question de la délimitation des trois régions dont l’existence de principe a ainsi été arrêtée constitutionnellement, une loi spéciale étant appelée à en définir les contours. À la vérité, « dans les années qui ont suivi l’adoption de l’article 107quater, le débat politique belge a été profondément marqué par la difficulté qu’a un État unitaire à se fédéraliser alors qu’il comporte sur son territoire une ville dont l’importance lui a valu le statut de capitale, problème bien plus aigu que celui d’États indépendants en voie de se fédérer qui, faisant le chemin inverse, sont amenés à se choisir une capitale fédérale commune »180. Certes, « il est (…) admis, dès ce moment, que la Belgique ne saurait comprendre que “trois” régions, que la carte régionale de la Belgique ne saurait comprendre de “blanc” et que, dès l’instant où le territoire de la Région wallonne et celui de la Région flamande auraient été arrêtés, le territoire résiduel serait assigné à la Région bruxelloise »181. Il n’en demeure pas moins que le ressort territorial de ces régions, auxquelles on assigne d’abord – en dépit des dénégations des uns et des autres – une vocation économique, n’est pas figé dans les esprits ou qu’en tout cas, tout le monde n’est pas persuadé que l’amplitude d’une région du point de vue de ce qui n’est pas strictement culturel doive correspondre au ressort des régions linguistiques182. Certains préconisent la création d’un territoire bruxellois comprenant les dix-neuf communes et les six communes à facilités, d’autres encore 176 Voy. les articles 30, 127, 128 et 129 de la Constitution coordonnée. Ph. DE BRUYCKER, « Bruxelles dans la réforme de l’État », op. cit., p. 9. 178 P. WYNANTS, « Origines, caractères et évaporation du fédéralisme en Belgique », op. cit., p. 1013. 179 P. WIGNY, op. cit., p. 181. 180 Ph. DE BRUYCKER, « Bruxelles dans la réforme de l’État », op. cit., p. 4. 181 F. DELPÉRÉE, F.-X. DUBOIS et C. FRÉMAULT-DE CRAYENCOUR, op. cit., p. 258. 182 Voy. à ce propos P. WIGNY, op. cit., pp. 177-178, mais aussi P. DE STEXHE, op. cit., p. 183. 177 126 visent l’ensemble de l’arrondissement électoral ou même la vallée de la Senne183. En l’absence d’accord, il suffit naturellement de remettre la question à plus tard. 45. En 1968, pour justifier le report de la fixation des limites proposées pour les régions, le gouvernement avait renvoyé à l’adoption ultérieure du « projet 125 », soit le texte qui deviendra la loi-cadre du 15 juillet 1970 portant organisation de la planification et de la décentralisation économique184. Il avait ainsi expliqué à la Chambre, pour résoudre « le délicat problème » de la délimitation des régions prévues à l’article 107quater de la Constitution, « qu’une fois en application le projet 125 et organisés les conseils économiques consultatifs, les conseils provinciaux seront consultés pour la constitution des sociétés de développement régional. On se fera ainsi une meilleure image des régions économiques dont le législateur, finalement, devra limiter l’aire »185. La fixation du ressort géographique des sociétés de développement régional constituerait en quelque sorte une préfiguration des limites régionales186. 46. À dire vrai, « on faisait sur Bruxelles mille hypothèses, fondées sur des arguments économiques toujours insaisissables, comme s’il y avait en cette matière des critères objectifs qui se seraient imposés scientifiquement aux yeux de tous. En réalité, ni les Wallons ni les Flamands ne voulaient lâcher leur partie du Brabant. L’affaire se révélait foncièrement politique »187. Comme par hasard, aux termes de l’unique article de l’arrêté royal du 2 août 1972188, la société de développement régional bruxellois aura pour ressort l’arrondissement administratif de Bruxelles-Capitale, soit les dix-neuf communes… Et, entre-temps, alors que les conseils culturels sont organisés par les lois des 3 et 21 juillet 1971, les lois d’application de l’article 107quater ne sont pas adoptées, dans la mesure où, de l’avis du gouvernement, « elles soulèvent des problèmes trop délicats pour être improvisées »189… Il est vrai que « la Flandre n’est pas pressée de voir naître les régions, d’autant plus qu’elle considère que les Wallons ont été payés par le vote de la loi Terwagne190 sur la décentralisation et la planification économique »191. 183 X, « Bruxelles et la réforme des institutions », C.H. CRISP, no 613 du 14 septembre 1973, p. 8. 184 M.B., 21 juillet 1970. 185 Rapport Lindemans, op. cit., Doc. parl., Ch., sess. extr. 1968, no 10-33/1, p. 15. 186 A. DELCAMP, op. cit., p. 97. 187 F. PERIN, op. cit., p. 214. 188 M.B., 6 septembre 1972. Voy. la proposition du Conseil économique régional pour le Brabant visée dans le rapport au Roi précédant l’arrêté royal. 189 P. WIGNY, op. cit., p. 44. 190 Du nom du ministre qui en a promu l’adoption, Freddy Terwagne, par ailleurs grand artisan de la réforme de l’État de 1970. 191 A. MÉAN, op. cit., pp. 165 et 170. ADMINISTRATION PUBLIQUE Dans le même ordre d’idées, il n’est pas interdit de penser que les Flamands se sont résignés à voter l’article 107quater avec la ferme intention de ne jamais l’appliquer, en tout cas en ce qui concerne la Région bruxelloise, mais afin d’offrir une contrepartie à l’autonomie culturelle à laquelle ils aspiraient192. 47. La région bruxelloise existe donc sur le papier en 1970, et dès 1972, un territoire à nouveau limité aux dix-neuf communes semble lui être dessiné, en filigrane de l’exécution de la loi de décentralisation économique. Il appartient toutefois encore à la loi spéciale, à adopter en application de l’article 107quater, de fixer expressément « le ressort » d’organes régionaux qu’il lui revient également de créer. Officiellement, la discussion relative aux limites de la région n’est donc pas close. De même, si ce n’est que l’on sait d’emblée en lisant l’article 107quater que ces organes régionaux ne pourront régler des matières communautaires – visées aux articles 23 et 59bis de la Constitution – le législateur spécial doit encore déterminer les attributions de ces régions composées de mandataires élus. Or les Flamands, qui ont revendiqué et enfin obtenu la reconnaissance de leur communauté, « ne souhaitent nullement défaire, en tout cas à ce moment-là, et surtout les plus nationalistes d’entre eux, par la régionalisation un État unitaire dont ils ont pris le contrôle »193. À tout le moins considèrent-ils que, dans la mesure où l’article 107quater n’a pas précisé que les trois régions devaient être parfaitement équivalentes ou semblables, la région bruxelloise peut, et doit même, être le prolongement de chacune des deux communautés, une sorte de Rijksgebied. L’idée de définir pour la région qui entoure la capitale un statut particulier, en sorte qu’elle soit gérée conjointement par les communautés flamande et française, voire par l’État, est loin d’être neuve. Elle reflète, encore et toujours, la perspective d’un fédéralisme à deux défendue au nord du pays dès les premières propositions de lois formulées aux fins de réformer l’État unitaire194. Les francophones, eux, estiment que la capitale peut être une région égale aux deux autres195. « Quel territoire ? Quelles attributions ? Quelles institutions ? »196. 192 Ph. DE BRUYCKER, « Bruxelles dans la réforme de l’État », op. cit., p. 6. A. DELCAMP, op. cit., p. 39. 194 Voy., pour un descriptif et une comparaison des toutes premières propositions, à commencer par celle de Herman De Vos en 1931, X, « Tableau synthétique des projets de fédéralisme de 1931 à nos jours », C.H. CRISP, no 129 du 14 novembre 1961. Voy. aussi A. DELCAMP, op. cit., pp. 45 et 47. 195 E. WITTE et J. CRAEYBECKX, op. cit., p. 436. 196 F. DELPÉRÉE, « Introduction », op. cit., p. 13. 193 La réponse que pourrait représenter l’article 107quater à ces questions n’est encore que virtuelle. Le seul territoire juridique effectif est celui de l’arrondissement administratif de BruxellesCapitale, aux vertus linguistiques et, désormais, économiques, les seules institutions nouvelles créées par la loi du 15 juillet 1970 portant organisation de la planification et de la décentralisation économique étant des conseils économiques consultatifs et une société de développement régional. TITRE 3 – LE SUBSTITUT DE L’AGGLOMÉRATION Chapitre 1er – L’idée 48. « La région bruxelloise est née le 24 décembre 1970. Pourtant, pendant dix-neuf ans, nul n’a pu en attester l’existence. À peine baptisé, l’enfant disparaissait, remplacé par des figures successives qui n’étaient même pas des sosies »197. Tandis que la mise sur pied des régions est différée, notamment parce qu’on cherche le ressort de la région bruxelloise, l’action cumulative du constituant et du législateur permet, entre 1970 et 1972, l’instauration d’une « figure » administrative qui, à tout le moins, ne laisse pas Bruxelles sans réforme visible. Cette figure consiste en un nouveau niveau de pouvoir local, à partir duquel un certain nombre de matières d’apparence régionale – qui, en tout cas, pourraient se prêter à un traitement différencié à ce niveau – seront réglées au niveau des dix-neuf communes bruxelloises. Il s’agira de l’Agglomération. 49. « Les raisons qui mènent à la création de l’agglomération bruxelloise en 1970 sont multiples, voire complexes. Sans doute parce que ces raisons ne peuvent être isolées de l’ensemble de la révision constitutionnelle de 1970-1971, dont l’histoire retiendra d’abord qu’elle assura dans l’État belge la reconnaissance de l’autonomie des communautés et des régions »198. La figure trouve néanmoins déjà des racines plus loin dans le passé. « Devant l’incapacité des autorités à fixer un statut des agglomérations, la Conférence (des bourgmestres) décide de créer et d’installer officiellement à l’hôtel de ville de Bruxelles le 19 mars 1968 un conseil provisoire de l’Agglomération bruxelloise. Ce conseil réunit tous les bourgmestres et tous les échevins des dix-neuf communes bruxelloises en vue d’harmoniser les différentes politiques communales et de créer un 197 M.-Fr. RIGAUX, op. cit., p. 40. Voy. aussi Ph. DE BRUYCKER, « Bruxelles dans la réforme de l’État », C.H. CRISP 1989, nos 1230-1231, p. 20. 198 Ibidem, p. 23. 127 ADMINISTRATION PUBLIQUE esprit d’agglomération au sein des différents pouvoirs. Il fut dissous avec l’installation d’un nouvel organe légal, le Conseil de l’Agglomération de Bruxelles, le 12 juin 1972 »199. Ainsi, donc, l’ancienne et toujours active Conférence des bourgmestres a-t-elle pu servir de source d’inspiration pour la mise en place de l’Agglomération bruxelloise, offrant ainsi vraisemblablement une raison pour les concepteurs de cette dernière formule de ne pas bousculer l’histoire et de s’en tenir, toujours, aux seules dix-neuf communes. Chapitre 2 – La constitutionnalisation 50. Avant d’en arriver là, il faut toutefois adopter les articles de la Constitution qui concernent cette Agglomération bruxelloise, conformément à la solution de compromis globale annoncée le 18 février 1970 par le premier ministre Gaston Eyskens. Avant lui, le premier ministre Théo Lefèvre, dans un message adressé en décembre 1963 aux présidents de partis, leur signalait que la révision de la Constitution à venir en 1970 reposait sur deux objectifs majeurs, à savoir l’harmonisation des relations entre Flamands et francophones et la modernisation de l’État, soulignant que ces deux objectifs devaient être liés de manière à ne pas compromettre l’un au détriment de l’autre200. Ainsi, même un problème relevant en principe de la pure technique communale devient, selon le gouvernement, dès lors qu’il s’agit d’organiser l’agglomération bruxelloise, « un problème national très sérieux »201, à ce point important qu’il ne peut être laissé « exclusivement aux mains des Bruxellois »202, précisément parce que la solution du conflit communautaire, pour être équilibrée, ne peut qu’être globale. La solution conçue pour l’agglomération revêt donc politiquement une haute valeur symbolique : « Bruxelles pourrait donner sur ce point un bel exemple de compréhension et de tolérance, si cet esprit apparaissait dans l’organe suprême de l’agglomération bruxelloise non seulement à l’égard des deux communautés de ce pays, mais aussi à l’égard de ceux qui, à Bruxelles, sont encore soumis pour un quart, pour un tiers, pour n’importe quelle fraction, à une influence flamande, ce qui est manifeste à Bruxelles »203. Bruxelles, en tant que capitale, a des obligations envers les deux communautés et il convient de consacrer ce fait dans les textes qui la concernent, 199 V. COUMANS, « Archives de la Conférence des bourgmestres », op. cit., p. 2. Annexe B à l’exposé des motifs du projet de déclaration relatif à la révision de la Constitution, Doc. parl., Ch., sess. 1964-1965, no 993/1. 201 Rapport Lindemans, op. cit., p. 27. 202 Ibidem, p. 27. 203 Rapport Lindemans, op. cit., p. 25. 200 128 et d’abord ceux qui permettent la création de l’agglomération bruxelloise204. 51. L’adoption des articles 108bis et 108ter de la Constitution, proposée en premier lieu à la Chambre, est donc cruciale. Il est toutefois rappelé d’emblée que l’accord gouvernemental repose sur une agglomération composée des dix-neuf communes, sachant que « lorsqu’il sera question des régions, on traitera des régions, des organes et des limites »205 et que, par ailleurs, il reviendra au législateur de décider que les organes de l’agglomération seront également ceux de la région206. La technique est toujours la même : le gouvernement prétend, comme il l’a fait lors de l’adoption de l’article 107quater, que la question de la limite des régions sera tranchée plus tard, mais, entre-temps, s’agissant de décisions relatives au ressort d’institutions qui préfigurent ce débat, les dix-neuf communes restent le seul compromis possible… Les initiateurs de la réforme prennent donc une décision soi-disant provisoire en attendant de trancher plus tard. Dans ces conditions, « finalement la plupart des députés bruxellois francophones et des députés wallons refusent de voter une réglementation qui compromet, à leur sens, le développement de l’agglomération bruxelloise. À la séance publique du 30 juin 1970, l’article 108ter n’est pas adopté, faute de quorum constitutionnel des présences »207. En réalité, toute la révision constitutionnelle, en ce compris l’adoption de l’article 107quater, déjà évoqué, est bloquée en raison de l’impossibilité de résoudre le problème bruxellois. Il ne sera réglé qu’au lendemain des élections communales du 11 octobre 1970, que les listes francophones bruxelloises remportent largement, après amendement de ses propositions par le gouvernement208. Le texte des articles 108bis et 108ter, tels qu’adoptés, se présente finalement comme suit209. 204 Ibidem, p. 34. Ibidem, p. 22. Ibidem, p. 23. 207 P. WIGNY, op. cit., p. 37. 208 P. DE STEXHE, op. cit., pp. 314-315. P. WIGNY, op. cit., p. 38, et la référence au rapport fait au nom des commissions réunies de révision de la Constitution et de l’intérieur par M. Meyers, à propos d’un projet de loi modifiant les lois sur l’emploi des langues en matière administratives, coordonnées le 18 juillet 1966, Doc. parl., Ch., sess. 1970-1971, no 798/5. Voy. aussi révision de la Constitution, révision de l’article 126, article 108ter nouveau, deuxième rapport complémentaire fait au nom de la Commission de révision de la Constitution par M. Lindemans, Doc. parl., Ch., sess. extr. 1968, no 10-33/8. Il résulte des amendements proposés par le gouvernement que la parité linguistique au sein du collège de l’Agglomération est instaurée sans période transitoire, que l’idée d’une majorité spéciale pour le vote de la loi relative au statut de l’agglomération bruxelloise est abandonnée et que ladite loi sera votée au plus vite, pour permettre à la liberté du père de famille – négociée en parallèle et qui fait partie de l’équilibre global – d’être acquise au 1er septembre 1971. 209 Révision de la Constitution du 24 décembre 1970, M.B., 30 décembre 1970. 205 206 ADMINISTRATION PUBLIQUE Il mérite d’être reproduit intégralement, car il prophétise en quelque sorte les réformes ultérieures. « Art. 108bis. § 1er. La loi crée des agglomérations et des fédérations de communes sur tout le territoire du Royaume. Elle détermine leur organisation et leur compétence en consacrant l’application des principes énoncés à l’article 108. Il y a pour chaque agglomération et pour chaque fédération un conseil et un collège exécutif. Le président du collège exécutif est élu par le conseil, en son sein ; son élection est ratifiée par le Roi ; la loi règle son statut. Les articles 107210 et 129211 s’appliquent aux arrêtés et règlements des agglomérations et des fédérations de communes. Les limites des agglomérations et des fédérations de communes ne peuvent être changées ou rectifiées qu’en vertu d’une loi. § 2. La loi crée l’organe au sein duquel chaque agglomération et les fédérations de communes les plus proches se concertent aux conditions et selon le mode qu’elle fixe, pour l’examen de problèmes communs de caractère technique qui relèvent de leur compétence respective. § 3. Plusieurs fédérations de communes peuvent s’entendre ou s’associer entre elles ou avec une ou plusieurs agglomérations dans les conditions et suivant le mode à déterminer par la loi pour régler et gérer en commun des objets qui relèvent de leur compétence. Il n’est pas permis à leurs conseils de délibérer en commun. Art. 108ter. § 1er. L’article 108bis s’applique à l’agglomération à laquelle appartient la capitale du Royaume, sous réserve de ce qui est prévu ciaprès. § 2. Pour les cas déterminés dans la Constitution et dans la loi, les membres du conseil de l’agglomération sont répartis en un groupe linguistique français et un groupe linguistique néerlandais de la manière fixée par la loi. Le collège exécutif est composé d’un nombre impair de membres. Le président excepté, il compte autant de membres du groupe linguistique français que du groupe linguistique néerlandais. § 3. Sauf pour les budgets, une motion motivée, signée par les trois quarts au moins des membres d’un groupe linguistique du conseil de l’agglomération, et introduite avant le vote final en séance publique, peut déclarer que les dispositions qu’elle désigne dans un projet ou une proposition de règlement ou d’arrêté du conseil d’agglomération peuvent porter gravement atteinte aux relations entre les communautés. Dans ce cas, la procédure au sein du conseil d’agglomération est suspendue et la motion est renvoyée au collège exécutif qui, dans les trente jours, émet son avis motivé à ce sujet et amende le projet ou la proposition s’il échet. La tutelle relative au règlement ou à l’arrêté pris après cette procédure, est exercée par le Roi sur proposition du conseil des ministres. Cette procédure ne peut être appliquée qu’une fois par les membres d’un groupe linguistique concernant un même projet ou une même proposition. § 4. Dans l’agglomération, il existe une commission française de la culture et une commission néerlandaise de la culture212, qui sont composées d’un même nombre de membres élus respectivement par le groupe linguistique français et par le groupe linguistique néerlandais du conseil d’agglomération. Elles ont, chacune pour sa communauté culturelle, les mêmes compétences que les autres pouvoirs organisateurs : 1° en matière préscolaire, postscolaire et culturelle ; 2° en matière d’enseignement. § 5. La commission française et la commission néerlandaise de la culture constituent ensemble les Commissions réunies. Les décisions des Commissions réunies ne sont adoptées que si elles obtiennent dans chaque commission la majorité des voix émises. Les Commissions réunies sont compétentes pour les matières prévues au paragraphe 4 qui sont d’intérêt commun et pour la promotion de la mission nationale et internationale de l’agglomération. § 6. Les commissions visées aux paragraphes 4 et 5 remplissent également les missions dont elles sont chargées par le pouvoir législatif, les conseils culturels ou le gouvernement. La loi règle l’organisation et le fonctionnement de ces commissions ». 52. L’article 108213, auquel renvoie l’article 108bis, et qui est relatif aux institutions provinciales et communales, n’est pas dénué d’intérêt non plus. Il fait, en effet, apparaître « l’ossature institutionnelle des nouvelles entités, en disposant qu’il doit être fait droit aux principes suivants : 1° élection directe des membres des conseils ; 2° attribution aux conseils de tout ce qui relève de l’intérêt de l’entité qu’ils sont appelés à régir ; 3° décentralisation des attributions ; 4° publicité des séances des conseils dans les limites établies par la loi ; 5° publicité des budgets et des comptes ; 210 212 211 213 Actuel article 159 de la Constitution. Actuel article 190 de la Constitution. À propos des commissions de la culture, voy. infra, le titre 4. Devenu l’article 162 de la Constitution. 129 ADMINISTRATION PUBLIQUE 6° intervention de l’autorité de tutelle ou du pouvoir législatif, pour empêcher que la loi ne soit violée ou l’intérêt général blessé »214. 53. De manière évidente, la structuration de l’agglomération « à laquelle appartient la capitale du Royaume » présente des spécificités qui la font ressembler, en miniature, aux autorités nationales telles qu’elles viennent d’être rénovées à l’occasion de la réforme de l’État. Ainsi, tout d’abord, la répartition en groupes linguistiques au sein du Conseil et du Collège est la réplique de celle qui a été mise sur pied au niveau du Parlement national. Ensuite, la parité au Collège est, elle aussi, le reflet de celle qui est organisée au sein du Conseil des ministres215. Le parallélisme avec le niveau national est encore manifeste avec l’instauration du mécanisme de la sonnette d’alarme : « on a prévu une sonnette d’alarme au niveau national à la demande des Wallons, et du côté flamand, on s’est posé la question de savoir si on ne pouvait pas prévoir une disposition parallèle au sein de l’agglomération. Il s’agit donc d’une question d’équilibre sur le plan psychologique »216. Le mécanisme est accompagné, en l’occurrence, d’une tutelle qui n’est pas celle normalement dévolue au ministre de l’Intérieur en matière de pouvoirs locaux, mais au Roi, sur proposition du conseil des ministres, manière de bénéficier, ici encore, de la garantie d’un contrôle paritaire sur les solutions apportées aux conflits bruxellois par les Bruxellois eux-mêmes217. 54. Curieusement, l’utilité de la sonnette d’alarme bruxelloise, compte tenu d’une tutelle nationale paritaire n’est pas remise en question, en dépit des réflexions d’un parlementaire : « La différence fondamentale entre des délibérations qui peuvent être prises par une assemblée délibérante de caractère national (une des deux Chambres ou les deux Chambres, par exemple), et celles qui peuvent être prises par un pouvoir qui, en dépit de la décentralisation des attributions, demeurera un pouvoir subordonné, réside dans le fait que, contrairement à une assemblée de caractère national, le pouvoir subordonné a une tutelle. Ce sera le 214 Projet de loi organisant les agglomérations et les fédérations de communes, exposé des motifs, Doc. parl., Ch., sess. 1970-1971, no 973/1, p. 2. 215 La parité au sein de l’agglomération a été jugée « d’autant plus remarquable que cette institution, qui entre dans la catégorie des pouvoirs subordonnés, avait à s’occuper de problèmes locaux ne regardant que les Bruxellois et qui auraient dû à ce titre échapper à la problématique communautaire » (Ph. DE BRUYCKER, « Bruxelles dans la réforme de l’État », op. cit., p. 17). 216 Rapport Lindemans, Doc. parl., Ch., sess. extr. 1968, no 10-33/1, p. 42. Voy., pour une confirmation de ce besoin de trouver un équilibre sur plan psychologique, P. DE STEXHE, op. cit., p. 317. 217 Voy. à ce sujet, le rapport Lindemans, op. cit., Doc. parl., Ch., sess. extr. 1968, no 10-33/1, pp. 42 et 44. 130 cas de l’agglomération bruxelloise telle qu’elle est envisagée (…) Dès lors, pourquoi prévoir un dispositif spécial pour l’agglomération bruxelloise ? »218. Il lui est simplement répondu que s’il a raison sur le plan purement théorique, la procédure d’alarme doit être maintenue parce que l’on se place dans l’optique des relations communautaires. « L’intention, en ce qui concerne les relations communautaires éventuelles est donc d’amener le conseil d’agglomération à accorder une attention particulière à ces problèmes en le plaçant devant cette responsabilité, en insistant sur un dialogue entre les deux groupes linguistiques et entre le conseil et le collège exécutif, lorsqu’un conflit menace »219. En filigrane du débat sur la question, pointe toutefois l’argument selon lequel, depuis 1932, la tutelle serait précisément restée en défaut à Bruxelles…220 L’avenir engendrera une inversion de la tendance puisqu’à une sonnette d’alarme finalement inutilisable, il sera répondu par un exercice rythmé de la tutelle221. 55. Enfin, l’existence d’une commission de la culture, qui plus est, dédoublée222, est une caractéristique que le constituant a voulu garantir pour l’agglomération bruxelloise. L’intention initiale était pourtant de ne faire aucune distinction entre Bruxelles et les autres agglomérations, puisqu’il était préconisé que toutes les agglomérations aient un organe culturel distinct : « … aussi bien Liège qu’Anvers ont de très grands problèmes financiers en ce qui concerne les musées et les théâtres. On aimerait voir ces problèmes transférés à un organe plus important que la ville où ils sont localisés. »223 Ainsi, chaque grande agglomération aurait une institution propre pour la culture, « mais Bruxelles en aurait deux »224. À l’issue des travaux du Groupe des vingt-huit, cependant, Bruxelles est la seule pour laquelle la création de commissions de la culture est encore envisagée225. 56. Le constituant ne règle pas la question du ressort de cette agglomération qui abrite la capitale du pays. Il est renvoyé, à ce sujet, au législateur, qui devra prendre ses responsabilités. Dans le cadre des travaux parlementaires, du côté du ministre, en dépit de l’accord gouvernemental, il est – poliment ? – indiqué que le débat reste ouvert : « on peut considérer que cette agglo218 Ibidem, p. 43, mais aussi p. 45. Ibidem, p. 44. 220 Ibidem, p. 45. 221 Voy. infra, chapitre 4. 222 À ce sujet, voy. infra, titre 4. 223 Rapport Lindemans, Doc. parl., Ch., sess. extr. 1968, no 10-33/1, p. 48. 224 Ibidem, p. 48. 225 Ibidem, p. 48. 219 ADMINISTRATION PUBLIQUE mération doit être placée sur le même pied que les régions linguistiques, mais on peut dire tout aussi bien que les régions linguistiques et les grandes agglomérations sont des notions différentes »226. Parmi les députés, tant ceux qui considèrent qu’« il ne pourrait qu’y avoir une seule limite qui est en même temps celle de la région linguistique, de l’agglomération et de la région économique »227 que ceux qui estiment que les questions d’agglomération telles que l’infrastructure ou l’organisation du territoire sont des problèmes qui dépassent les limites des dix-neuf communes228, acceptent en définitive de remettre le débat à plus tard, tout en déplorant la situation. Chapitre 3 – La légalisation 57. Alors que le gouvernement a commencé par déposer un projet de loi d’application de l’article 108ter extrêmement complet229, il rétrograde pour mieux le faire passer, et fait adopter un projet de loi-cadre230 qui devient la loi du 26 juillet 1971, organisant les fédérations et les agglomérations de communes231. À cette occasion, le gouvernement distingue et mélange tout à la fois les concepts qu’il avait veillé à sérier dans le cadre des travaux du constituant : « (…) pour que la décentralisation et la déconcentration puissent s’effectuer avec fruit, il est indispensable que des entités politiques et administratives viables puissent prendre le relais de l’action de l’État unitaire. Ces entités seront, à n’en pas douter sur le plan communautaire proprement dit, les communautés et les régions. Mais bien d’autres questions existent à l’heure actuelle, dans notre pays, que les problèmes communautaires. La solution de ces questions ne peut être envisagée que si les pouvoirs locaux trouvent dans la Belgique de demain une assise meilleure et plus solide que l’émiettement que nous connaissons aujourd’hui »232. C’est, ainsi, parce que les localités ne disposent pas de moyens suffisants pour rencontrer des besoins 226 Ibidem, p. 59. Ibidem, p. 67. 228 Ibidem, p. 69. Voy. aussi p. 72. 229 Doc. parl., Ch., sess. 1970-1971, no 868/1. Le premier projet de loi déposé le 9 février 1971 « soulève immédiatement d’importantes objections. Il est beaucoup trop long. (…) Comment serait-il possible de voter une loi aussi importante avant la date fixée ? D’autres objections touchent au fond. Si, en droit, on reconnaît la nécessité des fédérations, en fait chacun les redoute pour sa commune. Les compétences ne sont-elles pas trop largement transférées ? (…) D’une manière plus générale, ce bouleversement va-t-il se faire par décision gouvernementale, sans l’accord des communes intéressées ? L’opposition est si vive que le gouvernement retire le projet, et en dépose un nouveau, le 7 mai 1971 » (P. WIGNY, op. cit., pp. 194-195). 230 Doc. parl., Ch., sess. 1970-1971, no 973/1. 231 M.B., 24 août 1971. 232 Projet de loi organisant les agglomérations et les fédérations de communes, exposé des motifs, Doc. parl., Ch., sess. 1970-1971, no 973/1, p. 1. 227 qui doivent être rencontrés dans les limites de circonscriptions territoriales restant à taille humaine, tels que « le logement, l’emploi, l’éducation, la santé, les loisirs, les transports », que la solution de l’agglomération et de la fédération est avancée233. Les compétences de l’agglomération ne seraient donc que des compétences strictement communales qui lui seraient transférées par ou en vertu de la loi. Il est toutefois reconnu, dans un second temps, que l’article 108ter de la Constitution, dont la loi projetée doit régler les détails, « répond à la nécessité de prévoir un statut particulier pour Bruxelles, cœur et centre nerveux du pays, point de rencontre de deux communautés culturelles dont il est indispensable d’organiser en son sein la coexistence harmonieuse et équilibrée »234. Autrement dit, l’agglomération et la fédération de communes n’entretiennent en principe aucun rapport avec les « problèmes communautaires », sauf à Bruxelles, où toutes les institutions, fussentelles supracommunales, doivent constituer une réponse adéquate à ces problèmes. Ces particularités bruxelloises « commandent des dispositions particulières en matière législative comme elles l’ont fait en matière constitutionnelle »235. La spécificité de cette agglomération par rapport aux autres justifie également que le législateur la constitue d’emblée et d’office236, même si, pourtant, il est bien envisagé que chaque commune du pays se retrouve, à terme, soit dans une agglomération, soit dans une fédération, moyennant une démarche qui restera cependant volontaire237. 58. Première réponse du législateur à la dimension communautaire du sujet, ou concrétisation des « arrière-pensées politiques »238 des auteurs de la loi, l’agglomération bruxelloise est bien limitée territorialement aux seules dix-neuf communes239. En réaction à des amendements tendant à faire fixer ce territoire en tenant compte de données sociologiques et économiques et après consultation d’un certain nombre de communes limitrophes, le ministre des Relations communautaires, Léo Tindemans, n’hésite d’ailleurs pas à recourir à la « figure » de la Conférence des bourgmestres pour dire que cette instance a librement adopté la déli233 Ibidem, p. 5. Ibidem, p. 4. 235 Ibidem, p. 11. 236 Donc sans organiser de consultation préalable des conseils communaux des communes concernées, comme la loi le prévoit en principe. 237 Projet de loi organisant les agglomérations et les fédérations de communes, rapport fait au nom de la commission spéciale par MM. Deruelles et Verroken, Doc. parl., Ch., sess. 1970-1971, no 973/20, pp. 4, 11 et 12. 238 M. LEROY, op. cit., p. 64. 239 Article 61 de la loi du 26 juillet 1971, disposition toujours en vigueur aujourd’hui. 234 131 ADMINISTRATION PUBLIQUE mitation du territoire de l’agglomération actuelle, entérinée dans le projet240. L’ancêtre – toujours vivant – de la Conférence des bourgmestres est donc appelé à la rescousse pour signaler que le choix des dix-neuf communes repose sur une réalité tangible, objective, et qui s’est spontanément formée. Dans le même contexte, et même si l’exposé des motifs du projet de loi ne le confirme pas expressément241, la création, directement par le législateur242, de cinq fédérations de communes autour de Bruxelles – Asse, Hal, Tervueren, Vilvorde et Zaventem –, est à l’évidence de nature à contenter le nord du pays, qui constate ainsi que les six communes à facilités sont mêlées à une « ceinture »243 de fédérations de communes flamandes, facteur susceptible de freiner toute extension de la « tache d’huile » francophone244. L’arrière-pensée politique est assez facilement décelée. En réponse aux soupçons de certains députés, le ministre de l’Intérieur, Lucien Harmegnies, affirme pourtant, en commission, que « ce sont bien des critères objectifs qui ont présidé aux choix qui ont été faits en ce qui concerne les fédérations périphériques à l’agglomération bruxelloise et que toutes les hypothèses, tant les minimalistes que les plus larges, ont été envisagées »245. En dépit de ces explications, que voudront bien croire les plus naïfs, la supracommunalité est donc, ici aussi, une réponse aux enjeux communautaires qui se nouent autour de Bruxelles. Le ministre de l’Intérieur insistera d’ailleurs encore sur le fait que la délimitation des fédérations périphériques est le fruit d’un accord réalisé au sein du gouvernement, tout en indiquant, selon un procédé rhétorique devenu classique – et éprouvé –, que dans le cadre de l’opération visant à diviser tout le territoire de la province de Brabant en fédérations, qui aura lieu « au plus tôt », 240 Rapport Deruelles et Verroken, op. cit., p. 52. Est évoquée la nécessité de « ne point favoriser une extension démesurée de nos grandes agglomérations qui, vu l’ampleur de leur population, et leur puissance sociale, économique et culturelle, serait susceptible, dans un pays de la taille de la Belgique, de susciter de dangereux déséquilibres » (projet de loi organisant les agglomérations et les fédérations de communes, exposé des motifs, Doc. parl., Ch., sess. 1970-1971, no 973/1, p. 4, voy. aussi p. 12). 242 Ici aussi par dérogation au principe fixé dans la loi, selon lequel une consultation préalable des communes concernées doit être organisée avant de constituer une fédération. 243 On parle de la « ceinture d’émeraude », ou du « Gordel ». 244 A. MÉAN, op. cit., p. 177. Voy. aussi M. LEROY, op. cit., p. 65. Les fédérations périphériques créées par l’article 24 de la loi du 26 juillet 1971 seront toutefois supprimées à l’occasion de l’adoption de la loi du 30 décembre 1975 portant : 1° ratification d’arrêtés royaux pris en exécution de la loi du 23 juillet 1971 concernant la fusion de communes et la modification de leurs limites ; 2° suppression des fédérations périphériques créées par la loi du 26 juillet 1971 organisant les agglomérations et les fédérations de communes (M.B., 23 janvier 1976). 245 Rapport Deruelles et Verroken, op. cit., p. 13. 241 132 il n’est pas exclu que les limites des fédérations actuellement visées soient modifiées246. 59. Les attributions des agglomérations ou fédérations de communes, telles que fixées à l’article 4 de la loi du 26 juillet 1971, sont les suivantes : « § 1er. Les agglomérations et les fédérations encouragent la coordination des activités des communes, et notamment la coordination technique des services de police communale. § 2. Les attributions des communes dans les matières suivantes sont transférées à l’agglomération ou à la fédération : 1° l’adoption de plans généraux d’aménagement ; 2° l’avis sur les plans particuliers d’aménagement ; 3° l’avis sur le plan de secteur ; 4° la réglementation de la bâtisse et du lotissement ; 5° l’enlèvement et le traitement des immondices ; 6° le démergement247 ; 7° le transport rémunéré de personnes ; 8° l’expansion économique ; 9° la défense et la protection de l’environnement, en ce compris les espaces verts, la lutte contre le bruit et la pollution ainsi que la rénovation des sites ; 10° la lutte contre l’incendie ; 11° l’aide médicale urgente. § 3. Avec l’accord ou à la demande de la moitié au moins des communes qui la composent, et pour autant que ces communes représentent les deux tiers de la population, l’agglomération ou la fédération peut régler : 1° la création, la reprise, la gestion et l’éclairage de la voirie d’agglomération ou de fédération, les règlements complémentaires ayant pour objet la police de la circulation routière sur cette voirie, les plans d’alignement y afférents, ainsi que la délivrance de permis de lotir impliquant la création ou la modification de cette voirie ; 2° les aéroports ; 3° la détermination de l’emplacement des marchés publics d’intérêt d’agglomération, de fédération ou régional ; 4° les abattoirs ; 5° les parkings publics ; 6° la promotion, l’accueil et l’information en matière de tourisme ; 7° le camping, en ce compris le caravaning ; 8° les fours crématoires et les columbariums ; 9° l’organisation de services d’aide technique aux communes qui la composent. 246 Ibidem, pp. 52-53. Pour une définition, voy. le rapport Deruelles et Verroken, op. cit., p. 25. 247 ADMINISTRATION PUBLIQUE § 4. L’agglomération ou la fédération exerce en outre : 1° les attributions actuellement exercées par l’État ou la province qui lui sont confiées dans le cadre de la décentralisation et de la déconcentration ; 2° les attributions que le conseil d’agglomération ou de fédération accepte d’exercer à la demande d’une ou plusieurs communes de son territoire. § 5. Dans les matières visées aux paragraphes 2, 3 et 4, l’agglomération et la fédération disposent d’un pouvoir de décision qui est exercé, suivant les dispositions de la présente loi, par leurs organes compétents. Ces organes exercent par voie d’arrêtés et de règlements les attributions qui leur sont conférées. Pour tout autre problème qui concerne l’agglomération ou la fédération, celle-ci est habilitée à adresser des recommandations aux autorités communales ». Alors qu’en vertu de l’article 108ter de la Constitution, le législateur aurait pu confier à l’agglomération et à la fédération tout ce qui est de l’intérêt de l’agglomération ou de la fédération, de la même manière que les communes peuvent régler tout ce qui est d’intérêt communal et les provinces tout ce qui est d’intérêt provincial, il a préféré procéder par énumération des attributions transférées aux agglomérations et aux fédérations de communes248. L’histoire ne dit pas si la méthode a été choisie dans la mesure où l’agglomération bruxelloise préfigurait la Région, pour laquelle la technique de l’attribution de compétences « énumérées » sera également utilisée. Chapitre 4 – La concrétisation 60. Le Conseil de l’Agglomération de Bruxelles est installé le 12 juin 1972. Les élections d’agglomération du 21 novembre 1971 tournent toutefois à la duperie, qu’un parlementaire avait pourtant prédite, puisqu’il a même tenté de faire voter un amendement aux fins d’obtenir que « les candidats au conseil de l’Agglomération bruxelloise appartiennent réellement à la communauté linguistique qu’ils désirent représenter »249. Le ministre de l’Intérieur, tout en comprenant le souci d’éviter que « la parité soit contredite », avait néanmoins proposé d’en rester aux termes du projet de loi, dans la mesure où le vote de l’amendement « introduirait la notion de sous-nationalité dans notre système électoral »250. 248 R. ANDERSEN, « Les compétences des institutions bruxelloises », in R. ANDERSEN, G. BROUHNS, F. DELPÉRÉE, F. JONGEN, M.-F. RIGAUX, H. SIMONART et M. VERDUSSEN, La Région de Bruxelles-Capitale, Bruxelles, Bruylant, 1989, p. 263. 249 Voy. la discussion de cet amendement, dans le rapport Deruelles et Verroken, op. cit., Doc. parl., Ch., sess. 1970-1971, no 973/20, p. 56. 250 Ibidem, p. 53. Résultat : l’appartenance d’un conseiller d’agglomération au groupe linguistique français ou au groupe linguistique néerlandais est déterminée par la seule déclaration du candidat, laquelle est irréversible pendant toute la durée de son mandat251. Le FDF parvient, sur cette base, à faire élire sur les listes du Rassemblement bruxellois des candidats qui ont prétendu être néerlandophones alors qu’ils ne l’étaient pas. Conséquence de cette attitude, non seulement, sur les 83 élus au Conseil, seuls 30 sont officiellement néerlandophones, mais en outre, la moitié des membres néerlandophones du Collège d’agglomération sont issus du Rassemblement bruxellois. Au sein du Conseil lui-même, il est, dans ces conditions de représentation, tout simplement impossible d’actionner le mécanisme de la sonnette d’alarme prévu par le constituant252. L’attitude de ceux qu’on surnommera ensuite les « faux flamands » du FDF aura, tel un véritable « péché originel »253, d’importantes et fâcheuses conséquences. C’est notamment la collaboration avec la tutelle qui sera mise à mal, la plupart des décisions de l’agglomération étant appelées à subir la suspension ou l’annulation de l’autorité nationale254. La vie de l’Agglomération sera « tumultueuse » et « émaillée par de très nombreux incidents communautaires »255. « Le détournement du sens de la loi pèsera sur le Conseil d’agglomération durant toute son existence. À tel point qu’il ne sera jamais renouvelé, francophones et néerlandophones ne parvenant pas, avant août 1987, à se mettre d’accord sur de nouvelles règles d’élection »256, 257. C’est alors qu’un article 62ter sera inséré dans la loi du 26 juillet 1971 aux fins de régler dans le détail les conditions et les conséquences de la présentation de candidats de groupes linguistiques différents sur une même liste : la dévolution des sièges partira du principe que les listes étaient néanmoins distinctes258. 251 Projet de loi organisant les agglomérations et les fédérations de communes, exposé des motifs, Doc. parl., Ch., sess. 1970-1971, no 973/1, p. 20. 252 Voy., à ce propos, E. WITTE et J. CRAEYBECKX, op. cit., pp. 433-434. 253 A. DELCAMP, op. cit., p. 84. 254 X, « Bruxelles et la réforme des institutions », C.H. CRISP, no 613 du 14 septembre 1973, p. 8. 255 Ph. DE BRUYCKER et N. LAGASSE, « Bruxelles dans la réforme de l’État belge », op. cit., p. 233. 256 A. MÉAN, op. cit., p. 180. Voy. aussi F. PERIN, op. cit., pp. 218-219, A. DELCAMP, op. cit., p. 54, ou encore K. RIMANQUE, « De nieuwe kleren van de keizer – Over schijn en werkelijkheid in de Staatshervorming », R.W. 1984-1985, p. 643. 257 Voy. les articles 62 et suivants, de la loi du 27 juillet 1971, telle que modifiée par la loi du 21 août 1987. 258 Voy. l’article 13 de la loi du 21 août 1987 modifiant la loi organisant les agglomérations et les fédérations de communes et portant des dispositions relatives à la Région bruxelloise, M.B., 26 septembre 1987. 133 ADMINISTRATION PUBLIQUE Dès le pacte d’Egmont259, en 1977, puis lorsque les institutions régionales bruxelloises seront créées, en 1989260, c’est d’une interdiction permanente de composer des listes bilingues qu’il sera question. Or il s’agit là d’un « facteur favorisant le clivage communautaire des élus au détriment de l’émergence d’une véritable identité régionale »261. Mais tel sera le reflet de la volonté du législateur de « tirer les leçons de l’expérience de l’Agglomération et des tensions communautaires qu’elle a connues »262. 61. Outre les difficultés politiques et communautaires précitées, l’Agglomération de Bruxelles fait encore face à d’autres problèmes concrets, d’ordre financier, à tel point qu’une réforme de l’institution doit être envisagée sans attendre la création des institutions régionales263. L’article 4, déjà cité intégralement, est donc modifié par la loi du 21 août 1987264. Sont retirées aux agglomérations – enfin, concrètement, à la seule Agglomération bruxelloise – les attributions transférées à l’origine en matière d’aménagement du territoire et d’environnement, de même que celles relatives à l’expansion économique, « ce qui était parfaitement logique dans la perspective, alors non encore réalisée, de la révision de l’article 108ter de la Constitution et de la loi spéciale relative aux institutions bruxelloises »265. L’agglomération est, certes, maintenue, mais elle est privée de sept compétences sur les douze qui lui étaient dévolues à l’origine : l’intérêt supracommunal est raboté, au profit de la future région. On peut comprendre, en effet, que l’agglomération perde les compétences exercées dans des domaines régionalisés par la loi spéciale de réformes institu259 J. CLÉMENT et X. DELGRANGE, « La protection des minorités/De bescherming van de minderheden », in E. WITTE, A. ALEN, H. DUMONT et R. ERGEC (réd.), Het statuut van Brussel/Bruxelles et son statut, op. cit., p. 529. Voy., à propos de ce pacte, infra, troisième partie, titre 2, chapitre 1er. 260 Voy. infra, quatrième partie, titre 3, chapitre 1er. 261 P. VANLEEMPUTTEN, Les institutions bruxelloises – Leur position dans la structure fédérale de l’État, leur organisation, leur fonctionnement, leur financement, Bruxelles, Bruylant et Némésis, 2003, p. 23. Voy. aussi G. CEREXHE, « Les institutions bruxelloises : le pari de la loyauté ? », in La loyauté – Mélanges offerts à Étienne Cerexhe, Bruxelles, Larcier, 1997, p. 65 et, commentant cette doctrine, Y. LEJEUNE et W. PAS, « Le fonctionnement des institutions/De werking van de instellingen », in E. WITTE, A. ALEN, H. DUMONT et R. ERGEC (réd.), Het statuut van Brussel/Bruxelles et son statut, Bruxelles, De Boeck et Larcier, 1999, p. 512. 262 G. CEREXHE, « Les institutions bruxelloises : le pari de la loyauté ? », in X, La loyauté – Mélanges offerts à Étienne Cerexhe, Bruxelles, Larcier, 1997, p. 52. Voy. aussi N. LAGASSE, « Gouverner Bruxelles – Règles en vigueur et débat », C.H. CRISP 1999, nos 1628-1629, p. 14. Voy. également, s’agissant du projet de loi spéciale relative aux institutions bruxelloises, le rapport fait au nom de la commission de révision de la Constitution, des réformes institutionnelles et du règlement des conflits par MM. Tomas et Anciaux, Doc. parl., Ch., sess. 1988-1989, no 661/4, p. 55. 263 A. DELCAMP, op. cit., p. 63. Voy. aussi R. ANDERSEN, op. cit., p. 266. 264 M.B., 26 septembre 1987. 265 S. GEHLEN, « Bruxelles, région à part entière ? À propos de la révision de l’article 108ter de la Constitution », A.P.T., 1988, p. 201. 134 tionnelles du 8 août 1980, dans la mesure où il est peu concevable que certaines matières relèvent à la fois de la région et de l’agglomération sur un territoire aussi exigu266. L’agglomération bruxelloise, comme telle, se voit en revanche transférer de nouvelles attributions, relatives à la distribution de l’eau, au balayage et au déneigement de la voirie publique, « afin de créer un bloc de compétences autour de la notion de propreté publique »267. Elle est également chargée de créer une voirie d’agglomération par la reprise des voiries communales, de gérer et d’éclairer celles-ci. Elle devient également compétente pour régler l’informatique des communes268. Outre les compétences transférées et les compétences dévolues, les compétences de l’Agglomération comprennent donc l’enlèvement et le traitement des immondices, la lutte contre l’incendie, l’aide médicale urgente et le transport rémunéré des personnes. TITRE 4 – LES COMMISSIONS DE LA CULTURE Chapitre 1er – L’idée 62. L’organisation des organes de l’agglomération reflète déjà la prise en compte de l’existence des deux grandes communautés à Bruxelles. Le constituant a jugé que cela n’était pas suffisant. Pour rappel, l’intention originaire était de constituer une commission de la culture au sein de chaque agglomération. Finalement, sur la base des conclusions du groupe des vingt-huit, le constituant a entendu imposer cet organe à la seule Agglomération bruxelloise, qui plus est en le dédoublant, voire en le détriplant. C’est ainsi qu’aux termes de l’article 72 de la loi du 26 juillet 1971, il existe, dans l’Agglomération bruxelloise, une commission française de la culture et une commission néerlandaise de la culture, qui constituent ensemble les commissions réunies. Les deux commissions de la culture, de même que les commissions réunies qu’elles composent ensemble, ont chacune une personnalité juridique propre et sont soumises aux règles de contrôle prévues par l’article 3, § 2, de la loi du 16 mars 1954 relative au contrôle de certains organismes d’intérêt public. « Toutes trois peuvent être comparées à des institutions parastatales, placées sous le contrôle des ministères de l’Éducation nationale et de la Culture (…) »269. 266 Ph. DE BRUYCKER, « Bruxelles dans la réforme de l’État », op. cit., p. 23. A. DELCAMP, op. cit., p. 63. Voy. l’article 2 de la loi du 21 août 1987. 269 X, « Bruxelles et la réforme des institutions », C.H. CRISP, no 613 du 14 septembre 1973, p. 7. 267 268 ADMINISTRATION PUBLIQUE Elles sont composées de membres élus en raison de leur compétence particulière, mais ceux-ci doivent être éligibles au conseil d’agglomération pour pouvoir être désignés. 63. Les attributions respectives des commissions de la culture, déjà définies en partie par l’article 108ter de la Constitution, sont précisées dans la loi du 26 juillet 1971, puis complétées par la loi du 21 août 1987. Ainsi, l’article 72, § 2, de la loi du 26 juillet 1971 prévoit que chaque commission de la culture exerce, pour ce qui la concerne, les mêmes compétences que les autres pouvoirs organisateurs dans les matières préscolaires, postscolaires et culturelles, en ce compris les loisirs et les sports, ainsi qu’en matière d’enseignement270. Par « matières culturelles », il y a lieu de comprendre les matières culturelles telles que définies par la loi du 21 juillet 1971, relative à la compétence des conseils culturels, qui explicite les matières culturelles visées à l’article 59bis, § 2, 1°, de la Constitution271, de la manière suivante272 : — « la défense et l’illustration de la langue ; — l’encouragement et la formation des chercheurs ; — les beaux-arts, y compris le théâtre et le cinéma ; — le patrimoine culturel, les musées et les autres institutions scientifiques culturelles ; — les bibliothèques, discothèques et services similaires ; — la radiodiffusion et la télévision ; — la politique de la jeunesse ; — l’éducation permanente et l’animation socioculturelle ; — l’éducation physique, le sport et la vie en plein air ; — les loisirs et le tourisme273 ». Les commissions réunies exercent les attributions des commissions lorsqu’il s’agit d’objets d’intérêt commun, prévoit l’article 73 de la loi, ajoutant qu’elles sont en outre chargées de « pro270 Chaque commission a en particulier pour mission : 1° d’élaborer et d’exécuter une programmation de l’infrastructure culturelle, scolaire, pré et postscolaire ; 2° de créer les institutions nécessaires, de les gérer et d’accorder des subsides dans les conditions fixées par la loi du 29 mai 1959, dite loi du « Pacte scolaire » ; 3° d’adresser des recommandations aux chambres législatives, aux conseils culturels, au gouvernement, à la province, à l’agglomération et aux communes de l’agglomération et de donner à ces autorités des avis, soit à leur demande, soit d’initiative ; 4° de prendre et d’encourager les initiatives culturelles ; 5° d’accomplir toute autre mission dont elle serait chargée par le pouvoir législatif, un conseil culturel ou le gouvernement. 271 Voy. l’article 127 de la Constitution coordonnée. 272 M.-A. FLAMME, « Quels sont les pouvoirs de la Commission bruxelloise de la Culture française ? », Rev. comm., 1973, pp. 59-60. 273 À propos du tourisme, voy. supra, note 164. mouvoir la vocation nationale et internationale de l’agglomération ». Elles doivent, en outre, accomplir toute mission dont elles seraient chargées par le pouvoir législatif, les conseils culturels, le gouvernement, la province ou l’agglomération. Depuis 1987, elles peuvent également se voir confier la gestion d’institutions et d’infrastructures relatives à l’enseignement et aux matières pré et postscolaires et culturelles, par une ou plusieurs communes. Elles sont, en vertu de l’article 82 de la loi du 26 juillet 1971, financées par des dotations annuelles inscrites au budget respectif des conseils culturels pour la communauté culturelle française et la communauté culturelle néerlandaise, outre des subventions, des donations et des legs. Elles peuvent encore demander aux communes de contribuer à leurs dépenses. Les commissions peuvent, pour les matières qui relèvent de leurs attributions, adopter des règlements et arrêtés subordonnés à la tutelle du Roi, sur proposition du conseil des ministres274. 64. Sur les commissions réunies, les explications suivantes ont été fournies dans le cadre des travaux parlementaires : « Les deux conseils culturels auront compétence, à Bruxelles, pour des établissements relevant exclusivement de leur groupe linguistique. Les établissements qui ont une vocation nationale et qui respectent les lois linguistiques seront énumérés dans une loi ; ils continueront à dépendre du Parlement national et non des conseils culturels. Si, cependant, il y avait à Bruxelles au niveau de l’agglomération – et donc pas au niveau national – des établissements qui s’adressent aux deux cultures, un problème pourrait se poser. C’est pourquoi il a été prévu que les commissions culturelles peuvent se réunir ensemble, afin d’élaborer conjointement des programmes culturels relatifs aux tâches nationales ou internationales de Bruxelles »275. Chapitre 2 – Les questionnements sur la valeur ajoutée 65. La création des commissions de la culture et la définition de leurs attributions n’ont pas manqué de susciter des débats quant à leur rôle et à leur valeur ajoutée. 274 La loi de 1971 réserve au Roi la tutelle administrative sur les agglomérations et sur les commissions de la culture, les fédérations étant pour leur part placées sous la tutelle de la députation permanente du conseil provincial compétent (article 56 de la loi du 24 août 1971). Lors de la deuxième réforme de l’État, ce pouvoir de tutelle sur les commissions sera transféré aux Exécutifs communautaires correspondants. 275 Rapport Lindemans, op. cit., Doc. parl., Ch., sess. extr. 1968, no 10-33/1, p. 46. 135 ADMINISTRATION PUBLIQUE Les commissions de la culture s’ajoutent-elles aux pouvoirs organisateurs déjà existants dans l’agglomération bruxelloise en matière culturelle, préscolaire et postscolaire et en matière d’enseignement, à savoir d’une part les communes, de l’autre les provinces et l’État, qu’il s’agisse – à l’époque encore – de l’État central ou des deux Communautés276 ? Telle est une première thèse défendue à propos des commissions. Plus précisément, « les activités des commissions culturelles ne (portent) pas atteinte aux compétences des communes en matière d’enseignement. La commune reste entièrement compétente. Ce n’est que si la commune, la province ou l’État faisaient preuve de carence que les commissions culturelles – et ceci, en pratique, n’est valable que pour la commission flamande, car il n’y a aucun problème à Bruxelles dans le domaine de l’enseignement en langue française – pourraient procéder à la création de nouveaux établissements d’enseignement »277. Mais une thèse différente a également cours. Selon celle-ci, « il y a donc exercice concurrent des mêmes pouvoirs et non pas – comme il l’a parfois été avancé au cours des travaux préparatoires – simple intervention supplétive ou complémentaire de la part des commissions culturelles. Bien entendu, cette concurrence ne signifie ni “doubles emplois” ni “gaspillages”. Comme l’a souligné le ministre Tindemans (…), “une concertation doit avoir lieu ; il y aura également une programmation, tout comme il existe actuellement une coopération entre six cabinets en vue de déterminer les besoins de la région bruxelloise” »278. C’est cette seconde thèse qui prévaudra. L’attribution de compétences aux commissions de la culture identiques à celles détenues par d’autres pouvoirs organisateurs tend à leur permettre d’intervenir dans ce domaine concurremment avec les autres autorités compétentes. Il s’agit d’habiliter les Bruxellois, francophones ou néerlandophones, à intervenir de leur seul chef dans l’hypothèse où les actions menées par les autorités normalement compétentes ne les satisferaient pas, en recourant à l’instrument du règlement279. 276 S. GOVAERT, « L’action des deux communautés de la culture à Bruxelles : essai d’évaluation comparée », in X, Le problème de Bruxelles depuis ValDuchesse (1963), actes du colloque VUB-CRISP des 20 et 21 octobre 1988, t. 2, Bruxelles, VUB Press, 1989, p. 121. 277 Révision de la Constitution, révision de l’article 126, article 108ter nouveau, rapport fait au nom de la commission de révision de la Constitution par M. Lindemans, Doc. parl., Ch., sess. extr. 1968, no 10-33/1, p. 46, p. 52. 278 M.-A. FLAMME, op. cit., p. 62. 279 En ce sens, mais à propos de l’article 64 de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises, voy. M. DONY et B. BLERO, « La répartition des compétences en matière de politique de santé », C.H. CRISP, nos 1300-1301, 1990, p. 41. 136 Les commissions de la culture peuvent créer et gérer, « tout comme l’État, les provinces, les communes ou le secteur libre, des réseaux d’institutions à vocation scolaire, culturelle ou sportive », leurs seules limites étant constituées par les ressources financières mises à leur disposition280. 66. Quoi qu’il en soit, l’existence des commissions de la culture, en tout cas du point de vue du droit public, ne représente pas grand-chose : relevant de la municipalité, elles ont « consacré l’essentiel de leurs activités au domaine culturel, finançant des recherches, patronnant des expositions »281. « Bref, c’étaient là des entreprises qui ne requéraient pas la mise en œuvre de prérogatives de puissance publique »282. Quant aux commissions réunies, elles ne seraient en pratique jamais retrouvées283… Toujours est-il que ces instances seront encore en place au moment de la création, en 1988, des institutions régionales bruxelloises définitives. TITRE 5 – DEUXIÈME CONCLUSION – DES INSTITUTIONS ET DES ATTRIBUTIONS SUPRACOMMUNALES 67. La réforme des institutions de 1970 consacre la première grande « solution transactionnelle du conflit communautaire »284. Au niveau national, d’abord, les francophones obtiennent diverses garanties contre leur minorisation – parité au conseil des ministres, groupes linguistiques au Parlement et sonnette d’alarme – et les Flamands parviennent à constitutionnaliser leur autonomie culturelle. Ce réaménagement se fait « dans un esprit d’équilibre des deux grandes communautés, et non dans une perspective fédéraliste ». « Et pour cause, le principe même du fédéralisme était à ce moment rejeté par la très grande majorité du monde politique (ce qui est) d’ailleurs le grand paradoxe de la réforme de 1970-1971, d’avoir engagé le pays dans la voie du fédéralisme tout en refusant le principe de celui-ci »285. Au niveau bruxellois, ensuite, des concessions réciproques sont actées. En effet, l’élection directe du Conseil d’agglomération, qui avantage les francophones, supérieurs en nombre, est compensée par la transposition, en « miroir inversé »286, des protections que les francophones viennent d’obtenir au niveau national : parité au Collège d’ag280 X, « Bruxelles et la réforme des institutions », C.H. CRISP, no 613 du 14 septembre 1973, p. 7. 281 M. LEROY, op. cit., p. 65. 282 Ibidem, p. 65. 283 Ibidem, p. 65. 284 P. WIGNY, op. cit., p. 40. 285 M. LEROY, op. cit., p. 44. 286 M. REUCHAMPS, « La parité linguistique au sein des “gouvernements” bruxellois », Rev. dr. ULg. 2008, livr. 2, p. 183. ADMINISTRATION PUBLIQUE glomération, groupes linguistiques et sonnette d’alarme, avec, en outre, un dédoublement des commissions culturelles. Par ailleurs, la réforme et les débats qui l’ont nourrie permettent à la région centrale du pays, qui a longtemps cru que les querelles entre Flamands et Wallons ne la concernaient pas, de s’apercevoir qu’elle est coincée entre les deux communautés, lesquelles « risquent de s’entendre à ses dépens »287. À ce stade, toutefois, les Flamands et les Wallons ne parviennent pas à s’accorder sur son sort définitif. 68. Certes, en 1971, Bruxelles s’est trouvée « au carrefour de deux processus : celui de la mise en place d’une régionalisation approfondie dans le cadre d’un état en voie de fédéralisation, celui de la recherche d’une amélioration de la gestion communale – et en particulier celle des grandes agglomérations – à travers une restructuration territoriale »288. Mais, précisément compte tenu de cette situation, il est difficile de voir dans l’agglomération bruxelloise autre chose qu’une institution provisoire destinée à « pallier l’absence de région »289. Il en va d’autant plus qu’elle est finalement la seule agglomération à voir le jour290, comme si la formule répondait là à un besoin qui était rencontré ailleurs par les nouvelles institutions du pays en cours de fédéralisation291. En tout cas, dès sa conception par le constituant, l’agglomération bruxelloise, dont la création aurait pu n’avoir pour objet que de répondre à un simple problème de gestion communale, se distingue des autres que le législateur avait envisagées, et correspond à « une collectivité politique hybride »292, notamment parce qu’elle répond autant au souhait de contenir Bruxelles qu’à celui de résoudre les problèmes techniques de gestion d’une grande agglomération293. « L’existence et les compétences de ces organes ne peut trouver sa justification ailleurs que dans la tentative de résoudre à Bruxelles – et par le biais d’une solution décentralisée – ce qu’ailleurs on a résolu en terme d’autonomie de type fédéral pour les Communautés française et flamande »294. 287 P. WIGNY, op. cit., p. 78. A. DELCAMP, op. cit., p. 59. En ce sens, voy. Chronique de la Belgique – Du néolithique à l’époque contemporaine, Paris, Éditions Chronique, 2012, p. 441. 290 S. GEHLEN, op. cit., p. 201. 291 Comp. Ph. DE BRUYCKER, « Intervention », in R. ANDERSEN, G. BROUHNS, F. DELPÉRÉE, F. JONGEN, M.-F. RIGAUX, H. SIMONART et M. VERDUSSEN, La Région de Bruxelles-Capitale, Bruxelles, Bruylant, 1989, p. 294, qui explique que les autres agglomérations n’ont jamais vu le jour parce qu’elles ont été rapidement dépassées dans les faits par le vaste mouvement de fusion des communes qui a eu lieu au cours des années septante. 292 M.-Fr. RIGAUX, op. cit., p. 23. 293 A. DELCAMP, op. cit., p. 98. 294 M.-Fr. RIGAUX, op. cit., p. 28. 288 289 Définir le statut de Bruxelles n’aura pas été simplement « un problème technique destiné à définir le meilleur niveau possible de décentralisation ou d’autonomie possible pour une cité-capitale »295. En réalité, « la recherche d’institutions adaptées à la gestion de la plus grande agglomération du pays n’était qu’un objectif de second plan par rapport à l’enjeu communautaire dont elle était le symbole »296. 69. La mise sur pied de l’agglomération bruxelloise mérite d’être considérée comme une étape essentielle dans le processus qui aboutira à « doter la région de Bruxelles-Capitale d’un statut définitif »297. S’y retrouvent déjà de nombreux éléments qui seront conservés et récupérés par la suite lorsque le fait fédéral atteindra l’agglomération298. Ainsi en va-t-il de la limitation du territoire aux dix-neuf communes et, sur le plan institutionnel, de la séparation de l’assemblée en groupes linguistiques, de la sonnette d’alarme et de la parité linguistique au niveau du collège. Quant aux attributions, elles sont, certes, libellées en faveur d’un pouvoir supracommunal et relèvent donc en principe de l’intérêt purement local. De nombreuses compétences attribuées à l’agglomération s’avéreront néanmoins « parallèles » à celles qui ont été envisagées pour les régions, et lui seront d’ailleurs retirées à partir de 1987. TROISIÈME PARTIE – BRUXELLES JUSQU’À LA DEUXIÈME RÉFORME DE L’ÉTAT (1980) TITRE 1ER – LES LOIS DE RÉGIONALISATION « PRÉPARATOIRES » Chapitre 1er – Le contexte 70. Depuis l’adoption de l’article 107quater en 1970, son exécution constitue pour le pays le problème « sinon le plus important, du moins le plus controversé »299. Les formules imaginées sont nombreuses, s’agissant de la composition des futurs organes régionaux, de leurs compétences et de la tutelle à mettre en œuvre à leur égard, mais aucune n’est de nature à obtenir la majorité requise. 71. À la fin du mois de novembre 1972, le premier ministre Gaston Eyskens démissionne et quitte définitivement la politique. Le socia295 A. DELCAMP, op. cit., p. 37. Ibidem, p. 37. 297 S. GEHLEN, op. cit., p. 200. 298 Voy. à cet égard la prémonition de F. PERIN, op. cit., p. 286. 299 Rapport fait au nom de la commission spéciale par M. de Keersmaeker, notamment à propos du projet de loi créant des institutions régionales, à titre préparatoire à l’application de l’article 107quater de la Constitution, Doc. parl., Ch., sess. extr. 1974, no 194/6, p. 2. 296 137 ADMINISTRATION PUBLIQUE liste francophone Edmond Leburton lui succède et « encommissionne »300 le sujet de la régionalisation, chargeant une commission parlementaire mixte de plancher sur la question. Celle-ci dépose un rapport final volumineux le 13 septembre 1973301, lequel fait, en dépit du caractère approfondi et technique des débats302, peu d’effet, non seulement parce la commission n’a pas pu émettre un avis univoque, mais surtout dans la mesure où le gouvernement ne peut ou ne veut rien concevoir303. Il n’est d’ailleurs pas le seul à préférer cette stratégie de la lenteur. Tous les partis qui participent aux travaux veulent gagner du temps, y compris les fédéralistes, pour qui il faut éviter la mise en place de la régionalisation envisagée par le gouvernement, dès lors qu’elle est trop minimaliste, et surtout provincialiste304. 72. Il faut attendre l’arrivée de Léo Tindemans – vice-premier ministre chargé des Affaires institutionnelles sous Leburton – à la tête du gouvernement, en 1974, pour engranger quelque progrès. S’agissant de Bruxelles, il est finalement convenu, une fois encore, que vu l’absence d’accord autre à l’issue des travaux de la commission parlementaire mixte, les limites de la future région coïncideront avec le territoire actuel de l’agglomération305. 73. À défaut de solution globale concernant Bruxelles dans le cadre du premier dialogue de communauté à communauté mené en avril 1974 au château de Steenokkerzeel, le gouvernement, qui n’a donc pas de solution globale aux problèmes communautaires, est obligé de « mettre au point une formule de régionalisation transitoire, provisoire ou, mieux encore, préparatoire »306. Il est, en effet, certain à ce stade que la majorité requise pour le vote d’une loi spéciale d’application de l’article 107quater n’est pas réunie. Le gouvernement s’en tire en mettant au point, à l’intervention des deux ministres de la Réforme des institutions, Robert Vandekerckhove et François Perin, un projet de loi « créant des institutions régionales, à titre préparatoire à l’application de l’article 107quater de la Constitution »307, institu300 Sur la pratique de l’encommissionnement s’agissant de Bruxelles, voy. F. PERIN, op. cit., p. 283. 301 Doc. parl., Ch., sess. 1972-1973, no 61/1, ou Doc. parl., Sén., sess. 1972-1973, no 427. 302 X., « Bruxelles et la réforme des institutions », C.H. CRISP, no 613 du 14 septembre 1973, p. 10. 303 F. PERIN, op. cit., p. 223. 304 M. LEGRAND, « Les travaux de la Commission parlementaire mixte sur la régionalisation (II) », C.H.CRISP, no 628 du 11 janvier 1974, pp. 19-20. Voy aussi, du même auteur, « Les travaux de la Commission parlementaire mixte sur la régionalisation (I )», C.H.CRISP, no 627 du 4 janvier 1974. 305 X, « Bruxelles et la réforme des institutions », C.H. CRISP, no 613 du 14 septembre 1973, p. 4. 306 A. MÉAN, op. cit., p. 188. 307 Doc. parl., Sén., sess. extr. 1974, no 301/1. 138 tions auxquelles il s’abstient de confier la compétence de « régler » des matières déterminées. En d’autres termes, est-il expliqué, il est exclu d’accorder aux instances créées un quelconque pouvoir normatif308. Seule une vocation consultative leur est attribuée, selon une méthode inspirée de la loi du 15 juillet 1970 portant organisation de la planification et de la décentralisation économique309. Le but annoncé : « débroussailler le problème »310. Plus officieusement, « il valait mieux amorcer la régionalisation que de laisser tomber les bras et paralyser toute évolution »311, et le vote d’une telle loi est la condition de la participation au gouvernement du Rassemblement wallon312. 74. On ne peut que comprendre la perplexité de la section de législation du Conseil d’État, qui n’omet pas, dans son avis313, de faire allusion au caractère vague de l’article 107quater : « L’article 107quater peut être compris de deux manières : Selon une première thèse, cette disposition vise essentiellement à pourvoir des organes régionaux d’un pouvoir normatif. D’après une autre thèse, qui fait une part plus large à la genèse et à l’économie de la disposition, l’article 107quater de la Constitution vise toute réforme régionale du pays, quelles qu’en puissent être les modalités juridiques. Le gouvernement semble se rallier à la première thèse. Aux termes de l’exposé des motifs le projet ne constitue pas une exécution de l’article 107quater de la Constitution, puisqu’il ne met en place qu’à titre préparatoire des conseils régionaux qui ne sont investis que d’une mission purement consultative. De cette motivation il est permis de déduire qu’au sentiment du gouvernement, il ne saurait être question de régionalisation au sens de l’article 107quater de la Constitution que dès l’instant où les régions se voient reconnaître une certaine autonomie par l’attribution d’un pouvoir normatif ». Faut-il le rappeler, la compétence de « régler » des matières, visée dans cette disposition constitutionnelle, a été soigneusement choisie, à la fois parce qu’elle couvrait l’hypothèse du seul pouvoir réglementaire, préconisé initialement lorsque les perspectives de régionalisation ont été négociées, et 308 Ibidem, p. 1. Projet de loi créant des institutions régionales, à titre préparatoire à l’application de l’article 107quater de la Constitution, rapport fait au nom de la commission spéciale pour la régionalisation par M. Cooreman, Doc. parl., Sén., sess. extr. 1974, no 301/2, p. 5. 310 Rapport de Keersmaeker, op. cit., Doc. parl., Ch., sess. extr. 1974, no 194/6, p. 8. 311 F. PERIN, op. cit., p. 227. 312 Ibidem, p. 228. 313 Doc. parl., Sén., sess. extr. 1974, no 301/1, pp. 11-16. 309 ADMINISTRATION PUBLIQUE parce qu’elle permettait de couvrir également l’attribution d’un pouvoir normatif aux régions à créer. Dans les deux hypothèses, donc, la loi en projet serait contraire aux termes larges de l’article 107quater, puisqu’il n’est pas prévu – au contraire – de l’adopter à la majorité spéciale. Le débat mis en évidence par la section de législation du Conseil d’État laisse en tout cas apparaître, certainement à la satisfaction de François Perin, devenu entre-temps ministre, que les esprits ont évolué, et que l’organisation définitive des régions supposera un pouvoir normatif. Chapitre 2 – La loi du 1er août 1974 75. L’organisation imaginée, et adoptée, est la suivante. Une nouvelle fois, le territoire des trois régions est « provisoirement » fixé en correspondance avec les limites des régions linguistiques, jusqu’à fixation des limites définitives par le vote d’une loi à majorité spéciale en exécution de l’article 107quater. Et, une nouvelle fois, la région bruxelloise comprend ainsi, « provisoirement », le territoire de l’arrondissement administratif de BruxellesCapitale. 76. Sont mis en place des conseils régionaux, composés en principe de sénateurs domiciliés dans la région wallonne, flamande ou bruxelloise. Les premiers et les deuxièmes doivent être issus du groupe linguistique français ou flamand exclusivement, tandis que les Bruxellois peuvent faire partie des deux groupes linguistiques. Dans le cadre des travaux parlementaires, la présence des sénateurs au sein des conseils régionaux est justifiée par le gouvernement en invoquant trois raisons. Il s’agit, tout d’abord, d’indiquer que la spécialisation du Sénat – vers une seconde chambre des entités fédérées – par rapport à la Chambre est à prévoir. La présence de membres du Parlement permet ensuite d’éviter que ne se constitue une sorte de contre-Parlement. Enfin, il est tout simplement question d’une formule qui a la préférence de tous les partis et qui pourrait donc résister dans le cadre de l’instauration définitive des régions en exécution de l’article 107quater314. Pour Bruxelles, une composition spécifique est prévue, qui ajoute aux sénateurs 42 membres du conseil d’agglomération. L’explication est 314 Rapport fait au nom de la commission spéciale par M. de Keersmaeker, notamment à propos du projet de loi créant des institutions régionales, à titre préparatoire à l’application de l’article 107quater de la Constitution, Doc. parl., Ch., sess. extr. 1974, no 194/6, p. 6. simple315 : « Il n’était pas possible d’admettre dans ce conseil régional les seuls sénateurs de la région de Bruxelles, francophones en majeure partie. La représentation de la communauté flamande à Bruxelles aurait presque été nulle. » En outre, « il convient de prévoir la fusion éventuelle du conseil d’agglomération et du conseil régional, ce qui constituera à nouveau une simplification »316. 77. Aux termes de l’article 4 de la loi du 1er août 1974, chacun des conseils régionaux peut d’initiative émettre un avis sur la nécessité de prendre, modifier ou abroger toute disposition légale ou réglementation dont l’application se limite à sa région, une partie de sa région ou à une institution établie dans sa région et ce, dans les matières ou une politique régionale se justifie en tout ou en partie. Ces matières sont énumérées comme suit : « 1° la politique d’aménagement du territoire et d’urbanisme, en ce compris la politique foncière, le remboursement des biens ruraux, la rénovation urbaine et l’assainissement des sites industriels désaffectés ; 2° la politique d’expansion économique régionale et de l’emploi ; 3° la politique du logement ; 4° la politique familiale et démographique ; 5° la politique d’hygiène et de santé publique ; 6° la politique de l’eau ; 7° la chasse, la pêche et les forêts ; 8° la politique industrielle et énergétique ; 9° l’organisation communale ». Le texte de la motion motivée contenant un tel avis est alors transmis au premier ministre et au ministre régional compétent, de même qu’aux présidents de la Chambre et du Sénat si la motion concerne des dispositions légales. On citera également l’article 5 de la loi du 1er août 1974, dont il résulte que l’avis du conseil régional compétent doit être sollicité avant le dépôt de tout projet de loi dont le champ d’application est limité à la région du conseil régional, à une partie de cette région ou à une institution qui y est établie. 78. Quant aux trois comités ministériels régionaux, ils doivent constituer la base de toute action gouvernementale dans le domaine régional. Composés par arrêté royal délibéré en conseil des ministres, en veillant à ce que le comité ministériel des affaires bruxelloises comprenne deux secrétaires d’État, dont l’un doit appartenir à un groupe linguistique différent du ministre qui pré315 Ibidem, p. 6. Cette fusion n’aura pas lieu comme telle ; voy. infra, quatrième partie, titre 4, chapitre 2. 316 139 ADMINISTRATION PUBLIQUE side, ils délibèrent collégialement et, à défaut d’accord, soumettent l’affaire au conseil des ministres. Les comités ministériels délibèrent de tout projet de loi « régional » au sens donné à ce terme par le législateur. Ils examinent également les motions motivées des conseils régionaux et examinent les suites qu’il convient d’y donner317. 79. Quant au financement des conseils régionaux, il est organisé par l’article 11 de la loi du 1er août 1974. La somme globale réservée aux dépenses des politiques régionales est répartie entre les trois régions de la manière suivante : « 1° un tiers est réparti au prorata du chiffre de la population de chaque région ; 2° un tiers est réparti au prorata de la superficie de chaque région ; 3° un tiers est réparti au prorata du rendement dans la région de l’impôt des personnes physiques ». 80. Pour le gouvernement, l’installation de ces structures consultatives est fondamentale à plusieurs titres. Très clairement, elles sont préparatoires à l’organisation définitive des régions, « même si l’on ne peut actuellement dépasser le stade de l’octroi aux régions d’un pouvoir consultatif »318. La nouvelle configuration « préfigure l’organisation définitive de la régionalisation compte tenu des limites juridiques imposées à un projet qui ne peut se fonder sur l’article 107quater de la Constitution »319. Le gouvernement sait et indique déjà qu’au stade définitif, les conseils régionaux régleront par voie d’« ordonnance » les matières à l’égard desquelles ils se contenteront provisoirement de donner des avis320. La régionalisation préparatoire a aussi valeur expérimentale, « permettant d’apprécier l’efficacité du système et, au besoin, d’en corriger les vices et les éventuelles insuffisances ou inadéquations »321. Il est notamment tablé sur le fait que l’expérience permettra de ventiler les matières, de mieux définir, donc, ce qui est d’intérêt régional et ce qui est d’intérêt national322. Enfin, cette phase préparatoire aura aussi pour vertu de dépassionner le débat323 et d’apaiser les esprits, notamment s’agissant de la fixation des limites des régions324… 317 Voy. les articles 9 et 10 de la loi du 1er août 1974. Doc. parl., Sén., sess. extr. 1974, no 301/1, p. 2. 319 Ibidem, p. 2. 320 Ibidem, p. 2. 321 Ibidem, p. 2. 322 Rapport de Keersmaeker, op. cit., Doc. parl., Ch., sess. extr. 1974, o n 194/6, p. 6. 323 Doc. parl., Sén., sess. extr. 1974, no 301/1, p. 2. 324 Rapport Cooreman, op. cit., Doc. parl., Sén., sess. extr. 1974, no 301/2, p. 11. 318 140 En somme, le système proposé devrait permettre l’établissement du régime définitif de régionalisation lorsque les conditions d’application du vote d’une loi à majorité spéciale seront réunies. Il est toutefois remarquable que les instances provisoirement créées ne retiennent pas les mécanismes de protection imaginés au niveau national et répercutés au niveau de l’agglomération pour rassurer psychologiquement les Flamands : majorité spéciale, sonnette d’alarme, parité au sein du comité exécutif… Au sénateur qui a cherché à les faire intégrer dans la loi par voie d’amendement, il a notamment été répondu que sa proposition recueillait toute la sympathie, mais qu’on n’y voyait guère d’intérêt s’agissant de conseils consultatifs. En revanche, lui a-t-il été expliqué, « il va de soi que pareilles garanties devront être inscrites dans une loi portant exécution de l’article 107quater »325. Chapitre 3 – La loi du 19 juillet 1977 81. « En 1976, il devint manifeste que la révision constitutionnelle avait empêché une régionalisation trop poussée et qu’elle avait créé, parallèlement aux institutions déjà existantes, un écheveau de conseils régionaux aux compétences limitées ou inexistantes et généralement dépourvues de finances dignes de ce nom, écheveau que seuls des spécialistes parvenaient encore à démêler »326. Déjà dans le cadre de la discussion relative au projet qui allait devenir la loi de régionalisation préparatoire du 1er août 1974, plusieurs parlementaires s’étaient inquiétés à propos de l’accumulation des divers conseils et avaient interrogé le gouvernement quant à l’articulation entre les conseils régionaux préparatoires, les conseils économiques régionaux et, à Bruxelles, le conseil d’agglomération. Il avait à nouveau été envisagé à cette occasion que le conseil régional bruxellois coïncide avec le conseil d’agglomération327. Il faut dire, aussi, que, selon François Perin, l’un des promoteurs de la loi du 1er août 1974, Léo Tindemans « n’était pas pressé de la faire appliquer par des arrêtés royaux qui, par bribes et morceaux, commençaient à arracher des attributions aux ministères traditionnels »328. L’accumulation d’institutions, sans avancer sur la régionalisation, pose un problème politique de plus en plus palpable. 325 Ibidem, p. 28. E. WITTE et J. CRAEYBECKX, op. cit., p. 439. Voy. not. le rapport Cooreman, op. cit., pp. 9-10. Voy. ce qui sera finalement décidé, infra, quatrième partie, titre 4, chapitre 2. 328 F. PERIN, op. cit., p. 229. 326 327 ADMINISTRATION PUBLIQUE 82. Après un dialogue de communauté à communauté organisé au Parlement de novembre 1976 à mars 1977, et dont les nombreuses réunions auraient « incontestablement permis de dégager certaines lignes de force de la réforme de l’État »329, la loi du 19 juillet 1977330 abroge les dispositions de la loi du 1er août 1974 qui fondaient les conseils régionaux. Les comités ministériels régionaux sont, en revanche, maintenus. La paternité de cette réforme peut encore être attribuée à François Perin qui, en 1976, a déposé un rapport entre les mains de ses partenaires du gouvernement : « Après un bilan de la loi du 1er août 1974 et de ses arrêtés d’application, j’avançai des suggestions sur un projet susceptible d’être adopté à la majorité qualifiée. Les assemblées sortaient de leur caractère consultatif : elles devaient être dotées d’un véritable pouvoir dans des matières que la loi devait énumérer. À titre transitoire, pour quelques années d’expérience, les comités ministériels des communautés et régions restaient au sein du gouvernement »331. En commission spéciale de la Chambre des représentants, la réforme est présentée comme « un allégement, un simplification, et un incitant à la régionalisation définitive »332. « La suppression des conseils régionaux est devenue nécessaire pour que la préparation des lois concernant la régionalisation définitive et l’extension des matières culturelles puisse se faire de manière cohérente »333. À ce moment, en effet, l’état d’esprit est à l’optimisme. Tout le monde pense encore que la Pacte d’Egmont, conclu en mai 1977, sera exécuté avant la fin de l’année, et la suppression des conseils régionaux, dont l’activité semble avoir été assez maigre334, en est une première suite335. Il faudra, bientôt, déchanter. TITRE 2 – L’ÉCHEC DU PACTE D’EGMONT L’ACCORD DU STUYVENBERG ET DE Chapitre 1er – Un miracle éphémère 83. Au lendemain des élections de 1977, « une sorte de miracle se produit »336 sous la houlette de Léo Tindemans. L’intéressé a formé une grande coalition, qui associe notamment les partis dits « communautaires » des deux bords, à savoir le FDF et la Volksunie. Au palais d’Egmont, en mai 1977, puis au château du Stuyvenberg, en janvier 1978, un accord sur la régionalisation est enfin dégagé. L’accord est remarquable parce qu’il est « le fruit d’un compromis sur Bruxelles entre les antagonistes que l’on croyait inconciliables : le FDF et la Volksunie »337. Pour résoudre le problème des limites de Bruxelles, une idée proposée par François Perin en 1974 au château de Steenokkerzeel – sans que cela n’aboutisse à rien à l’époque – est récupérée. Il s’agirait de limiter la région aux dix-neuf communes, certes, « mais en donnant aux habitants de la périphérie qui le (désireraient) la capacité juridique d’exercer leurs droits politiques, administratifs, fiscaux, etc., dans une commune de leur choix de l’agglomération »338. 84. Sur cette base, le « projet 461 » est déposé le 5 juillet 1978 à la Chambre339. Ce texte est global. Il concerne tant les institutions régionales – en ce compris Bruxelles – que les dispositifs relatifs à l’autonomie culturelle. La Région bruxelloise comprend – comme de coutume – l’arrondissement administratif de Bruxelles-Capitale. Son conseil est transitoirement composé de députés et sénateurs, chaque groupe linguistique étant représenté, jusqu’à ce que l’élection directe de ses membres puisse être mise sur pied. Il adopte des ordonnances, mais exactement au même titre que les Conseils flamand et wallon, et ce dans les matières d’intérêt régional déterminées par le législateur national340. Le Collège fonctionne pratiquement de la même manière que les deux autres, sous la réserve que son fonctionnement ainsi que certains outils à la disposition du Conseil, tels la motion de méfiance, sont adaptés à la division des organes en deux groupes linguistiques. La Région bruxelloise reprend les attributions de l’Agglomération et succède à ses biens, droits, charges et obligations. Le projet consacre également un chapitre à la création d’une commission communautaire communale dans chaque commune de la région bilingue de Bruxelles-Capitale et dans les six com337 F. PERIN, op. cit., p. 244. F. PERIN, op. cit., p. 226. 339 Voy. l’exposé des motifs du projet de loi portant diverses réformes institutionnelles, Doc. parl., Ch., sess. 1977-1978 no 461/1. 340 À noter que l’article 28 du projet de loi précise non seulement les matières que les conseils régionaux peuvent régler par ordonnance, mais énumère également des matières qui ne sont pas d’intérêt régional, telles que les Affaires étrangères, la Défense nationale, la Justice, l’organisation judicaire et pénitentiaire, le droit civil, le droit commercial, la police des étrangers, la lutte contre la criminalité et, plus généralement, les matières réservées par la constitution à la loi ou au décret (communautaire, donc). 338 329 Projet de loi portant diverses réformes institutionnelles, Doc. parl., Ch., sess. 1977-1978, no 461/1, p. 3. 330 M.B., 27 juillet 1977. 331 F. PERIN, op. cit., p. 232. 332 Rapport de Keersmaeker, op. cit., p. 2. 333 Ibidem, p. 4. 334 Ibidem, pp. 3-4. 335 A. DELCAMP, op. cit., p. 40. 336 A. MÉAN, op. cit., p. 191. 141 ADMINISTRATION PUBLIQUE munes périphériques, dont l’activité s’adressera aux deux communautés culturelles. Enfin, le chapitre IV du projet concrétise le système de l’élection de domicile électoral dans la Région bruxelloise pour les habitants de Drogenbos, Kraainem, Linkebeek, Rhode-Saint-Genèse, Wemmel, Wezembeek-Oppem, Dilbeek, Grimbergen, Zaventem, Beersel, Vilvorde, Overijse et Leeuw-Saint-Pierre. De manière générale, on peut dire que le projet 461, et les accords qu’il traduit, reposent sur le principe des mêmes droits à accorder aux francophones de la périphérie et aux Flamands de Bruxelles341. 85. Le problème est que l’assemblée n’est pas constituante, à défaut de déclaration de révision de la Constitution préalable à la dissolution des chambres en 1977. Le premier ministre Léo Tindemans envisage, dans ces conditions, une réforme en deux phases, la première permettant de réaliser toutes les réformes possibles dans le cadre constitutionnel fixé en 1970, la seconde, débutant après les élections de 1981, lors de laquelle des chambres renouvelées et constituantes, réaliseraient la réforme complète de l’État342. Le projet 461, qui est supposé comprendre des dispositions qui peuvent entrer en application immédiatement, est donc transitoire, en attendant la révision de la Constitution, qui permettra la réforme définitive343. La section de législation du Conseil d’État critique pourtant le texte, le jugeant incompatible avec la Constitution en l’état344, ce qui contribue à la démission de Léo Tindemans le 11 octobre 1978345. Les « mauvaises langues » diront plutôt que l’intéressé a utilisé l’avis négatif de la section de législation davantage comme un prétexte, 341 Ph. DE BRUYCKER, « Bruxelles dans la réforme de l’État », op. cit., p. 12. E. WITTE et J. CRAEYBECKX, op. cit., p. 440. Projet de loi portant diverses réformes institutionnelles, Doc. parl., Ch., sess. 1977-1978, no 461/1, p. 3. 344 Avis sur le projet no 461, Doc. parl., Ch., sess. 1977-1978, nos 461/9, 461/19, 461/20, 461/25, 461/33 et 461/35. La section de législation critique des aspects essentiels du pacte, tels que la faculté d’élection de domicile électoral dans une des communes de la région de Bruxelles-Capitale pour les habitants de la périphérie – jugée contraire à l’équilibre constitutionnel atteint en 1970-1971 – mais aussi la possibilité pour la commission de la culture française de subisidier des activités socioculturelles dans les communes de la périphérie bruxelloise – jugée contraire à la répartition territoriale des compétences fixée dans la Constitution – et l’attribution des matières personnalisables aux conseils culturels, alors que la Constitution ne leur confie que les matières culturelles. Pour la facilité, voy. la version des différents avis de la section de législation sur le projet 461, telle que « coordonnée » par P. BERCKX, « De institutionele hervormingen “Egmont-Stuyvenberg”, de adviezen dan de Raad van State en de Grondwet », T.B.P., 1979, pp. 42 à 164, spéc. pp. 92 à 99 (avis sur l’extension des compétences des conseils culturels aux matières personnalisables ainsi que sur les compétences de la commission de la culture française dans les communes périphériques) et pp. 158 et s., où est repris l’avis de la section de législation sur les dispositions du projet relative à la faculté d’élection de domicile électoral dans une des communes de la région de Bruxelles-Capitale. 345 Voy. à ce sujet J. VELAERS, De Grondwet en de Raad van State, afdeling wetgeving, Anvers, Maklu, 1999, pp. 30-31 et p. 906. 342 343 142 son parti, le CVP ayant en réalité commencé à se montrer réticent au lendemain de la finalisation de l’accord politique, sous la pression des médias346. S’ouvre alors une période de grande instabilité politique, avec quatre gouvernements formés par Wilfried Martens jusqu’au 8 novembre 1981, et l’impossibilité de ramener le FDF et la Volksunie à leur modération du pacte d’Egmont. Chapitre 2 – Du préparatoire au provisoire 86. Par une loi du 5 juillet 1979 sur les institutions communautaires et régionales « provisoires »347, la loi du 1er août 1974 est à nouveau modifiée et réaménage la structure des comités ministériels ainsi que leurs compétences, consacrant une pratique mise en place dès la constitution du premier gouvernement Martens. Outre les trois comités ministériels régionaux, il existe désormais des comités ministériels de la communauté française et de la communauté flamande. Les deux comités ministériels flamands fusionnent d’emblée leurs activités, en sorte que c’est de quatre « exécutifs » dont Wilfried Martens fait état dans sa déclaration gouvernementale d’avril 1979348. Chaque exécutif rédige sa propre déclaration de politique générale, dispose d’une administration propre et gère son budget de manière autonome. Les matières visées initialement à l’article 4 de la loi du 1er août 1974 sont par ailleurs revues et réparties différemment entre les deux catégories de comités ministériels. Si les régions se voient attribuer de nouvelles compétences comme l’exploitation des richesses naturelles et le traitement des déchets solides, les importantes matières personnalisables qu’elles exerçaient depuis 1974 sont transférées aux communautés. Désormais, une politique régionale différenciée se justifie en tout ou en partie dans les matières suivantes349 : « 1° la politique d’aménagement du territoire et d’urbanisme, en ce compris la politique foncière, le remboursement des biens ruraux, la rénovation urbaine et l’assainissement des sites industriels désaffectés ; 346 Voy. F. PERIN, op. cit., pp. 244-245. Selon lui, il s’agit véritablement d’une « forfaiture » de Tindemans (ibidem, p. 250). 347 M.B., 10 juillet 1979. 348 Déclaration reproduite par le CRISP sur son site (http://www.crisp.be/ documents-politiques/gouvernements/gouvernements-federaux/) (dernière consultation le 26 juillet 2013). À ce sujet, voy. E. WITTE et J. CRAEYBECKX, op. cit., p. 445. 349 Voy. l’article 2 de la loi créant des institutions communautaires et régionales provisoires, coordonnées le 20 juillet 1979 (M.B., 31 juillet 1979). ADMINISTRATION PUBLIQUE 2° la politique d’expansion économique régionale et de l’emploi ; 3° la politique du logement ; 4° l’enlèvement et le traitement des déchets solides ; 5° l’exploitation des richesses naturelles ; 6° la politique de l’eau ; 7° la chasse, la pêche et les forêts ; 8° la politique industrielle et énergétique ; 9° l’organisation des pouvoirs subordonnés ; 10° la recherche scientifique appliquée concernant les matières énoncées ci-dessus sub 1° à 9° ». D’autre part, une politique communautaire différenciée se justifie en tout ou en partie dans les matières suivantes350 : « 1° la politique d’hygiène et de santé publique ; 2° la politique d’aide aux personnes, familles et services ainsi que la protection de la jeunesse ; 3° la formation didactique et pédagogique ainsi que le recyclage et la reconversion professionnels ; 4° la recherche appliquée concernant les matières visées à l’article 59bis de la Constitution et concernant les matières concernées sous les point 1° à 3° ci-dessus ». Il est ajouté351 que les arrêtés royaux pris dans le cadre des matières communautaires précitées sont applicables respectivement dans la région de langue française et dans la région de langue néerlandaise, ainsi qu’à l’égard des institutions établies dans la région bilingue de Bruxelles-Capitale qui, en raison de leurs activités, doivent être considérées comme appartenant exclusivement à l’une ou l’autre communauté. Les conseils régionaux ne sont pas restaurés. La loi de régionalisation provisoire constitue la première phase – la phase immédiate – du programme du gouvernement Martens I, formé en avril 1979. Elle devrait être suivie d’une deuxième phase, transitoire – mais néanmoins « irréversible » – pour trois ans, puis d’une phase définitive, après large débat au Parlement. Pendant la phase transitoire, il est notamment question de mettre en place les assemblées correspondantes aux quatre exécutifs : le conseil néerlandophone, appelé à être à la fois régional et communautaire, les conseils francophone, wallon et bruxellois, tous composés des sénateurs adéquats. C’est ainsi vers une régionalisation à trois que s’oriente l’équipe de Wilfried Martens, ce qui suscitera l’opposition de son propre parti352. 350 Voy. l’article 3 de la loi créant des institutions communautaires et régionales provisoires, coordonnée le 20 juillet 1979. 351 Voy. l’article 3, § 2, de la loi créant des institutions communautaires et régionales provisoires, coordonnée le 20 juillet 1979. 352 E. WITTE et J. CRAEYBECKX, op. cit., p. 446. TITRE 3 – LA « MISE AU FRIGO » DE 1980 Chapitre 1er – L’échec du projet 261 et la création immédiate des Régions wallonne et flamande 87. Le gouvernement Martens I parvient, donc, à boucler la première phase annoncée de la nouvelle réforme institutionnelle, avec la formation, au sein du gouvernement national, des exécutifs communautaires et régionaux. En revanche, il bute sur la deuxième phase, portant sur la régionalisation définitive et l’élargissement de l’autonomie culturelle aux matières personnalisables. Il s’agit des projets 260 et 261353, ce dernier organisant toujours une Région bruxelloise sur le modèle des deux autres régions, tout en marquant une évolution par rapport au projet 461 issu du pacte d’Egmont s’agissant de la composition de l’exécutif bruxellois, la parité y étant désormais prévue354. La discussion de l’article 5, § 2, du projet 261, qui prévoit que des élus francophones de l’arrondissement de Bruxelles-Hal-Vilvorde peuvent siéger au Conseil bruxellois, même sans être domiciliés dans l’une des dix-neuf communes – lesquelles continuent de former les limites régionales –, totalement indigeste pour les Flamands, finit par causer la chute du gouvernement. 88. Il faudra attendre le gouvernement Martens III pour que soit finalement adoptée la réforme projetée, dont il est décidé qu’elle sera, en quelque sorte, immédiatement définitive. Pour y parvenir, le premier ministre doit proposer de mettre Bruxelles « au frigo ». Dans sa déclaration de mai 1980, il explique, en effet, qu’un large consensus au sein du gouvernement existe sur les nouvelles structures politiques des Communautés flamande, française et germanophone, ainsi que de la Région wallonne355. « En revanche, d’importantes divergences existent en ce qui concerne la solution de l’ensemble de la problématique bruxelloise. Il faut dès lors poursuivre la discussion. Un examen plus approfondi de ces problèmes est indispensable. Les partis de la majorité ont cependant convenu de créer immédiatement les nouvelles institutions. Ils le font dans la conviction qu’ainsi un nouveau climat de confiance s’établira qui facilitera la solution des problèmes bruxellois dans une étape ultérieure. En attendant, les règlements existants pour Bruxelles seront maintenus à tous les niveaux. Cela n’implique nullement l’immobilisme. Au contraire, l’exécutif de la région bruxelloise pour353 Doc. parl., Sén., sess. extr. 1979, nos 260/1 et 261/1. Voy. l’analyse de Ph. DE BRUYCKER, « Bruxelles dans la réforme de l’État », op. cit., p. 13, et les références citées. 355 Sic – la Région flamande n’est déjà plus citée. 354 143 ADMINISTRATION PUBLIQUE suivra son action au sein du gouvernement. Le ministère de la Région bruxelloise sera réalisé en même temps que les autres nouveaux ministères. Les parastataux concernés seront eux aussi restructurés ou créés, l’accord de gouvernement en assurant une gestion en commun par les deux communautés vivant à Bruxelles. En plus, le gouvernement s’efforcera de proposer le plus rapidement possible au Parlement une solution pour l’ensemble des problèmes bruxellois. Cette solution devra en tout cas être réalisée avant les élections communales de 1982. Entretemps, le gouvernement rejettera, avec l’appui des partis de la majorité, toute initiative visant à modifier le règlement existant avant qu’une solution globale pour Bruxelles ne soit intervenue »356. 89. Comme annoncé, le gouvernement dépose, dans la foulée, tous les textes requis sur le bureau du Sénat. Un projet regroupant les dispositions devant être votées à la majorité spéciale, l’autre réunissant celles qui ne requièrent qu’une majorité simple, le tout accompagné de la révision d’un certain nombre d’articles de la Constitution357. Concrètement, il est prévu d’élargir les compétences des Communautés aux matières personnalisables, de leur permettre d’exercer les compétences, respectivement de la Région wallonne et de la Région flamande358 et de régler d’une autre manière la composition des conseils. Il s’agit aussi de mettre les exécutifs en dehors du gouvernement, tout ceci en application de l’article 59bis révisé de la Constitution359. L’article 107quater sera quant à lui exécuté, mais partiellement seulement : la loi spéciale en projet, qui deviendra la loi spéciale du 8 août 1980360 ne fonde que les Régions flamande et wallonne, « compte tenu du fait que, jusqu’ici, aucun accord global n’a pu être obtenu au sujet de la problématique bruxelloise »361. D’aucuns voient plutôt dans ce report de la régionalisation bruxelloise l’un des éléments du prix payé par les francophones pour obtenir la création de la Région wallonne362. 90. Par ailleurs, tandis que l’article 59bis de la Constitution se prononce clairement sur le pouvoir 356 Déclaration reproduite par le CRISP sur son site (http://www.crisp.be/ documents-politiques/gouvernements/gouvernements-federaux/) (dernière consultation le 26 juillet 2013). 357 Voy. le rappel du programme dans l’exposé des motifs du projet de loi spéciale de réformes institutionnelles, Doc. parl., Sén., sess. 1079-1980, o n 434/1. 358 Comme on le sait, seule la fusion des Région et Communauté flamandes sera finalement et directement organisée par la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, celle-ci subordonnant la fusion des Région wallonne et Communauté française à une décision des conseils concernés. 359 Ibidem, p. 1. 360 M.B., 15 août 1980. 361 Doc. parl., Sén., sess. 1079-1980, no 434/1, p. 1. Voy aussi F. PERIN, op. cit., p. 254. 362 P. WYNANTS, op. cit., p. 1014. 144 normatif dévolu aux conseils des communautés363, le constituant de 1980 adopte un article 26bis364, pour contourner le fait que l’article 107quater n’est pas ouvert à révision365, disposition qui renvoie au législateur spécial la tâche de déterminer la force juridique des règles qu’adopteront les organes créés en application de l’article 107quater366 : « On aurait pu régler la force juridique des normes directement dans la Constitution et ce pour chaque région. On aurait pu dire que les décrets étaient l’expression normative de toutes les régions. Il faut cependant tenir compte du fait que la discussion sur la région de Bruxelles n’est pas close. Il n’existe pas encore de consensus sur la force juridique des normes de cette région »367. Autrement dit, le texte permet à des lois, à adopter à la majorité spéciale, de donner force de loi aux décrets régionaux tout en laissant ouvertes toutes possibilités de solution pour la région bruxelloise, l’idée étant qu’il reste possible que celle-ci ne puisse adopter que des normes à la force juridique inférieure aux lois368. Bruxelles est donc au frigo, régie par les lois coordonnées du 20 juillet 1979 créant des institutions communautaires et régionales provisoires, et on lui conserve bien toutes les possibilités, en ce compris celles qui ne feraient pas d’elle une région dotée des mêmes pouvoirs que les autres. Chapitre 2 – Le délai raisonnable exigé par la section de législation du Conseil d’État 91. Appelée à rendre son avis quant au projet de loi spéciale concrétisant le nouvel accord de gouvernement, la section de législation du Conseil d’État observe que le texte se distingue des projets précédents en ce qu’il ne réalise pas la régionalisation à Bruxelles et se présente comme une réforme définitive pour le surplus. Elle émet ensuite un point de vue qui restera dans les annales369 : « Le projet ne contient aucune disposition relative à la Région bruxelloise. Le législateur reste donc en défaut, pour le moment, d’exécuter l’ar363 Voy. l’article tel qu’adopté le 17 juillet 1980, M.B., 18 juillet 1980. Adopté le 17 juillet 1980, M.B., 18 juillet 1980. Devenu l’article 134 de la Constitution. 365 Révision du titre III de la Constitution par l’insertion d’un article 26bis relatif aux différentes normes, rapport fait au nom de la commission de la révision de la Constitution et des réformes institutionnelles par MM. Wecicx et Van Cauwenberghe, Doc. parl., Ch., sess. extr. 1979, no 10-3/4, p. 2. 366 En dépit de l’avis de certains parlementaires, qui trouvaient que l’article 107quater renfermait déjà, en soi, l’habilitation faite au législateur spécial de traduire ce que signifie « régler » au sens de cette disposition (Doc. parl., Sén., sess. extr. 1979, no 100-26, p. 4). 367 Rapport Wecicx et Van Cauwenberghe, op. cit., Doc. parl., Ch., sess. extr. 1979, no 10-3/4, p. 2 368 Ibidem, p. 4. 369 Doc. parl., Sén., sess. 1079-1980, no 434/1, pp. 2-3. 364 ADMINISTRATION PUBLIQUE ticle 107quater à l’égard de cette Région. S’il peut y avoir des éléments objectifs propres à des situations particulières – il appartiendra au législateur d’en apprécier l’existence – qui soient de nature à justifier le sursis provisoire à réaliser la régionalisation à l’égard de la Région bruxelloise, il n’en reste pas moins qu’aussi longtemps que l’article 107quater n’aura pas été révisé – et dans l’état actuel des choses cet article n’est pas soumis à révision – l’obligation d’exécuter l’article 107quater pour la Région bruxelloise comme pour les autres Régions est et demeure inscrite dans la Constitution. Il s’ensuit que le présent projet n’est admissible du point de vue constitutionnel que pour autant que l’exécution de l’article 107quater à l’égard de la Région bruxelloise soit simplement différée et non pas abandonnée, et que le défaut d’exécution ne se prolonge pas au-delà d’un délai raisonnable. » 92. La position de la section de législation a bien de la saveur lorsqu’on la lit rétrospectivement. En effet, à en croire le gouvernement Martens III, le problème bruxellois sera résolu avant les élections communales de 1982, de sorte que l’avertissement du Conseil d’État n’est pas supposé inquiéter qui que ce soit. Quelques mois plus tard, le problème est déjà reporté après les communales de 1982, avec l’espoir que le climat politique sera suffisamment rasséréné pour permettre de réamorcer le dialogue relatif à Bruxelles370. C’est évidemment une erreur. Il n’y aura pas d’accord sur Bruxelles avant plusieurs années, et la loi créant des institutions communautaires et régionales provisoires, coordonnée le 20 juillet 1979, vaudra jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi spéciale du 12 janvier 1989. Concrètement, « Bruxelles demeure dès lors régie par les institutions dites de la régionalisation préparatoire et se trouve, de ce fait, mise en position d’infériorité par rapport aux autres régions »371. Elle est toujours dotée d’un comité ministériel de trois membres : un ministre, deux secrétaires d’État, dont l’un doit appartenir à un groupe linguistique différent de celui du ministre. C’est donc une « enclave au sein du gouvernement national (…) qui n’a de comptes à rendre que devant l’ensemble du parlement national, (sachant que) les ministres bruxellois n’ont aucune “autorité fonctionnelle” sur leurs autres collègues du gouvernement »372. 370 J.-L. DEHAENE, « Waar staan we met de staatshervorming na twee jaar ? », T.B.P., 1982, p. 390. Voy. aussi A. DELCAMP, op. cit., p. 49. 371 A. DELCAMP, op. cit., p. 52. 372 Ibidem, p. 52-53. Voy. aussi Ph. DE BRUYCKER, « Bruxelles dans la réforme de l’État », op. cit., p. 14. Tout au plus peut-on à ce moment parler d’une « politique bruxelloise de l’État belge »373. TITRE 4 – TROISIÈME CONCLUSION – DES INSTITUTIONS RÉGIONALES PRÉPARATOIRES OU PROVISOIRES… DURABLES 93. Avec l’échec des accords d’EgmontStuyvenberg, cette « tentative grandiose de construire un État moderne »374, le sort de Bruxelles subit un grand coup d’arrêt. Alors que la réforme de 1980 est celle qui engage l’État belge sur la voie du fédéralisme – même si le mot n’est toujours pas employé alors375 – elle ne crée que deux régions sur les trois. De même, alors que sont désormais fixées les structures régionales et communautaires, sur le modèle des institutions étatiques, Bruxelles, cette région « par défaut », celle dont les limites sont éternellement arrêtées « à titre provisoire » ou « à titre transitoire »376, continue de fonctionner dans l’ombre du gouvernement national, ou au travers d’une Agglomération décrépite. Le désaccord persistant en ce qui la concerne conserve évidemment sa dimension linguistique : « la délimitation territoriale de la Région bruxelloise amenait en effet à trancher la très délicate question des droits accordés aux Francophones habitant la périphérie bruxelloise »377. « On peut cependant affirmer que, de manière plus générale, le Nord du pays, favorable à un État communautarisé où la capitale ne disposerait pas d’une autonomie propre, ne parvenait pas à se résoudre à mettre en œuvre la régionalisation à Bruxelles. »378 Cette situation a donné lieu à « une incapacité politique complète. « (…) L’on ne pouvait faire face aux divers problèmes de nature socioéconomique parce que l’imbrication dans le gouvernement national ne pouvait pas marcher. Une seule initiative a vu le jour au cours de cette période. Il s’agit du Code du logement »379. 373 Y. LEJEUNE, « Les nouvelles institutions bruxelloises », J.T., 1989, p. 209. Propos prêtés au premier ministre Tindemans par E. WITTE et J. CRAEYBECKX, op. cit., p. 441. 375 M. LEROY, op. cit., p. 47. 376 Voy. l’article 2 originaire de la loi spéciale du 8 août 1980, qui fixait le territoire des Région wallonne et flamande « à titre transitoire », pour permettre la poursuite – à tout le moins apparente – d’un débat sur les limites de la région bruxelloise. 377 Ph. DE BRUYCKER, « Les nouvelles institutions bruxelloises », in M. UYTTENDAELE (coord.), À l’enseigne de la Belgique nouvelle, Rev. ULB, 1989, p. 105. 378 Ibidem, p. 105. Voy. d’ailleurs l’intervention de M. Van Rompuy dans le cadre des travaux préparatoires de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises, qui reconnaît qu’il est en partie exact qu’en 1980, les Flamands ne souhaitaient pas doter Bruxelles de structures propres (Doc. parl., Ch., sess. 1988-1989, no 661/4, p. 14). 379 Projet de loi spéciale relative aux institutions bruxelloises, rapport fait un nom de la commission de la révision de la Constitution et des réformes des 374 145 ADMINISTRATION PUBLIQUE QUATRIÈME PARTIE – LE TROMPE-L’ŒIL DE LA TROISIÈME RÉFORME DE L’ÉTAT (1988-1989) TITRE 1ER – LE CONTEXTE DE LA RÉFORME 94. Entre 1980 et 1988, le débat à propos de la Région bruxelloise se poursuit. La ville de Bruxelles est entre-temps – en 1984 – devenue également la capitale de la Communauté flamande380 et – par réaction sans doute – de la Communauté française381. La Communauté flamande a fait savoir à cette occasion que, dans son esprit, sa capitale est appelée à être à terme le produit de la fusion des dix-neuf communes382, à l’évidence pour y obtenir une représentation plus importante que ce que les scrutins communaux ne lui offrent. C’est sous le bénéfice de la constitution du gouvernement Martens VIII, après une longue crise, qu’il est décidé de trancher enfin la question du statut de Bruxelles, dans le contexte d’une nouvelle réforme globale de l’État, dont le programme – divisé en trois phases – est aussi fondé sur l’extension des compétences attribuées aux Régions et aux Communautés, le vote d’une loi de financement des Communautés et des Régions et l’élargissement des compétences de la Cour d’arbitrage383. « Rappelant que la réforme de 1980 n’avait pas donné une forme définitive à la réforme de l’État belge et constatant que, depuis lors, les diverses opinions politiques relatives au problème de Bruxelles ont sensiblement évolué, le gouvernement estime opportun d’élaborer un statut à part entière pour la Région de Bruxelles-Capitale lors de la nouvelle phase de la réforme de l’État. »384 L’adoption d’une loi spéciale relative à la Région de Bruxelles-Capitale fait partie de la deuxième phase, tandis que la révision de l’article 108ter de la Constitution est l’un des objets de la première phase385. institutions par MM. Moureaux et Chabert, Doc. parl., Sén., sess. 1988-1989, no 514-2, p. 23. 380 Décret du 6 mars 1984 concernant le choix de Bruxelles comme capitale de la Communauté flamande, M.B., 12 mai 1984. Voy. J. VELAERS, op. cit., pp. 654-655, pour les avis négatifs de la section de législation du Conseil d’État, qui considérait que le choix d’une capitale était l’attribut d’un État, et non d’une entité fédérée telle que la Communauté flamande. Voy. également à ce sujet M. VAN DER HULST, « Brussel als hoofdstad van de federale staat en van de Vlaamse Gemeenschap », in E. WITTE, A. ALEN, H. DUMONT et R. ERGEC (réd.), Het statuut van Brussel/Bruxelles et son statut, Bruxelles, De Boeck et Larcier, 1999, pp. 639-642. 381 Décret du 10 mai 1984 instituant Bruxelles capitale de la Communauté française, M.B., 8 juin 1983. 382 M. VAN DER HULST, op. cit., p. 641, et les travaux parlementaires cités. 383 Pour le détail de ces phases, voy. B. HAUBERT et p. VANDERNOOT, « La nouvelle loi de réformes institutionnelles du 8 août 1988 », A.P.T., 1988, pp. 213-215. 384 Projet de loi modifiant la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, Doc. parl., Ch., sess. extr. 1988, no 516/1, p. 2. 385 « Alors qu’on faisait, depuis près de vingt ans, mille supputations quant à l’exécution de l’article 107quater de la Constitution en ce qui concerne Bruxelles, la création des organes régionaux s’est faite sur base de l’article 108ter de la Constitution dont un auteur a pu écrire que “c’est aujourd’hui 146 La philosophie générale de la réforme proposée est résumée ainsi dans le cadre des travaux préparatoires386 : « Pour les matières régionales, qu’il s’agisse des compétences de la Région ou des compétences de l’agglomération, des mesures sont prévues pour empêcher un traitement discriminatoire entre Bruxellois francophones et néerlandophones (procédure de la sonnette d’alarme par exemple), mais ce qui distingue culturellement les Bruxellois entre eux ne constitue pas la pierre angulaire de l’exercice des compétences précitées. Il en va bien sûr tout autrement pour les matières culturelles, d’enseignement et personnalisables. Dans ces domaines, les décisions qui concernent exclusivement les Bruxellois francophones seront prises par des mandataires bruxellois francophones, les décisions qui concernent exclusivement les Bruxellois néerlandophones seront prises par des mandataires bruxellois néerlandophones et celles qui concernent les deux groupes seront prises, paritairement, par les Assemblées et le Collège réunis ». Autrement dit, les initiateurs de la réforme proposent une formule différenciée pour rencontrer la double facette de Bruxelles, à la fois région et carrefour des deux grandes communautés. Les Bruxellois régleront donc ensemble les matières régionales, au sein d’organes qui tiennent compte de l’existence des deux communautés, mais sans que ceci n’ait une portée aussi décisive que lorsqu’il s’agit de régler des matières communautaires. Pour cela, il s’agit de créer, outre des organes régionaux, des organes destinés à ce que chaque communauté puisse s’épanouir pleinement à Bruxelles, et des organes communs pour que ce qui ne relève pas exclusivement d’une communauté ou qui est de leur intérêt commun puisse aussi être géré. Enfin, la réforme n’a pas seulement pour objet de créer les institutions régionales bruxelloises et de régler la manière dont les compétences communautarisées doivent s’exercer à Bruxelles : il s’agit également d’embrasser la question du sort à réserver à l’agglomération. 95. Le chantier est vaste, et le nombre d’institutions à prévoir s’annonce pléthorique, même si le gouvernement promet qu’il s’agit là de doter la Région de Bruxelles de structures « simples, efficaces et transparentes »387. la disposition la plus importante pour préciser le statut de Bruxelles” ! » (Ph. DE BRUYCKER, « Les nouvelles institutions bruxelloises », in M. UYTTENDAELE (coord.), À l’enseigne de la Belgique nouvelle, op. cit., p. 106). 386 Révision de la Constitution, rapport fait un nom de la commission de la révision de la Constitution et des réformes des institutions par MM. Moureaux et Baert, Doc. parl., Sén., sess. extr. 1988, no 100-6/2, p. 17. 387 Révision de la Constitution, proposition du Gouvernement relative à la révision de l’article 108ter, §§ 2 à 6 de la Constitution, Doc. parl., Ch., sess. extr. 1988, no 10-108t – 420/1, p. 1. ADMINISTRATION PUBLIQUE Pour juguler les reproches, le constituant, en révisant l’article 108ter de la Constitution, prévoit de confier aux mêmes mandataires bruxellois l’exercice cumulé des compétences de ces diverses institutions388, de manière à tenir compte de la triple dimension de Bruxelles – région, capitale, et terrain de rencontre en les deux grandes communautés – sans que ceci ne se traduise par une prolifération des mandats389. L’article 108ter, modifié le 7 juillet 1988390, est donc rédigé de telle façon qu’il est interdit au législateur spécial de composer les organes qu’il vise de personnes autres que celles qui composeront les organes institués en vertu de l’article 107quater391. Les paragraphes 4 à 6 de l’article 108ter, relatifs aux commissions de la culture, sont abrogés, tandis que les paragraphes 2 et 3, relatifs aux groupes linguistiques et à la sonnette d’alarme au sein de l’agglomération, sont remplacés par les dispositions suivantes : « § 2. Les compétences de l’Agglomération à laquelle la capitale du Royaume appartient sont, de la manière déterminée par une loi adoptée à la majorité prévue à l’article 1er, dernier alinéa, exercées par les organes de la Région de BruxellesCapitale créés en vertu de l’article 107quater. § 3. Il y a des groupes linguistiques du Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale, et des Collèges, compétents pour les matières communautaires ; leur composition, fonctionnement, compétences et, sans préjudice de 59bis, § 6, leur financement, sont réglés par une loi adoptée à la majorité prévue à l’article 1er, dernier alinéa. Ces organes : 1° ont, chacun pour sa communauté, les mêmes compétences que les autres pouvoirs organisateurs pour les matières culturelles, d’enseignement et personnalisables ; 2° exercent, chacun pour sa communauté, les compétences qui leur sont déléguées par les Conseils de Communautés ; 3° règlent conjointement les matières visées au 1° qui sont d’intérêt commun. Les Collèges forment le Collège réuni, qui fait fonction d’organe de concertation et de coordination entre les deux communautés ». C’est donc exclusivement par les personnes qu’il est prévu d’opérer la simplification des institutions bruxelloises, sans pour autant diminuer le nombre de celles-ci. Lors des débats parlementaires, la complexité de l’enchevêtrement ainsi envisagé pour éviter de multiplier exagérément le nombre de mandats est toutefois telle qu’un sénateur croit bon déposer un schéma en séance, lequel sera publié avec le rapport de la commission de la révision de la Constitution du Sénat392. 96. La rédaction de l’article 108ter nouveau oriente les travaux à venir du législateur spécial. Il impose, en effet, l’exercice des compétences de l’agglomération bruxelloise par les futurs organes régionaux, de même qu’il prévoit le dédoublement fonctionnel dont ils feront l’objet aux fins d’exercer les compétences des anciennes commissions de la culture de l’agglomération, enrichies de nouvelles compétences communautaires. Un sénateur observe d’ailleurs que « l’on a repris les idées essentielles de l’ancien article 108ter pour les transformer dans le mécanisme actuel où la Région succède à la fois à l’agglomération et aux commissions culturelles »393. Et il est vrai que telles qu’elles seront votées, les dispositions de la Constitution et de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises, certes complexes, constitueront d’évidentes réminiscences du passé, qu’il s’agisse de la délimitation de l’aire territoriale de leur intervention, de leur profil, ou encore de leurs attributions. TITRE 2 – UN TERRITOIRE 97. L’article 2, § 1er, de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises prévoit que « le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale comprend le territoire de l’arrondissement administratif de “BruxellesCapitale”, tel qu’il existe au moment de l’entrée en vigueur de la présente loi ». Le même article, en son paragraphe 2, supprime le caractère provisoire de la délimitation des deux autres régions – et, donc, implicitement, de celle de la Région bruxelloise – que la loi spéciale du 8 août 1980 avait encore feint de garantir. Et même, si d’aventure le législateur, spécial qui plus est, devait avoir tout à coup une illumination dénuée de toute tension communautaire et modifier les limites de l’arrondissement administratif de Bruxelles-Capitale au sens des lois sur l’emploi des langues en matière administrative, « cette décision ne pourrait emporter, du même coup, une modification des limites de la Région bruxelloise pour l’application de l’article 107quater que pour autant que le législateur en ait exprimé la volonté de manière incontestable »394. 392 388 Rapport Moureaux et Baert, op. cit., p. 2. 389 Ibidem, p. 4. 390 M.B., 9 juillet 1988. 391 Ibidem, p. 3. Ibidem, pp. 31-32. Ibidem, p. 16. Projet de loi spéciale relative aux institutions bruxelloises, avis de la section de législation du Conseil d’État, Doc. parl., Sén., sess. 1988-1989, no 514-1, p. 65. 393 394 147 ADMINISTRATION PUBLIQUE 98. Voilà donc les frontières de la Région de Bruxelles-Capitale verrouillées à double tour, et une raison pour les francophones de la périphérie de crier à l’abandon395. Fixées par le législateur spécial, elles sont vouées à être immuables. Cette exiguïté territoriale, cette limite des limites, doit être considérée comme une donnée intangible de l’équilibre belge, et ce même s’il a pu être démontré que, paradoxalement, la représentation flamande serait nettement accrue au sein d’une région élargie à l’ensemble des communes de la périphérie dans lesquelles les francophones correspondent à la définition de « minorité »396. « Depuis 1963, en effet, quelles qu’aient été les péripéties, toutes les occasions ont été saisies, non sans polémiques, hésitations et aller-retour, pour les conforter – les limites de l’arrondissement administratif et, donc, celles de la région bilingue – et aligner sur elles les autres réalités, et non le contraire »397. La loi spéciale du 12 janvier 1989 semble donc consacrer la seule solution politiquement possible, à l’instar, avant elle, de tous les projets gouvernementaux au travers desquels il a été tenté de résoudre le problème bruxellois, tels les projets 461 et, ensuite, 261 : « la Région bruxelloise a toujours été confinée aux limites de l’arrondissement administratif de Bruxelles-Capitale »398. 99. La Région bruxelloise devient dès lors, sous la plume du constituant, auteur de l’article 108ter nouveau de la Constitution, la Région de Bruxelles-Capitale, son nom étant ramené, comme par un raccourci, à sa signification administrative et linguistique, en dépit des dénégations du gouvernement, qui a insisté sur l’absence de tout rapport entre la Région (de Bruxelles-Capitale) et la région bilingue de Bruxelles-Capitale, désormais consacrées toutes deux constitutionnellement. La dénomination est également suspecte de refléter la vision flamande d’une région bruxelloise qui, en raison du fait qu’elle abrite la capitale du pays, requiert un sort différent des deux autres régions. Il ne faut pourtant voir dans le choix de l’appellation « Bruxelles-Capitale » aucune « diminutio capitis de la Région bruxelloise visée à l’article 107quater, car elle n’exerce aucune 395 Rapport Moureaux et Chabert, op. cit., Doc. parl., Sén., sess. 1988-1989, no 514-2, p. 20. 396 N. LAGASSE, « Le statut de la Région de Bruxelles-Capitale – La position des principaux acteurs politiques », C.H. CRISP 1999, no 1652, pp. 13-14. 397 A. DELCAMP, op. cit., p. 95, et pp. 100-102 pour un exposé de la valeur symbolique que revêtent les limites territoriales de Bruxelles pour la Communauté flamande. 398 Projet de loi spéciale relative aux institutions bruxelloises, rapport fait au nom de la commission de révision de la Constitution, des réformes institutionnelles et du règlement des conflits par MM. Tomas et Anciaux, Doc. parl., Ch., sess. 1988-1989, no 661/4, p. 53. 148 influence sur la nature et les compétences de ses organes »399. Tel n’a pas toutefois été l’avis de la section de législation du Conseil d’État, qui – craignant la révision implicite de l’article 107quater – a trouvé que la notion de Région de Bruxelles-Capitale était « en relation manifeste avec la restriction de l’autonomie de la région bruxelloise en raison de la fonction de capitale de la ville de Bruxelles » et que l’article 108ter qui en consacrait l’existence n’était donc pas tout à fait l’exécution annoncée de l’article 107quater en question400. TITRE 3 – DES INSTITUTIONS Chapitre 1er – Le Conseil de la Région de BruxellesCapitale 100. De manière générale, les concepteurs de la loi spéciale du 12 janvier 1989 ont été guidés par le souci de suivre les principes et les règles qui, pour les Communautés et Régions existantes, ont été fixés dans la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980. En témoigne le nombre de renvois à cette loi spéciale opérés dans la loi spéciale relative aux institutions bruxelloises. Le fonctionnement du Conseil est donc calqué, dans une très large mesure, sur celui des autres conseils régionaux, « moyennant quelques adaptations rendues nécessaires afin d’assurer une pleine association des représentants des deux Communautés au fonctionnement des institutions de la Région de Bruxelles-Capitale »401. 101. En vertu de l’article 10 de la loi spéciale, le Conseil est composé d’élus directs, ce qui a offert l’occasion au gouvernement de fanfaronner un peu402 : « On a dit en 1980 que Bruxelles était à la traîne, parce qu’on maintenait à son égard un statu quo qui la laissait au stade de la régionalisation provisoire de la loi de juillet 1979, qui trouve en réalité son origine dans la régionalisation provisoire de 399 Rapport Tomas et Anciaux, op. cit., p. 47. En ce sens, voy. P. VAN ORS« Brussel anno 1989 – Een derde gewest, een enige agglomeratie, drie gemeenschapscommissies en… een vierde gemeenschap », R.W., 1989-1990, no 14, p. 450. 400 Projet de loi spéciale relative aux institutions bruxelloises, avis de la section de législation du Conseil d’État, Doc. parl., Sén., sess. 1988-1989, o n 514-1, pp. 60-61. 401 Rapport Moureaux et Chabert, op. cit., Doc. parl., Sén., sess. 1988-1989, no 514-2, p. 6. 402 Ibidem, p. 13. Voy., sur le fait que l’élection directe, obtenue avant les autres régions, pourrait favoriser l’émergence d’une véritable conscience régionale, Ph. DE BRUYCKER, « Bruxelles dans la réforme de l’État », C.H. CRISP 1989, no 1230-1231, p. 47 et idem, « Les nouvelles institutions bruxelloises », in M. UYTTENDAELE (coord.), À l’enseigne de la Belgique nouvelle, Rev. ULB, 1989, p. 107. On n’omettra pas le fait que la Communauté germanophone dispose pour sa part d’un conseil élu directement au suffrage universel depuis 1973. HOVEN, ADMINISTRATION PUBLIQUE 1974, tandis que les Communautés flamande et française et la Région wallonne se voyaient doter d’un nouveau statut. Aujourd’hui, on devrait dire que Bruxelles prend de l’avance, puisqu’elle bénéficie d’une solution ou du moins d’un statut qui va plus loin que celui de la Communauté flamande, de la Communauté française et de la Région wallonne, pour lesquelles un certain nombre de questions comme la suppression du double mandat et l’élection directe des conseils devront encore être réglées dans le cadre de la troisième phase ». Ces élus directs bruxellois, renouvelés tous les cinq ans, sont, en 1989, au nombre de 75403. Les uns jugent ce chiffre insuffisant, tandis que d’autres dénoncent une inflation de mandats. Dans l’esprit des auteurs du projet de loi spéciale, il s’agit de répondre à un double objectif : « assurer une représentation correcte des deux communautés présentes à Bruxelles, sans pour autant conduire à un nombre exagéré de mandats »404. 102. Le Conseil régional présente des caractéristiques héritées du passé dont les institutions provisoires n’avaient pour leur part pas bénéficié. L’article 23 de la loi spéciale consacre ainsi la division des membres du Conseil en deux groupes linguistiques qui fondent ensuite largement l’organisation et le fonctionnement de l’assemblée, avec des règles destinées à protéger « le groupe linguistique le moins nombreux ». Il est, par exemple, requis que ce groupe soit représenté dans toutes les commissions. De même, le mécanisme de la sonnette d’alarme est récupéré à l’article 30 de la loi spéciale, toujours dans la perspective de protéger les intérêts de la minorité linguistique. Il n’a à ce jour jamais connu d’application. 103. On le sait, l’enseignement majeur de l’expérience de l’agglomération, avec les « faux Flamands » du FDF, consiste à ce que les listes bilingues, pour l’élection des membres du Conseil régional bruxellois, soient interdites405. Tel est l’objet de l’article 17, § 2, de la loi spéciale du 12 janvier 1989. Certes, les candidats peuvent librement choisir de figurer sur une liste électorale française ou néerlandaise, mais le choix est définitif : en vertu de l’article 17, § 1er, de la loi spéciale, il ne pourra plus être modifié en cas de participation à une élection ultérieure406. Il s’agit là de l’unique, mais non moins important, tempérament au principe qui prévaut à ce jour à Bruxelles, et qui veut que ses habitants n’aient pas à faire le choix d’une sousnationalité selon leur rôle linguistique407. Chapitre 2 – L’Exécutif de la Région de BruxellesCapitale 104. Les règles de composition de l’exécutif ménagent elles aussi une protection de la minorité linguistique flamande, traduisant tout le poids que les Flamands ont pu mettre dans la négociation pour assurer à celle-ci l’équivalent de la protection obtenue au niveau fédéral par les francophones408. Ainsi, l’équipe appelée à former l’exécutif doit rencontrer l’adhésion des deux groupes linguistiques, selon les modalités précisées à l’article 35 de la loi spéciale du 12 janvier 1989. Le gouvernement régional est composé de cinq membres et, son président excepté, les quatre autres portefeuilles doivent être partagés dans le respect de la parité entre les deux groupes linguistiques, par la voie du consensus ou, à défaut, selon les règles de dévolution précisées à l’article 37 de la loi spéciale. Les membres de l’exécutif ne sont responsables que devant leur propre groupe linguistique, ce qui peut naturellement les conduire à faire de la « musculation » politique devant leurs collègues de l’autre rôle, sans craindre la mise en cause de leur responsabilité. Ceci est de nature à crisper les relations au sein de l’exécutif409. 105. Enfin, autre particularité qu’il est intéressant de relever, en vertu de l’article 41 de la loi spéciale du 12 janvier 1989, l’exécutif bruxellois associe à ses travaux trois « secrétaires d’État régionaux » – drôle de formule –, dont l’un au moins doit appartenir au groupe linguistique le moins nombreux. Ils ne font pas partie de l’exécutif, mais sont responsables devant le Conseil. L’adjonction de ces secrétaires d’État aux membres de l’exécutif, permet, comme tout bon compromis à la belge, à la fois au francophones de prétendre, avec trois ministres et deux secrétaires, qu’ils sont majoritaires au sein d’un exécutif à 406 403 Ce nombre sera porté à 89 en 2001, pour des raisons que nous n’exposerons pas ici en détail, mais toujours liées à la question de la représentation garantie – et démocratique – des formations politiques flamandes. 404 Rapport Moureaux et Chabert, op. cit., p. 44. Selon toute vraisemblance, le chiffre de 75 devait donner l’assurance à la Volksunie d’être représentée au Conseil (Ph. DE BRUYCKER et N. LAGASSE, « Bruxelles dans la réforme de l’État belge », op. cit., p. 236). 405 À ce propos, voy. M. VERDUSSEN, « L’élection régionale et ses préliminaires », in R. ANDERSEN, G. BROUHNS, F. DELPÉRÉE, F. JONGEN, M.-F. RIGAUX, H. SIMONART et M. VERDUSSEN, La Région de Bruxelles-Capitale, Bruxelles, Bruylant, 1989, pp. 99 et s., spéc. p. 128. Voy. l’article 17 de la loi spéciale du 12 janvier 1989 et M. VERDUS« L’élection régionale et ses préliminaires », op. cit., p. 130. Voy. aussi P. VAN ORSHOVEN, « Brussel anno 1989 – Een derde gewest, een enige agglomeratie, drie gemeenschapscommissies en… een vierde gemeenschap », R.W., 1989-1990, no 14, p. 454. 407 Ph. DE BRUYCKER et N. LAGASSE, « Bruxelles dans la réforme de l’État belge », op. cit., p. 231. Voy. aussi H. DUMONT et S. VAN DROOGHENBROECK, « L’interdiction des sous-nationalités à Bruxelles », A.P.T., 2011/3, pp. 201 et s. 408 N. LAGASSE, « Gouverner Bruxelles – Règles en vigueur et débat », C.H. CRISP 1999, nos 1628-1629, pp. 22-23. 409 Ph. DE BRUYCKER et N. LAGASSE, « Bruxelles dans la réforme de l’État belge », op. cit., p. 238. SEN, 149 ADMINISTRATION PUBLIQUE l’image de la population bruxelloise, tandis que les Flamands, se focalisant sur la seule composition de l’exécutif au sens strict, peuvent mettre en exergue la parité obtenue au sein du gouvernement410. Chapitre 3 – Les Commissions communautaires 106. L’article 60 de la loi spéciale du 12 janvier 1989 consacre l’existence des commissions communautaires. Il y a, donc, pour l’exercice des compétences visées aux articles 59bis, § 4bis, alinéa 2411, et 108ter, § 3412, de la Constitution, trois institutions dotées chacune de la personnalité juridique. L’institution compétente pour les matières de la Communauté française de Bruxelles-Capitale, dénommée « la Commission communautaire française », a pour organes, d’une part, le groupe linguistique français du Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale, d’autre part, un collège composé des membres francophones de l’exécutif de la Région de Bruxelles-Capitale. L’institution compétente pour les matières de la Communauté flamande de Bruxelles-Capitale, dénommée « la Commission communautaire flamande », a pour organes le groupe linguistique néerlandais du Conseil de la Région de BruxellesCapitale et un collège composé des membres néerlandophones de l’Exécutif de la Région de Bruxelles-Capitale. Enfin, l’institution compétente pour les matières communautaires communes aux deux Communautés de Bruxelles-Capitale, dénommée « la Commission communautaire commune », a pour organes l’assemblée réunie composée des membres des groupes linguistiques précités et le collège réuni, composé des membres de l’exécutif régional. Jusqu’en 1993, le président de l’exécutif et les secrétaires d’État ne participeront pas aux travaux de ces collèges. 107. Les commissions communautaires ont été organisées afin de « permettre aux Bruxellois, néerlandophones et francophones, d’intervenir directement dans un certain nombre de matières lorsque les actions menées par les autorités normalement compétentes ne les satisferaient pas »413. Elles sont conçues, à ce stade encore éloigné de la réforme de l’État de 1993, comme « des collectivités politiques décentralisées placées sous le contrôle respectivement de la Communauté française et de la Communauté flamande »414. L’article 83 de la loi 410 Ibidem, p. 237. Devenu l’article 135 de la Constitution coordonnée. Devenu l’article 166, § 3, de la Constitution coordonnée. 413 R. WITMEUR, La Commission communautaire française : une copie à revoir pour un État fédéral achevé ?, Bruxelles, Bruylant, 1995, p. 4. 414 P. VANLEEMPUTTEN, op. cit., p. 71. 411 412 150 spéciale du 12 janvier 1989 habilite d’ailleurs chacune de ces deux entités à organiser la tutelle sur leur commission et à l’appliquer. Leur instauration paraît avant tout être la résultante de l’article 107quater, qui interdit de confier aux organes régionaux des compétences dévolues par ailleurs aux Communautés. Cette règle constitutionnelle permet, à la satisfaction des Flamands sans doute, d’éviter que les compétences des communautés ne soient exercées par la Région de Bruxelles-Capitale, ce qui accentuerait le schéma d’un fédéralisme à trois, plutôt qu’à deux. Les auteurs de la réforme, confrontés à l’article 107quater de la Constitution, et appelés à régler le sort de l’agglomération bruxelloise, en ce compris ses commissions de la culture, ont dégagé une « solution originale »415, en récupérant le schéma de ces commissions pour le transférer sur la tête des mandataires régionaux avec, en prime, des compétences communautaires élargies416. Il s’est agi, en effet, d’utiliser les élus régionaux pour composer les organes des commissions communautaires, mais en prévoyant qu’ils agissent, chaque fois, sous couvert d’une personnalité juridique distincte : chaque groupe linguistique du Conseil régional formant ainsi les organes de la Commission communautaire correspondante, les groupes réunis étant appelés à former ensemble les organes de la Commission communautaire commune417. Ce sont donc les mêmes personnes que celles qui composent déjà le Conseil régional qui, linguistiquement séparées, dans des institutions distinctes avec des personnalités juridiques distinctes, exercent à Bruxelles des compétences distinctes à des niveaux de pouvoir distincts et par des normes distinctes418. 108. Les Commissions communautaires sont donc bien les héritières des commissions de la culture de l’agglomération bruxelloise, auxquelles elles se substituent419, la loi spéciale du 12 janvier 1989 ayant d’ailleurs organisé le transfert entre ces organes des biens, droits et obligations420. Les commissions de la culture mises sur pied par l’ancienne loi du 26 juillet 1971 ont, en effet, 415 Ph. DE BRUYCKER, « Les nouvelles institutions bruxelloises », op. cit., p. 117. 416 L’article 108ter, lu en combinaison avec l’article 61 de la loi spéciale du 12 janvier 1989, qui définit les matières communautaires visées à l’article 108ter, § 3, comme étant celles qui « sont ou seront attribuées à la Communauté française et à la Communauté flamande », cette disposition implique que les Commissions communautaires de la Région de Bruxelles-Capitale sont, « à l’inverse des défuntes commissions de la culture, compétentes pour les matières personnalisables » (R. WITMEUR, op. cit., p. 6). 417 Ph. DE BRUYCKER, « Les nouvelles institutions bruxelloises », in M. UYTTENDAELE (coord.), À l’enseigne de la Belgique nouvelle, Rev. ULB, 1989, p. 119. 418 S. LOUMAYE, « Les nouvelles institutions bruxelloises », C.H. CRISP 1989, nos 1232-1233, p. 3. 419 Y. LEJEUNE, « Les nouvelles institutions bruxelloises », J.T., 1989, p. 209. 420 Voy. l’article 79, § 2, et l’article 80 de la loi spéciale du 12 janvier 1989, ainsi que R. WITMEUR, op. cit., p. 5. ADMINISTRATION PUBLIQUE constitué la première expérience « qui allait servir de base à la définition du volet purement communautaire des nouvelles institutions régionales »421, en dépit des difficultés de fonctionnement qui ont pu les scléroser422. Le mode de désignation, la composition, le fonctionnement de tous ces organes mis sur pied en vertu de la loi spéciale du 12 janvier 1989 constituent le reflet de ce qui a été inventé pour les instances de l’agglomération423. Mieux encore, on peut dire que l’ensemble des nouvelles institutions communautaires de Bruxelles représentent un raffinement de la construction imaginée en 1971424, 425. 109. Leur création, alors que les Communautés auraient pu remplir elles-mêmes l’essentiel des tâches qui leur ont été confiées, et le fait qu’elles soient les héritières des commissions de la culture, satisfont apparemment tout le monde. Leur maintien est, d’une part, dû à la volonté flamande de ne pas consacrer la disparition de leur commission culturelle qui avait jusqu’alors été « la seule institution leur assurant une présence à Bruxelles »426. Mais, d’autre part, il est peut-être bien aussi le signe que Bruxelles n’a pas été entièrement cogérée par les deux communautés et le pouvoir national depuis 1970427, ce qui soutient la vision francophone d’une région bruxelloise à part entière, dont les institutions sont également autonomes lorsqu’il s’agit de matières communautaires. TITRE 4 – DES ATTRIBUTIONS Chapitre 1er – Des compétences régionales 110. Par la grâce de l’article 4 de la loi spéciale du 12 janvier 1989, la Région de BruxellesCapitale dispose des mêmes compétences que ses deux acolytes. Toutes les matières régionales – bien connues – énumérées à l’article 6 de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980 peuvent donc être réglées par ses soins, avec les mêmes prérogatives que les autres. Il s’agit d’un acquis important au regard du fait que les Flamands considéraient, après avoir mis le 421 A. DELCAMP, op. cit., p. 83. Ibidem, p. 86. A. DELCAMP, op. cit., p. 86. 424 A. DELCAMP, op. cit., p. 93. Voy. aussi P. VANLEEMPUTTEN, op. cit., p. 6. 425 Les conseils culturels en tant que tels, qui finiront par devenir les Communautés, ont des ancêtres plus âgés, à savoir les premiers conseils culturels créés en 1938 au sein du ministère de l’Instruction publique, un pour chaque rôle linguistique, avec une vocation purement consultative (voy. M. LEROY, op. cit., p. 27). 426 Ph. DE BRUYCKER, « Les nouvelles institutions bruxelloises », op. cit., p. 118. 427 Ph. DE BRUYCKER, « Bruxelles dans la réforme de l’État », C.H. CRISP 1989, nos 1230-1231, p. 30. 422 423 temps pour accepter de l’exécuter, qu’il convenait d’appliquer l’article 107quater de la Constitution en organisant la Région bruxelloise de manière particulière, sans prendre pour modèle les régions wallonne et flamande428. 111. Une réserve à cette identité de compétences doit être mentionnée. À la différence des Régions wallonne et flamande, la Région bruxelloise est, en effet, privée du pouvoir d’interpréter ses ordonnances par voie d’autorité, ce qui pourrait s’expliquer par les incertitudes initiales quant à la valeur juridique des ordonnances bruxelloises429. 112. Le statut juridique des ordonnances est, en effet, ce qui a valu le plus de débats autour de la question de savoir si la Région de BruxellesCapitale est bien une région qui ne diffère en rien des Régions flamande et wallonne. L’article 4 de la loi spéciale du 12 janvier 1989 prévoit que la Région de Bruxelles-Capitale règle les matières régionales par la voie d’ordonnances plutôt que par décret. Le fait qu’en vertu de l’article 9 de la même loi spéciale, les ordonnances bruxelloises puissent, à l’exclusion des décrets adoptés par les autres entités fédérées, faire l’objet d’un contrôle de conformité aux dispositions de la loi spéciale du 12 janvier 1989 et aux dispositions constitutionnelles dont le contrôle ne serait pas déjà réservé à la Cour d’arbitrage430 est, en effet, un élément mis en avant pour distinguer la Région de BruxellesCapitale et attribuer aux normes qu’elle adopte une valeur inférieure à la loi et aux décrets. Un tel contrôle évoque, il est vrai, le contrôle dont font par ailleurs l’objet les arrêtés et règlements généraux, provinciaux et locaux. Cette possibilité ne concorde a priori pas avec une vocation législative. Pourtant, la controverse431 est, depuis longtemps maintenant, largement tranchée en faveur 428 Ph. DE BRUYCKER, « Intervention », in R. ANDERSEN, G. BROUHNS, F. DELPÉRÉE, F. JONGEN, M.-F. RIGAUX, H. SIMONART et M. VERDUSSEN, La Région de Bruxelles-Capitale, op. cit., p. 303. 429 À ce sujet, voy. p. VANLEEMPUTTEN, op. cit., pp. 59-60, qui relaye le contenu d’un avis de la section de législation du Conseil d’État à ce propos. 430 Pour un exemple permettant de se rendre compte des conséquences concrètes du mécanisme, sur le plan de la répartition des rôles entre la Cour constitutionnelle et les juges de l’ordre judiciaire, voy. le rapport Moureaux et Chabert, Doc. parl., Sén., sess. 1988-1989, no 514-2, p. 43. Une étude approfondie de la jurisprudence du Conseil d’État et des juridictions de l’ordre judiciaire où il aurait été fait application de l’article 9 de la loi spéciale du 12 janvier 1989 sera réalisée par l’auteur dans le cadre de ses travaux de doctorat, qui a connaissance d’une dizaine d’arrêts du Conseil d’État, relativement récents. 431 Débattue notamment dans R. ANDERSEN, G. BROUHNS, F. DELPÉRÉE, F. JONGEN, M.-F. RIGAUX, H. SIMONART et M. VERDUSSEN, La Région de Bruxelles-Capitale, Bruxelles, Bruylant, 1989 : voy. la contribution de H. SIMONART, spéc. pp. 181 et s., qui tranche pour le caractère réglementaire de l’ordonnance, et les interventions subséquentes. Voy. aussi, toujours dans le sens aujourd’hui oublié d’un caractère réglementaire, Y. LEJEUNE, op. cit., p. 211 ou F. DELPÉRÉE, « La Constitution la loi, le décret et l’ordonnance », J.T., 1990, pp. 107-110. 151 ADMINISTRATION PUBLIQUE d’un classement des ordonnances dans la catégorie des normes de rang législatif, en premier lieu parce qu’elles peuvent, suivant un mode d’adoption conforme à celui des normes législatives432, abroger, compléter, modifier ou remplacer les dispositions législatives en vigueur et que, ceci fait, elles sont sujettes à l’éventuelle censure de la seule Cour constitutionnelle433, et non du Conseil d’État434. La Région de Bruxelles-Capitale est, en ce sens, une entité fédérée souveraine, et non une simple autorité administrative435. Il reste vrai que l’ordonnance n’a pas le pouvoir d’interpréter les ordonnances par voie d’autorité436 et que, dans certaines matières, les autorités fédérales peuvent exercer un contrôle politique sur les ordonnances. La différence entre l’ordonnance et les décrets des autres entités fédérées n’en est pas moins symbolique, « destinée à calmer les susceptibilités des Flamands soucieux de marquer la différence qui existe, ne fût-ce même qu’en apparence, entre la Région de Bruxelles-Capitale et les Régions wallonne et flamande »437. En pratique, en effet, les contrôles spécifiques dont peut faire l’objet l’ordonnance ne sont pas mis en œuvre, et les seuls qui sont utilisés relativement fréquemment ne diffèrent guère de ceux que subissent les décrets, puisqu’il ne s’agit de rien d’autre, en réalité, que du contrôle de conformité aux dispositions pour lesquelles seule la Cour constitutionnelle est compétente. 113. Il est vrai qu’à côté de ces contrôles juridictionnels, les ordonnances bruxelloises peuvent encore faire l’objet d’une intervention politique de la part de l’autorité fédérale, ce qui les distingue également des décrets régionaux adoptés par les deux autres Régions. Cette intervention est organisée aux articles 45 et 46 de la loi spéciale du 6 janvier 1989. Ainsi, en vue de préserver le rôle international et la fonction de capitale de Bruxelles, le Roi peut, 432 Initiative de membres du conseil ou de l’exécutif, sanction et promulgation par l’exécutif. 433 La Cour constitutionnelle ne s’est appelée ainsi qu’à compter de la révision constitutionnelle du 7 mai 2007. Jusqu’alors, il fallait dire « Cour d’arbitrage ». 434 Sur la contradiction mise en évidence par la section de législation du Conseil d’État entre le fait que les cours et tribunaux pouvaient refuser d’appliquer une ordonnance contraire à la Constitution et à la loi spéciale du 12 janvier 1989, et l’incompétence de la section du contentieux administratif du Conseil d’État pour annuler une telle ordonnance, voy. J. VELAERS, De Grondwet en de Raad van State, afdeling wetgeving, Anvers, Maklu, 1999, pp. 30-31, ainsi que l’avis lui-même (Doc. parl., Sén., sess. 1988-1989, no 514-1, p. 68). Voy. aussi Ph. DE BRUYCKER, « Les nouvelles institutions bruxelloises », op. cit., pp. 111-112. 435 P. VAN ORSHOVEN, « Brussel anno 1989 – Een derde gewest, een enige agglomeratie, drie gemeenschapscommissies en… een vierde gemeenschap », R.W., 1989-1990, no 14, p. 452. 436 Voy. les explications de P. VANLEEMPUTTEN, op. cit., p. 59, lui-même évoquant un avis de la section de législation du Conseil d’État. 437 Ph. DE BRUYCKER, « Les nouvelles institutions bruxelloises », op. cit., p. 112. 152 par arrêté délibéré en conseil des ministres, suspendre les ordonnances bruxelloises réglant les matières visées à l’article 6, § 1er, I, 1°, et X, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, à savoir l’aménagement du territoire, les travaux publics et le transport. Il peut en aller également ainsi des arrêtés adoptés par l’exécutif bruxellois dans ces domaines. En cas de persistance du désaccord entre les deux entités, le débat peut se solder par une annulation de l’ordonnance bruxelloise. Quant à l’article 46 de la même loi spéciale, il confère à l’autorité fédérale le pouvoir d’imposer – mais à sa charge – l’adoption de mesures qui, toujours dans les matières visées à l’article 6, § 1er, I, 1°, et X, de la loi spéciale du 8 août 1980, lui paraissent devoir être adoptées en vue de développer le rôle international ou la fonction de capitale de Bruxelles. Ces dispositifs « intrusifs » qui s’apparentent aux procédés de tutelle pesant sur les pouvoirs subordonnés438, sont appelés à être mis en œuvre si les initiatives à prendre ne sont pas convenues entre la Région et l’autorité fédérale dans le cadre du comité de coopération installé en application de l’article 43 de la loi spéciale du 12 janvier 1989. Mais ici encore, la différence de statut que les dispositions précitées instaurent par rapport aux deux autres régions doit être relativisée. Elle a été présentée comme « relativement mineure » par le gouvernement lui-même, au même titre que le contrôle dont peuvent faire l’objet les ordonnances bruxelloises à l’intervention des juridictions439. Les pouvoirs attribués à l’autorité fédérale sont limités, tant quant aux objectifs que celle-ci peut poursuivre que quant aux matières concernées. Il doit s’agir de favoriser, de promouvoir, de développer ou, le cas échéant, de préserver le rôle international ou la fonction de capitale de Bruxelles. Pour cette raison, les matières qui peuvent faire l’objet de l’intervention fédérale sont l’aménagement du territoire, les travaux publics et les transports. 114. En réalité, ces dispositions semblent avoir été instaurées non pas en raison d’éventuels conflits communautaires ou pour brider la nouvelle Région, « mais pour garantir que la promotion des intérêts régionaux de Bruxelles se fasse dans le respect des intérêts de toutes les composantes du pays en ce qui concerne son rôle de capitale »440. 438 Ph. DE BRUYCKER, « Bruxelles dans la réforme de l’État », op. cit., p. 39. Rapport Moureaux et Baert, op. cit., Doc. parl., Sén., sess. extr. 1988, n 100-6/2, p. 2. 440 Rapport Tomas et Anciaux, op. cit., Doc. parl., Ch., sess. 1988-1989, no 661/4, p. 47. 439 o ADMINISTRATION PUBLIQUE Alors que d’aucuns y voyaient, en cas d’interprétation large de ses termes, un risque d’empiètement incompatible avec le principe d’autonomie qui a présidé à l’aménagement des institutions bruxelloises441, le caractère symbolique et préventif de l’article 45 en particulier a été démontré par la pratique, la tutelle qu’il implique n’ayant jamais été mise en œuvre, en sorte que, tout comme la sonnette d’alarme au niveau strictement régional, il a pu être comparé à une épée de Damoclès, ou à un « stok achter de deur »442. Pour certains, les « atteintes » à l’autonomie bruxelloise organisées par les articles 45 et 46 s’expliquent davantage par le fait que désormais, même si, formellement, l’article 194 de la Constitution attribue toujours à la seule de ville de Bruxelles la qualité de capitale du pays, les institutions régionales sont en réalité considérées, plus que les autorités de la ville, comme l’interlocuteur du gouvernement fédéral pour les questions relatives à la capitale443. Il est vrai que même si seule la ville de Bruxelles est la capitale du pays, ceci emporte des effets qui se font sentir dans l’ensemble de la Région et même au-delà, dans les communes périphériques444, ce qui justifie à tout le moins que les questions régionales d’aménagement du territoire, de travaux publics et de transport soient examinées en tenant compte de ce paramètre spécifique. Chapitre 2 – Des compétences d’agglomération 115. Avec la modification de l’article 108ter, les compétences de l’agglomération, ou en tout cas leur principe, ne disparaissent pas. Les organes de la Région de Bruxelles-Capitale, créés en application de l’article 107quater, devenu article 39 de la Constitution, sont chargés depuis lors d’exercer les compétences du conseil et du collège d’agglomération, tandis que les groupes linguistiques et les collèges, visés à l’actuel article 136 de la Constitution, exercent les compétences des commissions de la culture créées au sein de l’agglomération ainsi que celles que les Communautés peuvent leur déléguer. Les articles 48 et suivants de la loi spéciale du 12 janvier 1989 formalisent ce transfert et la tutelle du Roi est supprimée par l’article 59 dans 441 A. ALEN, « Intervention », in R. ANDERSEN, G. BROUHNS, F. DELPÉF. JONGEN, M.-F. RIGAUX, H. SIMONART et M. VERDUSSEN, La Région de Bruxelles-Capitale, Bruxelles, Bruylant, 1989, p. 78. 442 M. VAN DER HULST, « Brussel als hoofdstad van de federale staat en van de Vlaamse Gemeenschap », in E. WITTE, A. ALEN, H. DUMONT et R. ERGEC (réd.), Het statuut van Brussel/Bruxelles et son statut, Bruxelles, De Boeck et Larcier, 1999, p. 638. 443 Ibidem, p. 632. 444 Ph. DE BRUYCKER et N. LAGASSE, « Bruxelles dans la réforme de l’État belge », op. cit., p. 235. RÉE, la mesure où elle serait devenue tutelle de l’exécutif bruxellois sur son propre conseil445. En vertu de l’article 5 de la loi spéciale du 12 janvier 1989, toutefois, la Région peut confier l’exercice d’attributions de l’Agglomération bruxelloise aux organismes d’intérêt public, qu’elle crée ou désigne. Ceci s’est produit dès 1990, deux ordonnances ayant porté création de deux organismes d’intérêt public de type A, chargés l’un de l’enlèvement et du traitement des immondices446, l’autre de la lutte contre l’incendie et de l’aide médicale urgente447, laissant la matière du transport rémunéré des personnes dans le giron des organes de la Région448. 116. Le maintien de l’agglomération, qui conserve la personnalité juridique mais dont toutes les compétences sont exercées par des organes tiers, à savoir ceux de la région ou, en vérité, ceux des organismes d’intérêt public créés ou désignés par ceux-ci, n’a pas manqué de susciter des réactions perplexes449. « Sans que l’on connaisse les raisons de cette curiosité, la personnalité juridique de l’agglomération se perpétue donc, telle une coquille de noix que l’on aurait vidée de son contenu. »450 L’Agglomération, fût-elle démantelée, existe donc encore, constituant, au sein d’un modèle en soi complexe parce qu’il réalise de nombreux objectifs, une complication apparemment inutile451. Une explication avancée du côté du gouvernement serait que, si l’on avait supprimé l’agglomération, il aurait fallu régler de façon plus complexe le sort de son patrimoine et de son personnel, « ce qui requiert toujours de nombreuses mesures d’application »452. Une autre serait plus avouable. « Des organes régionaux ne pouvant pas exercer des compétences communautaires, il s’indiquait, a-t-on cru453, de confier la gestion des matières personnalisables bicommunautaires à des organes que 445 P. VAN ORSHOVEN, op. cit., p. 460. Voy. l’ordonnance du 19 juillet 1990 portant création de l’Agence régionale pour la propreté (Mon. b., 25 septembre 1990). 447 Voy. l’ordonnance du 19 juillet 1990 portant création d’un service d’incendie et d’aide médicale urgente de la Région de Bruxelles-Capitale (M.B., 5 octobre 1990). 448 Pour plus de détails, voy. S. LOUMAYE, « Les finances régionales bruxelloises », C.H. CRISP 1992, nos 1354-1355, pp. 45-47. 449 A. DELCAMP, op. cit., p. 65, et les références citées. Voy. aussi P. VANLEEMPUTTEN, op. cit., p. 53. 450 Ph. DE BRUYCKER, « Les nouvelles institutions bruxelloises », op. cit., p. 105. 451 A. ALEN, « Intervention », op. cit., p. 77. Voy. aussi F. DELPÉRÉE, « Intervention », in R. ANDERSEN, G. BROUHNS, F. DELPÉRÉE, F. JONGEN, M.F. RIGAUX, H. SIMONART et M. VERDUSSEN, La Région de Bruxelles-Capitale, Bruxelles, Bruylant, 1989, p. 96. 452 Rapport Tomas et Anciaux, op. cit., p. 51. 453 Car le même résultat aurait pu être obtenu, sans maintien de l’agglomération bruxelloise, par la révision de l’article 59bis, §§ 4 et 4bis, de la Constitution (A. ALEN, « Intervention », op. cit., p. 73). 446 153 ADMINISTRATION PUBLIQUE l’ancien article 108ter, devenu les articles 136 et 166 de la Constitution coordonnée, présente comme juridiquement distincts. »454 La formule était d’autant plus requise qu’« il n’existe pas de Communauté bilingue de Bruxelles-Capitale qui, constitutionnellement, puisse se voir attribuer des compétences communautaires dans les limites des dix-neuf communes »455. La solution retenue devait également permettre « de rencontrer les exigences d’une gestion efficiente des différentes compétences qui présentent souvent un lien évident de connexité et de complémentarité, lien encore renforcé par la parfaite coïncidence du territoire de la Région de BruxellesCapitale et de l’Agglomération bruxelloise »456. En bref, le législateur s’était déjà rendu compte en 1987 que nombre des compétences dévolues à l’agglomération recoupaient celles des régions, fixées dans la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980 : le mouvement du « tout à la Région » consacré par la loi spéciale du 12 janvier 1989 n’est donc guère étonnant457. 117. Certes, la formule, qui ne se traduit que par un dédoublement fonctionnel devenu courant en droit public belge, peut avoir pour mérite, audelà de la rationalité que représente le recours à un nombre limité de mandataires bruxellois, de distinguer compétences régionales, communes avec les autres régions, des compétences propres à l’agglomération, d’ordre supracommunal458. Elle donnerait également un certain cachet à la Région, qui prendrait ainsi « l’allure d’une communauté urbaine lui permettant de gérer à un niveau adéquat certains problèmes dépassant l’exiguïté du cadre des dix-neuf communes qui la composent aujourd’hui »459. Il semble en tout cas que les francophones auraient refusé que l’agglomération serve de point d’appui pour le futur statut de Bruxelles460, ce qui se comprend dans la mesure où l’agglomération est symboliquement très importante pour les Fla454 Y. LEJEUNE et W. PAS, « Le fonctionnement des institutions/De werking van de instellingen », in E. WITTE, A. ALEN, H. DUMONT et R. ERGEC (réd.), Het statuut van Brussel/Bruxelles et son statut, op. cit., p. 498. Voy. aussi P. VAN ORSHOVEN, op. cit., p. 459. 455 Y. LEJEUNE, op. cit., p. 212. 456 R. ANDERSEN, « Les compétences des institutions bruxelloises », in R. ANDERSEN, G. BROUHNS, F. DELPÉRÉE, F. JONGEN, M.-F. RIGAUX, H. SIMONART et M. VERDUSSEN, La Région de Bruxelles-Capitale, Bruxelles, Bruylant, 1989, p. 268, et les références aux travaux parlementaires citées. Il serait en revanche inimaginable de faire exercer des compétences d’agglomération à une Région dont le territoire ne correspondrait pas avec celui de ladite agglomération. En ce sens, voy. Ph. DE BRUYCKER, « Intervention », op. cit., p. 296. 457 En ce sens, voy. Ph. DE BRUYCKER, « Intervention », op. cit., pp. 295-296, qui rappelle que le projet 461 prévoyait déjà la suppression de l’agglomération bruxelloise. 458 En ce sens, voy. A. DELCAMP, op. cit., p. 66. 459 Ph. DE BRUYCKER et N. LAGASSE, « Bruxelles dans la réforme de l’État belge », op. cit., p. 234. 460 En ce sens, voy. A. DELCAMP, op. cit., p. 57. 154 mands, étant le seul organe de la capitale où ceuxci bénéficient de la parité au niveau de l’organe exécutif, et qui a l’avantage de disposer d’un territoire limité aux dix-neuf communes461. Dans la mesure où les garanties prévues en 1970 pour la Communauté flamande – sonnette d’alarme et parité au sein du gouvernement – se retrouvent dans les organes de la Région, le maintien de l’agglomération n’a pourtant que peu d’intérêt de ce point de vue462. En revanche, il existe un risque – qui semble aujourd’hui effectivement réalisé – de voir les matières d’intérêt local être « quelque peu délaissées dans l’ensemble des compétences dévolues à la Région de Bruxelles-Capitale »463. La tentation pour les organes régionaux de privilégier leur compétence principale est d’autant plus grande que de nombreuses compétences d’agglomération sont en même temps des compétences régionales et que, en utilisant la casquette régionale – et donc l’instrument de la norme législative – ils se mettent à l’abri d’une annulation par le Conseil d’État464. 118. Quoi qu’il en soit, lorsque le conseil et l’exécutif exercent des attributions de l’agglomération qu’ils n’auraient pas confiées à des organismes d’intérêt public, ils le font selon le mode de fonctionnement régional, certes, mais par voie de règlements et d’arrêtés, dans le respect de l’article 52 de la loi spéciale du 12 janvier 1989. Dans ce cas, les projets ne doivent pas être soumis à la section de législation du Conseil d’État, les lois coordonnées excluant qu’un avis soit rendu à propos de textes émanant de pouvoirs subordonnés, ce qu’était l’Agglomération, ce qu’est donc la Région lorsqu’elle agit en lieu et place de l’agglomération465. Ces actes sont soumis pleinement au contrôle de légalité tant des juridictions de l’ordre judiciaire, qui peuvent en écarter l’application, que du Conseil d’État, qui peut en outre les annuler466. Chapitre 3 – Des compétences communautaires 119. L’article 64 de la loi spéciale du 12 janvier 1989 prévoit que : « Chaque commission communautaire exerce les mêmes compétences que les autres pouvoirs 461 Ph. DE BRUYCKER, « Bruxelles dans la réforme de l’État », C.H. CRISP 1989, nos 1230-1231, p. 25. 462 En ce sens, voy. A. ALEN, « Intervention », op. cit., p. 72. 463 Ph. DE BRUYCKER, « Bruxelles dans la réforme de l’État », op. cit., p. 43. 464 En ce sens, voy. P. VAN ORSHOVEN, op. cit., p. 460. 465 Voy., au sujet des difficultés qui peuvent surgir lorsqu’il s’agit de déterminer si une disposition réglementaire adoptée par l’exécutif bruxellois relève de sa compétence régionale ou de sa compétence d’agglomération, Y. LEJEUNE et W. PAS, op. cit., p. 497. 466 P. VANLEEMPUTTEN, op. cit., pp. 63-64. ADMINISTRATION PUBLIQUE organisateurs dans les matières visées à l’article 61 de la présente loi467. En particulier, chacune d’elles a pour mission : 1° d’élaborer et d’exécuter une programmation de l’infrastructure relative à ces matières ; 2° de créer les institutions nécessaires, de les gérer, et d’accorder des subsides dans les conditions fixées notamment par la loi du 29 mai 1959 modifiant la législation relative à l’enseignement gardien, primaire, moyen, normal, technique et artistique ; 3° d’adresser des recommandations aux autorités intéressées ainsi que des avis, soit d’initiative soit à leur demande ; 4° de prendre et d’encourager les initiatives prises dans les matières culturelles et personnalisables ». La parenté avec le libellé des compétences dévolues antérieurement aux commissions de la culture de l’agglomération est flagrante. Sont toutefois visés l’enseignement, la culture et les matières personnalisables. Les compétences reprises des commissions de la culture de l’Agglomération bruxelloise sont donc élargies aux matières personnalisables et couvrent ainsi l’ensemble des matières communautaires. « Spécifique à la première d’entre elles, l’utilisation de l’expression “pouvoir organisateur” à propos des matières culturelles, et plus encore à propos des matières personnalisables, paraît inappropriée. »468 Si, toutefois, l’on se souvient que, s’agissant des Commissions communautaires, la loi spéciale est inspirée de la loi du 26 juillet 1971 organisant les agglomérations et les fédérations de communes, l’on comprend alors que, dans les trois domaines précités, les Commissions communautaires flamande et française sont autorisées à intervenir concurremment avec les autres autorités normalement compétentes, proprio motu, pour le cas où les actions menées par ces dernières ne les satisferaient pas469. 120. En vertu des articles 64 et 65 de la loi spéciale du 12 janvier 1989, les Commissions communautaires peuvent encore exercer les compétences que leur délèguent respectivement les conseils flamand et de la Communauté française. Les compétences déléguées ne peuvent pas être normatives, sachant que la délégation de compétences réglementaires peut susciter des interrogations en termes d’utilité, les commissions communautaires étant déjà, comme cela vient d’être exposé, habilitées directement par la Constitution à prendre des initiatives dans les matières communautaires470. 467 Pour rappel, cette disposition renvoie aux matières confiées aux Communautés. 468 M. DONY et B. BLERO, op. cit., p. 40. 469 Ibidem, pp. 40-41. 470 Ph. DE BRUYCKER, « Bruxelles dans la réforme de l’État », C.H. CRISP 1989, nos 1230-1231, p. 44. Malgré tout, couplée à l’attribution de compétences communautaires aux Commissions communautaires, « la possibilité accordée aux Communautés de leur déléguer certaines matières, permettra peut-être d’observer à terme l’émergence d’une véritable Communauté bruxelloise qui reprendrait l’ensemble des compétences exercées par les Communautés française et flamande à Bruxelles »471. 121. Pour sa part, la Commission communautaire commune peut être qualifiée d’« entité souveraine supplémentaire de l’État belge »472, voire de « quatrième Communauté »473 dans la mesure où, loin de constituer un organe subordonné aux Communautés, son assemblée réunie est habilitée à adopter des ordonnances, à la condition de rassembler la double majorité dans chacun des groupes linguistiques qui la composent. Un tel pouvoir lui est dévolu dans les matières bipersonnalisables en vertu des articles 63 et 69 de la loi spéciale du 12 janvier 1989. En application de l’article 64, § 2, elle est dotée des mêmes compétences que les commissions communautaires lorsque les objets traités sont d’intérêt commun. Dans ce cas, elle retrouve sa qualité subordonnée, agissant par la seule voie de simples règlements et d’arrêtés. Elle est supposée jouer le rôle d’organe de concertation et de coordination entre les deux Commissions ce qui, apparemment « ne correspond jusqu’à présent à aucune réalité »474. TITRE 5 – QUATRIÈME CONCLUSION PART (ENTIÈRE) – UN STATUT À 122. Le 12 janvier 1989, la troisième Région est enfin dotée d’un statut, fruit d’un compromis politique atteint lentement qui lui vaut un territoire, des institutions et des attributions. Le territoire est limité aux dix-neuf communes, en guise de concession faite par les francophones, qui doivent renoncer à étendre la Région, que ce soit pour des motifs linguistiques ou économiques. Ceux-ci acceptent également de garantir une repré471 Ph. DE BRUYCKER, « Intervention », in R. ANDERSEN, G. BROUHNS, F. DELPÉRÉE, F. JONGEN, M.-F. RIGAUX, H. SIMONART et M. VERDUSSEN, La Région de Bruxelles-Capitale, op. cit., p. 302. Cet auteur se déclare intéressé à l’idée d’observer l’ampleur des délégations accordées par les Communautés aux Commissions communautaires en matière unicommunautaire, et ajoute que se dégagerait ainsi la possibilité de fusionner les institutions régionales et communautaires, ce qui aurait pour effet de simplifier considérablement le fédéralisme belge en l’organisant sur une base territoriale. L’examen de l’ampleur (ou du défaut d’ampleur) des délégations survenues, et de l’impact sur la question de l’adoption de l’actuel article 138 de la Constitution seront réalisés par l’auteur de ce mémoire à l’occasion d’une phase ultérieure de ses travaux de recherche. Entre-temps, voy. déjà R. WITMEUR, op. cit., p. 9. 472 J.-P. NASSAUX, « Les relations communautaires à l’Assemblée réunie de la Commission communautaire commune », C.H. CRISP 1999, nos 1633-1634, p. 14. 473 P. VAN ORSHOVEN, op. cit., pp. 449 et s., spéc. pp. 464-465. 474 Ph. DE BRUYCKER et N. LAGASSE, « Bruxelles dans la réforme de l’État belge », op. cit., p. 232. 155 ADMINISTRATION PUBLIQUE sentation à la minorité flamande dans les nouvelles institutions bruxelloises et de lui faire bénéficier de mécanismes de protection tels que ceux qui existent pour eux-mêmes au niveau fédéral. 123. Mais les Flamands acceptent pour leur part qu’il y ait une Région, dotées d’institutions et d’attributions propres. Si l’on se rappelle que la création de trois régions suscite depuis toujours la crainte d’une minorisation de la région flamande par rapport aux Régions wallonne et bruxelloise475, la concession apparaît historique. Au modèle défendu par la classe politique francophone, celui de Bruxelles en tant que Région « à part entière »476, s’est en effet toujours opposée la vision flamande477, laquelle a d’ailleurs été officiellement confirmée, dix ans après la création des institutions bruxelloises, dans l’une des cinq résolutions adoptées par le Parlement flamand le 3 mars 1999478. Cette résolution peut se résumer par le recours à la formule simplifiée « 1 + 1 » ou « 2 + 2 », et non « 2 + 1 »479. C’est la formule du fédéralisme à deux, basé sur la Flandre et la Wallonie, Bruxelles recevant un statut particulier mais ne constituant pas une région à part entière. Il faudrait ainsi distinguer, au sein de la Belgique, deux États fédérés, la Flandre et l’État fédéré francophone (les deelstaten) et deux territoires (les deelgebieden), à savoir la Région de Bruxelles-Capitale – dont les frontières sont définitives – et la Communauté germanophone, disposant de prérogatives moins importantes, et qui feraient l’objet d’un droit de regard commun de la part des deux deelstaten. Pour d’aucuns, ce système de cogestion pourrait se traduire par la création d’un district – fédéral ou européen – en remplacement de la Région actuelle480. Le slogan « Vlaanderen laat Brussel niet los » résumerait pour sa part la vision flamande à propos de la capitale, dont le point de départ est qu’un lien étroit unit ces deux entités. Les Flamands de 475 Rapport M. Calewaert, op. cit., Doc. parl., Sén., sess. 1969-1970, no 458, pp. 7-8. 476 Pour un résumé de cette conception, voy. N. LAGASSE, « Le statut de la Région de Bruxelles-Capitale – La position des principaux acteurs politiques », C.H. CRISP 1999, no 1652, pp. 33-35. 477 M. VAN DER HULST, op. cit., pp. 642-647. 478 À leur sujet, voy. G. PAGANO, « Les résolutions du Parlement flamand pour une réforme de l’État », C.H. CRISP 2000, nos 1670-1671 et, spécialement les pp. 27-32 s’agissant de la troisième résolution, relative à Bruxelles. 479 Le modèle « 2 + 2 » est né sous la plume des auteurs de l’Essai de Constitution pour la Flandre (J. CLÉMENT e.a., Proeve van Grondwet voor Vlaanderen, Bruges, die Keure, 1996), dont le travail a été commenté par J. BRASSINNE, « “La Constitution flamande” – Essai de constitution pour la Flandre », C.H.CRISP 1997, nos 1569-1570. Voy aussi N. LAGASSE, « Gouverner Bruxelles – Règles en vigueur et débat », C.H. CRISP 1999, nos 1628-1629, p. 11, et idem, « Le statut de la Région de Bruxelles-Capitale – La position des principaux acteurs politiques », C.H. CRISP 1999, no 1652, pp. 20 et s. Voy. également P. VANLEEMPUTTEN, op. cit., pp. 12-13. 480 À ce propos, voy. N. LAGASSE, « Le statut de la Région de BruxellesCapitale – La position des principaux acteurs politiques », op. cit., pp. 28 et 39. 156 Bruxelles sont des Flamands à part entière et font partie de l’État fédéré flamand. La frontière entre la Flandre et Bruxelles est donc uniquement une frontière entre régions mais non entre communautés481. Il n’existe d’ailleurs pas, pour le mouvement flamand, de communauté bruxelloise autonome, la capitale étant exclusivement le point de rencontre entre les deux communautés, celles-ci étant habilitées à la gérer conjointement. « La persistance d’une remise en cause de l’actuel statut de Bruxelles dix ans après l’organisation de la Région montre à quel point la loi spéciale du 12 janvier 1989 a constitué à l’époque un remarquable compromis entre les conceptions extrêmement divergentes des Francophones et des Flamands. »482 124. L’acquis paraît d’autant plus important qu’en réalité, « aucune des spécificités (bruxelloises) ne correspond à l’objectif des parties flamandes de conférer à la région de BruxellesCapitale des compétences “différentes” ou “non comparables” à celles des deux autres régions »483. Ces spécificités « correspondent à celle d’une ville-région, qui plus est capitale d’un État, et répondent plus à des différences objectives qu’à une volonté de brider la nouvelle collectivité ». Elles n’affectent pas véritablement « la substance régionale de Bruxelles »484. Elles ne suffisent certainement pas à refuser de reconnaître qu’elle jouit d’une autonomie et qu’à ce titre, elle est une région « à part entière », tout autant que les autres. De ce point de vue, la réforme fait office de trompe-l’œil dont les Flamands seraient les victimes. 125. Des entraves existent pourtant. L’interdiction des listes bilingues peut ainsi être vue comme « un frein à l’autonomie », en raison de la polarisation de l’attention des électeurs sur l’appartenance linguistique des candidats, empêchant ainsi l’émergence d’une réalité et d’une identité bruxelloises autonomes485. Cet exemple peut paraître anecdotique lorsqu’il est confronté à l’amoncellement d’autorités publiques qui se partagent le pouvoir sur ce territoire dont l’exiguïté est une caractéristique fondamentale. 481 J. VELAERS, « “Vlaanderen laat Brussel niet los” : de Vlaamse invulling van de gemeenschapsautonomie in het tweetalig gebied Brussel-Hoofdstad », in E. WITTE, A. ALEN, H. DUMONT et R. ERGEC (réd.), Het statuut van Brussel/ Bruxelles et son statut, op. cit., p. 595. À ce sujet, voy. aussi F. PERIN, op. cit., p. 283. 482 Ph. DE BRUYCKER et N. LAGASSE, « Bruxelles dans la réforme de l’État belge », op. cit., p. 247. 483 A. DELCAMP, op. cit., p. 58. 484 Ph. DE BRUYCKER et N. LAGASSE, « Bruxelles dans la réforme de l’État belge », op. cit., p. 229. 485 Ph. DE BRUYCKER, « Bruxelles dans la réforme de l’État », op. cit., p. 50. ADMINISTRATION PUBLIQUE À la veille de la création des institutions bruxelloises, en 1989, treize niveaux institutionnels différents pouvaient être identifiés sur le territoire des dix-neuf communes : « le ministre des Affaires bruxelloises, les gouverneur et vice-gouverneur de la province de Brabant, le conseil provincial, la députation permanente, le conseil d’agglomération, son collège exécutif, les Commissions française et néerlandaise de la culture, les Commissions réunies, conseils et collèges communaux, le Conseil économique régional pour le Brabant, la Société de développement régional »486. 126. Il n’est pas certain que la technique mise en œuvre au travers de la révision de l’article 108ter de la Constitution et de la loi spéciale du 12 janvier 1989 ait porté remède à cette situation. Certes, le dédoublement fonctionnel qui caractérise les organes de la Région de Bruxelles-Capitale s’est avéré justifié par la nécessité de ne pas confier à des organes régionaux des compétences réservées au communautés, comme l’ont exigé les concepteurs de l’article 107quater, certes encore ce dédoublement fonctionnel s’est-il à l’évidence inspiré de la formule déjà mise sur pied pour les organes de l’agglomération, mais il y a mieux. À ce jour, en effet, les organes de la Région de Bruxelles-Capitale cumulent au moins trois qualités : la régionale, la communautaire487, mais aussi celle de l’agglomération. D’un point de vue organique, on peut voir huit institutions différentes créées au terme de la réforme de 1988-1989 : le conseil régional et son exécutif, quatre institutions pour les matières unicommunautaires (les deux groupes linguistiques du conseil et deux collèges issus de l’exécutif) et deux pour les matières bicommunautaires (assemblée réunie et collège réuni)488. Quant aux élus bruxellois, ils peuvent revêtir dix casquettes différentes – dont certaines sont heureusement incompatibles entre elles : conseiller régional, membre de l’exécutif régional, conseiller de l’agglomération exerçant sa compétence au sein du conseil régional, membre du collège d’agglomération exerçant sa compétence au sein de l’exécutif régional, membre du groupe linguistique néerlandais ou membre du groupe linguistique français, membre du collège la Commission communautaire française ou de celui de la 486 Voy. A. DELCAMP, op. cit., p. 52. Voy. aussi : X, « Bruxelles et la réforme des institutions », C.H. CRISP, no 613 du 14 septembre 1973, pp. 14-20. 487 Sans parler encore, à ce stade, de l’exercice par la Commission communautaire française de compétences revenant en principe à la Communauté française, et qui lui a été transféré en 1993-1994 en application de l’article 138 de la Constitution. 488 En ce sens, voy. l’intervention de Mme Spaak (Doc. parl., Ch., sess. 1988-1989, no 661/4, p. 17), pour qui le slogan du gouvernement (« des structures simples, efficaces et transparentes ») ne manque pas d’ironie (ibidem, p. 18). Commission communautaire flamande, membre de l’assemblée réunie et membre du collège réuni de la Commission communautaire commune489. 127. L’on comprend que le système ainsi envisagé ait, dès son adoption, été jugé compliqué et susceptible d’interprétations divergentes. L’espace institutionnel bruxellois, tel que façonné en 1989, tient du labyrinthe. Ses concepteurs, à l’instar de Dédale, l’ont-ils inventé pour mieux cacher le Minotaure, ce monstre fabuleux qu’est Bruxelles dans la Belgique d’aujourd’hui ? Y a-t-il un sens, autre que le sens de l’histoire juridique que ce mémoire dévoile, à une telle complexité ? Surtout, y a-t-il un but ? Et s’il s’agissait d’un autre trompe-l’œil finalement, au détriment de ceux qui ont cru à tort voir s’opérer une simplification des institutions bruxelloises, rationalisation purement apparente qui pourrait paradoxalement s’avérer paralysante ? COCLUSIO GÉÉRALE 128. Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. La maxime attribuée à Lavoisier caractérise parfaitement les grandes étapes de la réforme de l’État unitaire belge en un État fédéral. « Chaque vague de réformes a consisté en la création de nouvelles institutions ou la transformation d’institutions existantes ; presque jamais ce qui avait été créé n’a été supprimé »490. Bruxelles n’échappe pas à cette règle. Avec M.-Fr. Rigaux, il est permis de constater que « la loi spéciale du 12 janvier 1989 marque des ruptures, certes, puisqu’elle crée des institutions nouvelles, en supprime d’anciennes, accorde des compétences ou en retire. Cependant, la loi s’inscrit aussi dans une continuité. Continuité et rupture des institutions (…) »491. En effet, l’agglomération bruxelloise n’est pas supprimée, « mais ses organes disparaissent et ses attributions sont désarticulées »492, le système nouveau s’inspirant encore de certains principes qui avaient conduit à la création de l’institution de 1970 et des modifications qui y ont été apportées en 1987. Les normes constitutives des organes de l’agglomération permettent aussi, par leurs vertus historiques, de mieux comprendre l’existence, les origines et la structuration des commissions commu489 P. VAN ORSHOVEN, op. cit., R.W., 1989-1990, no 14, p. 465. M. LEROY, op. cit., p. 44. 491 M.-Fr. RIGAUX, op. cit., p. 19. 492 Ibidem, p. 19. 490 157 ADMINISTRATION PUBLIQUE nautaires bruxelloises, dont l’étude, « une des parties les plus ardues et les plus curieuses du droit public belge », est ainsi rendue un peu plus simple493. De même, on peut observer une continuité, malgré les ruptures, entre la région bruxelloise née de la volonté du constituant de 1970 et la Région de Bruxelles-Capitale, en passant par les institutions régionales provisoires, antérieurement qualifiées de « préparatoires » à l’application de l’article 107quater de la Constitution494. De solution transitoire en solution provisoire, certains traits définitifs se sont malgré tout imposés : « le territoire, la population, le mode de composition de certains organes, les enjeux tout à la fois régionaux, nationaux voire internationaux, l’allégeance, partant, avec les institutions nationales d’une collectivité politique réputée autonome »495. Territoire, institutions et attributions, tels qu’ils seront décidés en 1989, constitueront la preuve que, depuis l’indépendance de la Belgique, des éléments du statut de Bruxelles ont été fixés progressivement, et qu’il n’y a donc pas eu de silence qui, à ce propos, puisse être qualifié d’assourdissant. 129. L’évolution n’appelle-t-elle que des louanges ? Présentée comme étant le « fruit de la lente décrispation communautaire intervenue à Bruxelles et de la conviction qu’on ne pourrait transformer l’État belge en un véritable système fédéral tout en laissant entre parenthèses la troisième région », la concrétisation des institutions bruxelloises devait constituer le gage d’une « gestion plus cohérente », d’une « meilleure transparence dans le fonctionnement de la Région bruxelloise, ainsi qu’une plus grande efficacité dans le processus de décision ». Mieux encore, « les mécanismes institués en vue de maintenir et de développer (les) fonctions particulières de Bruxelles », soit le rôle de capitale et de siège des institutions de cette « villeRégion », devaient préserver l’autonomie de la Région et de ses élus496. La réalité est plutôt que le statut des institutions bruxelloises est le fruit d’un compromis et repose dans une large mesure sur la technique du dédoublement, voire de la démultiplication fonctionnelle497. Si, pour d’aucuns, cette technique, « clé de voûte »498 des institutions bruxelloises, est le fruit d’un effort méritoire de rationalisation499 et le gage d’une simplification visuelle pour la population bruxelloise, qui peut ainsi identifier ses élus « sans trop se préoccuper du niveau de compétences auquel ils agissent »500, la question se pose de savoir si les élus en question n’y perdent pas pour leur part leur latin, et ne confondent ou n’oublient pas certaines de leurs casquettes501. La simplification des institutions bruxelloises n’est acquise qu’au travers de l’économie du nombre de mandataires, mais cela s’arrête là. Cette rationalité paraît trompeuse, et la simplification vantée à l’époque pourrait avoir asphyxié les élus bruxellois sous leurs multiples casquettes. 130. En outre, « en raison de l’exiguïté de son territoire, Bruxelles a besoin d’une concertation interrégionale »502 pour exercer adéquatement les compétences qui lui sont dévolues, ce que le seul exemple concret de la construction d’un nouveau stade national suffit à démontrer. En réalité, la Région de Bruxelles-Capitale ne peut rien seule503… 131. Les premiers jalons de l’histoire de la Région de Bruxelles-Capitale apportent déjà un premier éclairage utile pour dresser, au travers du cas bruxellois, un bilan du fédéralisme belge et des enjeux cachés qu’il peut receler. L’analyse de ceux-ci, et la poursuite de la chronique, à l’occasion de travaux ultérieurs, pourraient s’avérer plus instructifs encore, surtout lorsque seront examinés les enjeux financiers. Les premiers mouvements de son histoire laissent en tout cas déjà penser que la Région de Bruxelles-Capitale est, en raison même de la manière dont ses institutions ont été conçues, privée de l’autonomie qu’elle croyait avoir obtenue, mais pour des raisons autres que celles qui ont été officiellement négociées. Il en résulte qu’elle est, en fait sinon en droit, sujette à la léthargie ou à la dépendance à l’égard de pouvoirs tiers, qualités qui ne paraissent pas être celles d’une entité fédérée à part entière. 497 P. VANLEEMPUTTEN, op. cit., pp. 14-15. Ph. DE BRUYCKER, « Bruxelles dans la réforme de l’État », op. cit., p. 34. 499 Rapport TOMAS et ANCIAUX, op. cit., Doc. parl., Ch., sess. 1988-1989, no 661/4, p. 50. 500 P. VANLEEMPUTTEN, op. cit., p. 15. 501 En ce sens, voy. P. VAN ORSHOVEN, op. cit., p. 465. 502 G. CEREXHE, op. cit., p. 63. 503 A. DELCAMP, op. cit., p. 343. 498 493 Ph. DE BRUYCKER, « Les nouvelles institutions bruxelloises », op. cit., p. 105. 494 M.-Fr. RIGAUX, op. cit., p. 19. 495 Ibidem, p. 40. 496 Ph. MOUREAUX, Bruxelles, ses institutions et son financement, 1990, pp. 4-5. 158